Dans un entretien accordé aux journalistes du Handelsblatt Ruth Berschens, Jens Münchrath et Oliver Stock, Jean-Claude Juncker revient sur ce qu’il appelle la "tragédie grecque". C’est dans l’édition du quotidien économique datée du 1er mars 2010 que le président de l’Eurogroupe tire comme leçon de cette crise qu’un "gouvernement économique européen", au sens d’une "coordination renforcée de la politique économique", est nécessaire. "Il ne saurait y avoir de politique nationale qui porte préjudice à la monnaie commune", annonce le Premier ministre luxembourgeois, et "la Grèce doit donc avoir très clairement à l’esprit qu’elle doit faire tous les efforts possibles pour maîtriser son déficit". Rejetant fermement l’idée d’utiliser l’inflation comme outil de désendettement, Jean-Claude Juncker évoque dans cet article une future "boîte à outils" dont devra se doter la zone euro pour éviter que ne se reproduise une telle crise. En attendant, Jean-Claude Juncker se montre ferme à l’égard des marchés. "Il faut renforcer le primat de la politique" qui doit pouvoir "stopper les marchés", annonce-t-il ainsi, promettant aux spéculateurs qui feraient comme si la Grèce ne faisait aucun effort de consolidation budgétaire qu’il ne les laisserait pas faire.
Lorsque les journalistes du Handelsblatt demandent au président de l’Eurogroupe s’il n’est pas resté trop longtemps sans agir dans le contexte de la crise grecque, celui-ci rappelle avec calme que l’Eurogroupe s’occupe de la Grèce depuis des années en raison de sa perte de compétitivité.
"Nous avions depuis longtemps soupçonné que les chiffres sur lesquels la Grèce calculait son déficit étaient trop optimistes", raconte-t-il. Quand il s’est avéré que ces chiffres étaient effectivement incorrects, "nous avons agi tout de suite" précise, pour sa défense, Jean-Claude Juncker. Comme il doit l’expliquer aux journalistes qui se demandent si cela ne fut pourtant pas trop tard, il lui aurait été pour le moins difficile d’affirmer, il y a deux ans, que la Grèce avait "un énorme problème de corruption" : les réactions n’auraient alors sans doute pas manqué d’être virulentes, même si entre temps le Premier ministre grec a confirmé ces faits.
Jean-Claude Juncker reconnaît cependant ses torts au sujet du refus, en 2004, de renforcer les règles de surveillance des données statistiques fournies par les pays en n’octroyant pas à Eurostat plus de compétences en la matière. "Je soutiendrai toute initiative de la Commission européenne dans ce sens", annonce désormais le Premier ministre luxembourgeois.
Aux yeux du chef de file de l’Eurogroupe, l’idée d’une désintégration de l’union monétaire avancée par certains économistes est "une idée absurde". "Je ne pense pas que les différences de compétitivité conduisent en soi à une faiblesse de l’euro", déclare Jean-Claude Juncker qui constate cependant que ces divergences, qui existent par ailleurs aussi dans la zone dollar, ont eu tendance à trop se creuser.
La leçon de cette crise, c’est, pour Jean-Claude Juncker, que "nous avons besoin d’un gouvernement économique européen dans le sens d’une coordination renforcée de la politique économique avant tout au sein de la zone euro".
Point n’est besoin de "ministre de l’économie de l’UE" pour Jean-Claude Juncker qui mise sur un Eurogroupe qui "prend[rait] au sérieux l’idée de gouvernement économique". Ainsi, Jean-Claude Juncker annonce qu’une déclaration de l’Eurogroupe sur les divergences de la compétitivité au sein de la zone euro sera livrée au mois de mars et qu’elle sera suivie de recommandations économiques adressées à chaque pays par l’Eurogroupe. Chaque gouvernement devra alors dire dans quel délai il entend résorber les déséquilibres de compétitivité, ce qui sera ensuite contrôlé au sein de l’Eurogroupe. L’idée est que personne ne s’engage au niveau national sans avoir auparavant discuté des conséquences de la politique qu’il veut mettre en œuvre avec ses partenaires de la zone euro.
