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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Élargissement
La Chambre des députés a adopté une motion appelant les autorités turques à "rejoindre la voie de la démocratie" mais refuse d’appeler au gel du processus d’adhésion à l’UE
16-11-2016


chd-turquieLe 16 novembre 2016, la Chambre des députés a débattu de la position à adopter par le Luxembourg et l'UE vis-à-vis de la Turquie, au vu la situation de l'état de droit détériorée par la répression qui a suivi la tentative de coup d'état avortée du 15 juillet 2016.

Ce débat dans lequel chaque parti a pris position, a été provoqué par le dépôt simultané d'une question élargie et d'une motion du député ADR, Fernand Kartheiser, sur les relations avec la Turquie, d'une résolution proposée par le parti Déi Lénk, mais complétée et déposée par le LSAP, et finalement signée par les six partis présents à la Chambre des députés, ainsi que d'une résolution présentée par le plus grand parti d'opposition, le CSV, demandant le gel des négociations d'adhésion.

Le débat

Ouvrant les débats, le député ADR, Fernand Kartheiser, a rappelé que son parti a toujours été contre une adhésion de la Turquie à l'UE, tout en reconnaissant qu'il s'agissait d'un voisin important, avec lequel il est nécessaire d'entretenir le dialogue. Mais, à l'heure où ce pays irait "toujours plus dans une direction de dictature (…), il n'y a pas besoin d'attendre que la peine de mort soit réintroduite pour enfin tirer des conséquences", juge le député ADR, qui estime venu le moment que le gouvernement adopte une "ligne claire" et œuvre sur la scène européenne à "une rupture définitive" des négociations d'adhésion, auquel serait substituée la quête d'un accord d'association.

Fernand Kartheiser ne croit pas aux sanctions économiques, qui toucheraient surtout les "simples gens", et ont prouvé leur "inefficacité" et seraient même "contre-productives dans de nombreuses situations". Une fin du processus serait déjà possible dès lors que la Turquie ne respecte pas les critères de Copenhague en l'absence d'institutions stables, capables de garantir l'état de droit, la démocratie, les droits de l'homme et la protection des minorités nationales d'une manière crédible, comme le reprend sa résolution rejetée par 57 voix contre, et 3 voix pour. Par ailleurs, l'ADR pense que la politique migratoire européenne reposant sur l'accord UE-Turquie, est à revoir, pour que l'UE regagne son indépendance vis-à-vis de la Turquie.

S'il défend les "mots durs" mais "justifiés" prononcés par le ministre des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn envers le gouvernement turc, le député CSV, Laurent Mosar, n'est pas d'accord sur les conclusions à en tirer. Si son parti était jadis d'accord qu'il ne fallait "pas arrêter du jour au lendemain" les négociations,  mais regarder l'évolution de la Turquie, désormais "les appels ne suffisent plus, le naming et le bashing ne suffisent plus". Malgré les efforts, dont ceux de Jean Asselborn, "la situation ne s'est pas améliorée mais au contraire dégradée", juge Laurent Mosar, qui ne veut plus voir les dirigeants européens "s 'abaisser pour rester dans le dialogue avec la Turquie".

Jugeant que la Turquie ne respecte plus les principes de l'État de droit ainsi que les critères politiques de Copenhague et "se met dès lors elle-même hors de la procédure d'adhésion à l'Union Européenne", dénonçant la poursuite de la minorité kurde, "proche du génocide", le CSV demandait par cette résolution un gel des négociations "au moins jusqu'à ce que le gouvernement turc ait retrouvé le chemin de l'État de droit et des Droits de l'Homme". Il ne souhaitait pas pour autant que le dialogue géopolitique et la coopération sur le plan de la politique étrangère et de défense soient gelées, ni que l'approfondissement des relations commerciales et la coopération au niveau de la politique migratoire soient interrompus.

Pour Laurent Mosar, ce gel serait d'autant plus justifié que les négociations ne seront conclues "ni aujourd'hui, ni demain, ni après-demain", disait-il, en mettant en garde que la position de l'UE pourrait conforter le populisme puisque les citoyens ne comprendraient pas la clémence du traitement réservé à la Turquie.

Pour le LSAP, Marc Angel, a souligné qu'au Conseil Affaires étrangères, qui s'était tenu deux jours plus tôt, "aucun pays n'a demandé le gel ou l'arrêt de ces négociations". „Ce n'est pas à l'UE de couper le dernier fil d'espoir pour les Turcs. C'est à Erdogan de le faire lui-même“, a-t-il dit, en soulignant l'espoir que cette relation avec l'UE, appréciée pour son attachement à l'état de droit, suscitait chez des millions de citoyens de Turcs.

