Le 9 novembre 2016, la Commission européenne a présenté son paquet de rapports sur l'avancement de la politique d'élargissement, faisant le point sur les progrès de plusieurs pays à l'Union européenne dans leurs négociations d'adhésion. Elle a publié dans ce contexte un document de stratégie reprenant ses avis sur les différents pays candidats et les évolutions de la politique d'élargissement.
Dans son rapport de progrès relatif à la Turquie, elle critique le "retour en arrière" dans le respect des critères d'adhésion, en particulier en ce qui concerne la liberté d'expression et l'Etat de droit et rappelle par ailleurs "le rejet sans équivoque" par l'UE de la peine de mort, dont le rétablissement est évoqué par le président turc, Recep Tayyip Erdogan. Si l'UE juge légitime la réaction rapide et résolue à la suite de la tentative de coup d'État, "l'ampleur et la nature collective des mesures prises (…) posent un certain nombre de questions", lit-on dans le communiqué de presse de la Commission européenne.
"Nous sommes extrêmement préoccupés par la dégradation de la situation en matière d'état de droit et de démocratie à la suite de la tentative manquée de coup d'État. Dans son propre intérêt, la Turquie doit, de toute urgence, cesser de s'éloigner de l'UE", a déclaré le commissaire européen à l'Elargissement, Johannes Hahn. "Il est temps qu'Ankara nous dise ce qu'elle veut vraiment. C'est un test de sa crédibilité et de celle de l'Union européenne."
La veille, dans un discours tenu au Collège d'Europe à Bruges, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker avait mis en doute la volonté turque d'adhérer à l'UE, déplorant que ce pays "chaque jour s'éloigne de l'Europe". En parallèle, dans une déclaration datée du même jour, les 28 Etats membres de l'Union européenne avaient demandé à la Turquie de "sauvegarder sa démocratie parlementaire, y compris le respect des droits de l'homme, l'état de droit, les libertés fondamentales et le droit de chacun à un procès équitable", rappelant à Ankara ses engagements en la matière "en tant que pays candidat" à l'adhésion à l'UE. Leur déclaration intervenait au lendemain d'une protestation officielle d'Ankara contre les critiques européennes, et notamment celles du ministre luxembourgeois des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn.
Les 28 citaient la réintroduction à nouveau envisagée de la peine de mort en Turquie, la "poursuite des restrictions à la liberté d'expression, y compris les médias sociaux, "la fermeture de médias et les mandats d'arrêt contre les journalistes" et "plus récemment, l'arrestation des coprésidents du deuxième parti d'opposition du pays, le HDP, ainsi que la détention de plusieurs de ses membres".
Après avoir dit la veille que "s'opposer en permanence à la Turquie n'est pas la bonne politique", le ministre turc des Affaires européennes Omer Celik a rejeté les conclusions du rapport de l'Union européenne sur son processus d'adhésion, les jugeant "loin d'être objectives et loin d'offrir une voie pour aller de l'avant", estimant que plusieurs de ses conclusions "reflètent un manque de compréhension" de la situation en Turquie.
"Comme le cas de la Turquie nous l'a démontré, les questions d'état de droit continuent d'être un défi constant et nous avons besoin d'outils adaptés pour répondre à ces défis et être durs quand les valeurs européennes sont remises en cause", a déclaré l'eurodéputé PPE, Cristian Preda, saluant les modifications dans la surveillance démocratique introduites par la Commission européenne.
Le groupe S&D, par la voix de Kati Piri, a jugé, dans un communiqué de presse, que l'UE devait tirer les conséquences politiques d'une "situation désastreuse" et "geler immédiatement les négociations d'adhésion jusqu'à ce que le gouvernement turc reprenne la voie du respect de l'état de droit et des droits de l'homme". "Depuis trois ans, la Turquie s'est toujours plus écartée des valeurs européennes tels que le respect des droits de l'homme et de la liberté de la presse", "l'état d'urgence étant utilisé pour supprimer les voix critiques restantes", a déploré l'eurodéputée.
"Les négociations d'adhésion devraient être mises en sourdine aussi longtemps que le régime d'Erdogan continuera à flouer les droits humains", a estimé lui aussi le président du groupe Verts-ALE, Philippe Lamberts. "Ceci serait conforme aux principes régissant les négociations d'adhésion adoptés en 2005 par les États membres. Et il va de soi que la demande de libéralisation des visas ne peut être satisfaite tant que les critères requis ne seront pas remplis", a-t-il ajouté.
Le président du groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ADLE), Guy Verhofstadt, avait estimé la veille que la Commission européenne devait cesser la poursuite de tout dialogue avec le gouvernement turc, tant que parlementaires du HDP et journalistes n'ont pas été libérés, et que le président turc n'aura pas mis un terme aux propositions de réintroduction de la peine de mort. Il exhortait par ailleurs la Commission et le Conseil à ne pas céder aux pressions du premier ministre turc, en ce qui concerne notamment les menaces de suspension de l'accord UE-Turquie sur les réfugiés, conclu le 18 mars 2016.