Dans une interview accordée au Tageblatt et publiée le 6 août 2016, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, s'est positionné en faveur de la poursuite des négociations d'adhésion de la Turquie à l'UE.
Durant les semaines qui ont suivi la tentative de putsch en Turquie survenue le 15 juillet 2016, au vu de la dure répression du pouvoir turc, un débat s'est développé sur la pertinence de maintenir l'accord UE-Turquie du 18 mars 2016, et sur la possibilité de poursuivre les négociations d'adhésion de la Turquie que cet accord prévoit d'accélérer. Ouvert le 30 juin 2016, le chapitre 33 concernant les questions budgétaires et financières a porté à 16 sur 35 le nombre de chapitres ouverts dans ces négociations entamées en 2005.
Le 31 juillet 2016, le ministre des Affaires étrangères turc, Mevlüt Çavusoglu avait menacé, dans les colonnes du Frankfuter Allgemeine Zeitung, de faire capoter l'accord du 18 mars 2016, si la contrepartie prévue par l'accord, à savoir une libéralisation du régime des visas des citoyens turcs, n'intervenait pas avant le mois d'octobre.
Le débat a pris une nouvelle ampleur après les déclarations faites le 3 août 2016 à la télé autrichienne ORF, par le chancelier autrichien, Christian Kern, en faveur de l'arrêt des négociations d'adhésion de la Turquie à l'UE, qu'il entendrait mettre à l'ordre du jour du sommet informel de Bratislava du 16 septembre 2016, où il devait être initialement question de l'avenir de l'UE après le Brexit.
Dans une interview accordée à la télé allemande ARD, au lendemain de ces déclarations, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avait mis en garde contre une telle idée d'un arrêt des négociations qui serait "une lourde erreur diplomatique". Il faisait savoir qu'il ne voyait pas non plus comment l'unanimité des Etats membres, requise pour un tel arrêt des négociations, pourrait être atteinte. Toutefois, il précisait qu'une réintroduction de la peine de mort en Turquie, signifierait un arrêt des négociations.
Dans son interview accordée au Tageblatt et publiée le 6 août 2016, réalisée en marge d'une rencontre des ministres germanophones des Affaires étrangères, à savoir des ministres d 'Allemagne, d'Autrichien, de Suisse, du Liechstentein et du Luxembourg, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, a lui aussi, de la même manière qu'il l'avait fait au lendemain de la tentative de coup d'Etat en Turquie, le 15 juillet 2016, estimé qu'un Etat qui (ré)introduit la peine de mort ne pourrait être membre de l'UE.
Il a invité ensuite à considérer les relations à la Turquie "dans une perspective historique" et dit : "J'étais là en décembre 2004, quand le Conseil de l'UE a voté à l'unanimité pour ouvrir les négociations d'adhésion de la Turquie à partir d'octobre 2005. C'était il y a douze ans. Dans les douze prochaines années, ce processus ne sera pas achevé. Dans douze ans, la Turquie ne sera pas encore membre de l'UE. Mais le processus est d'une grande importance. Celui qui pense, qu'en cas d'interruption des négociations d'adhésion, on prouverait que l'UE a des principes, se trompe grandement."
En effet, pour Jean Asselborn, c'est en poursuivant la discussion que l'UE peut avoir le plus de moyens de faire respecter ses principes. "Aussi longtemps que le processus se poursuit, l'UE peut à la table des négociations poser des conditions à la Turquie. (…) Si nous interrompons les négociations d'adhésion, nous ne disposons plus de ce moyen, pour déployer notre action politique", pense-t-il. Jean Asselborn a fait remarquer par ailleurs que "chacun sait qu'il n'y aura pas prochainement d'ouverture de nouveau chapitre dans les négociations d'adhésion". "Mais si on ferme le livre, je ne vois plus de potentiel d'influence de l'UE", a-t-il mis en garde.
Jean Asselborn ne rejoint pas non plus les appels à mettre fin à l'accord UE-Turquie sur les réfugiés. "Il n'y a pas de plan B. Il n'y a pas de plan B pour la situation géographique entre la Syrie et l'Europe. La Turquie se trouve entre les deux régions. Dans ce contexte, il n'y a pas de possibilité d'évitement", dit-il. Jean Asselborn rejette l'idée que l'UE se soit mise dans une relation de dépendance en signant cet accord. "Il n'est pas vrai, comme beaucoup le prétendent, que la relation entre l'UE et la Turquie, est une voie à sens unique. La Turquie dépend très fortement de l'économie européenne. L'économie turque s'écroulerait sans l'Europe. Que l'on parle de réfugiés, de libéralisation des visas ou de relations politiques avec l'UE, nous ne pouvons pas nous présenter en tant qu'Européens, comme si nous pourrions subir le chantage de la Turquie. Il ne s'agit pas de cela. Ni la Turquie ni l'Europe ne peuvent ou doivent faire du chantage."
Concernant la libéralisation du régime des visas, Jean Asselborn rappelle qu'elle ne peut survenir "seulement si la Turquie respecte les droits fondamentaux de ses citoyens" et fait remarquer que seuls 10 % des citoyens turcs possèdent les passeports biométriques requis dans l'accord. Dans un article de l'hebdomadaire allemand Der Spiegel paru le 6 août 2016, Jean Asselborn appelait à la "patience" à ce sujet, suggérant que les discussions sur la libéralisation du régime des visas se poursuivraient "jusqu'à au moins la fin de l'année".
Au Luxembourg, ce sont les groupes politiques CSV et ADR qui ont introduit le débat sur l'éventuel arrêt des négociations d'adhésion avec l'UE. Le député CSV, Laurent Mosar, avait lancé le débat dans une tribune parue le 1er août 2016 dans le Luxemburger Wort. Le vice-président de la commission parlementaire des Affaires étrangères et européennes s'y opposait à l'idée d'une poursuite des négociations et avait déploré que l'UE se soit mise dans une dépendance vis-à-vis de la Turquie dans la résolution de la crise des réfugiés. Il avait estimé que la question turque était un "test décisif pour les valeurs européennes".
Dans un communiqué de presse daté du 2 août 2016, le parti ADR, qui s'est toujours opposé à une entrée de la Turquie dans l'UE, considérait qu'il est désormais temps que les négociations "soient définitivement interrompues" et "de dire enfin la vérité à la Turquie, au lieu que le pays soit depuis plus de cinquante ans presque sans résultat en négociation avec la communauté européenne." L'ADR s'y disait également contre une libéralisation du régime des visas.
Interrogé à son tour par le Luxemburger Wort dans un article paru le 6 août 2016, le Premier ministre, Xavier Bettel pense qu'un arrêt des négociations serait "à l'heure actuelle une erreur". "C'est seulement si nous poursuivons les négociations et ne fermons pas la porte, que nous pouvons atteindre une amélioration de l'Etat de droit en Turquie", a-t-il ajouté en signifiant par ailleurs que la Turquie "ne pourrait devenir membre de l'UE dans les conditions actuelles".
Le député LSAP et président de la commission parlementaire des Affaires étrangères et européennes, Marc Angel, est lui aussi d'avis que "le dialogue doit se poursuivre, afin de pouvoir encore disposer d'un moyen de pression".