La députée DP, Anne Brasseur, a apprécié l'unanimité de la Chambre derrière la résolution du LSAP, puisqu'il faut "être attentifs à ne pas se diviser". "Il ne s'agit pas de nous mais de la crédibilité de l'UE et de libertés des citoyens turcs", a-t-elle dit. L'ancienne présidente de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, a également rappelé que l'Etat de droit en Turquie avait déjà été piétiné avant la tentative de putsch, mais a souligné qu'il fallait poursuivre le processus d'adhésion et laisser la Turquie dans le Conseil de l'Europe notamment parce que cela permettait aux citoyens d'accéder à la Cour européenne des droits de l'homme. "On couperait tous les ponts, s'il n'y avait plus de processus d'adhésion ni de présence au Conseil de l'Europe", a-t-elle dit, soulignant que "les citoyens turcs ne l'ont pas mérité" et qu'il fallait "aider la Turquie à aller sur la voie de l'Etat de droit".

Pour le parti Déi Gréng, Claude Adam, a estimé important de ne pas geler et encore moins interrompre le processus d'adhésion. Pour cause, il ne veut "pas retirer le dernier espoir aux citoyens, en leur claquant la porte au nez", même si les relations avec la Turquie sont "au plus bas". Il ne faut pas permettre à Erdogan de "se présenter comme victime", a-t-il poursuivi, en signalant que des sanctions économiques, si elles pouvaient être envisagées, devaient constituer "un des derniers moyens" auxquels recourir.

Pour Déi Lénk, David Wagner a souligné que "le régime d'Erdogan n'est pas éternel", et qu'il y a lieu d'ici à sa fin, "de continuer à soutenir les forces progressistes". Au contraire, "une rupture n'est pas le meilleur signe de solidarité", rappelant que des progrès avaient été faits par le passé par la Turquie.

Concluant les débats, le ministre des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn a rappelé que les trois derniers gouvernements, auxquels il a appartenu, ont eu pour but de soutenir une Turquie européenne, "un grand pays, avec un grand peuple". Il a rappelé qu'en septembre 2016, lors d'une réunion au conseil de l'Europe, la Turquie avait semblé revenir dans le droit chemin, et la  perspective d'une réintroduction de la peine de mort alors écartée. "Ce qui est arrivé fin octobre nous a fortement choqués, la Turquie n'est pas restée sur la ligne qu'elle avait fixée au Conseil de l'Europe", a !t !il rapporté, déplorant notamment la "mort civile" qui peut désormais atteindre les opposants au régime.

Toutefois, Jean Asselborn souligne que le gouvernement luxembourgeois est en ligne avec l'argument de l'UE, selon lequel "des millions de gens nous regardent comme les seuls espoirs pour les sortir de l'embourbement dans l'absence d'Etat de droit". Un "abandon serait un coup dur donné à cet espoir", a dit le ministre, décrivant le président turc comme un "spécialiste de la provocation" auquel il ne faut pas céder. "C'est la Turquie qui a demandé à être membre, c'est à la Turquie de montrer qu'elle veut maintenir le lien comme pays candidat, ou de le stopper", a dit Jean Asselborn.

Le texte de la résolution adoptée à l'unanimité

Adoptée à l'unanimité, la résolution présentée par le LSAP cite une série de griefs à présenter à la Turquie, qui vont  de la levée de l'immunité parlementaire de 138 députés en mai 2016, jusqu'aux écarts soulignés par le rapport de la Commission européenne du 9 novembre 2016 et la suspension le 11 novembre 2016 de près de 370 ONG.

Les députés y condamnent la tentative de coup d'Etat du 15 juillet ainsi que les attaques terroristes en Turquie, mais apportent leur soutien à la population de la République de Turquie désireuse de défendre les valeurs de la démocratie et de l'Etat de droit, et expriment leur "solidarité avec les députés du Parlement de la République de Turquie et les chercheurs, fonctionnaires et journalistes arrêtés pour des raisons politiques".

La Chambre des députés appelle les autorités de la République de Turquie "à rejoindre la voie de la démocratie" et le  gouvernement turc à "relancer un processus de paix crédible et un dialogue de bonne foi qui est essentiel pour mettre fin aux violences dans les régions à majorité kurde et pour y garantir la démocratie et la stabilité". Enfin, elle appelle les autorités turques à "s'opposer clairement à la réintroduction de la peine de mort et à coopérer pleinement avec tous les organes du Conseil de l'Europe".