"Chacun doit être conscient, et en ce moment la Grèce tout particulièrement, que chaque membre perd au sein de l’Eurogroupe une partie de sa souveraineté. Il ne saurait y avoir de politique nationale qui porte préjudice à la monnaie commune", poursuit le Premier ministre luxembourgeois et "la Grèce doit donc avoir très clairement à l’esprit qu’elle doit faire tous les efforts possibles pour maîtriser son déficit".
Revenant sur les raisons d’une envolée des déficits née des plans de relance et des mesures de soutien, interventions qui étaient "sans alternative" en pleine crise économique et financière, Jean-Claude Juncker explique qu’il est désormais "nécessaire de sortir de cette spirale". S’il admet que "les facteurs de croissance de l’économie sont encore trop faibles" maintenant, il annonce d’ores et déjà qu’il faudra faire des économies à partir de l’année prochaine.
"Quand nous aurons résolu le problème grec, nous devrons nous doter d’une boîte à outils pour éviter à l’avenir de tels problèmes" annonce ainsi Jean-Claude Juncker et, si les journalistes évoquent l’idée d’un fonds monétaire européen, il se prononce pour sa part pour "un instrument contre les crises aigües". Rappelant qu’il avait proposé, il y a de cela quelques années, des eurobonds, il laisse le chapitre ouvert déclarant qu’il existe aussi "d’autres solutions" qui ne seraient pourtant, à court terme, d’aucune utilité dans le cas grec.
Jean-Claude Juncker rejette avec vigueur l’idée d’utiliser un fort taux d’inflation. Le président de l’Eurogroupe défend en effet la tradition, élaborée non sans peine, qui veut que l’on maintienne l’inflation en dessous de 2 %. Pour lui, tout débat sur un désendettement par une plus forte inflation serait absolument préjudiciable. Et il ne juge donc pas "praticable" la proposition d’Olivier Blanchard, directeur des études du FMI, de laisser l’inflation atteindre 4 %. "Nous mettrions en danger la culture de stabilité de la zone euro si péniblement élaborée", explique Jean-Claude Juncker qui juge que "l’inflation renforcerait encore plus les divergences de compétitivité" dans la zone euro. Ce qui aurait selon lui pour conséquence un "beau gâchis".
Quant au rôle des banques dans la crise grecque, Jean-Claude Juncker, s’il précise que les opérations de maquillage des comptes menées par certaines étaient peut-être légales, reste cependant "sceptique". "Nous allons devoir parler des conséquences du comportement des banques", lance-t-il ainsi, ajoutant que les banques doivent mieux "prendre en compte les effets de leurs agissements sur le reste de la société". Pourtant, il est clair aux yeux du Premier ministre luxembourgeois que "la tragédie grecque n’a pas été causée par les banques mais par le pays lui-même".
Pour ce qui est du "chantage" que font les marchés, Jean-Claude Juncker est formel, il faut "renforcer le primat de la politique". "La politique doit pouvoir stopper les marchés", estime Jean-Claude Juncker, qui considère que "les marchés n’ont pas le droit de faire comme si la Grèce ne faisait aucun effort de consolidation budgétaire". Si les Grecs s’en tiennent à leurs objectifs contraignants mais que les marchés spéculent cependant contre la Grèce, Jean-Claude Juncker assure que "nous ne laisserons pas faire les marchés".
"Nous avons les instruments de torture dans la cave et nous les montrerons quand cela sera nécessaire", explique ainsi le Premier ministre luxembourgeois aux journalistes qui lui demandent comment il entend s’y prendre. S’il ne les dévoile pas c’est que, raconte-t-il, "si tout le monde sait qu’il y a dans la zone euro une armoire pleine de mesures, personne ne verra plus la nécessité de mener une politique budgétaire ambitieuse". Montrer maintenant cet "instrument d’urgence" et détailler les possibilités évoquées au sein de l’Eurogroupe reviendrait à leur ôter tout effet. Ce qui est sûr cependant aux yeux de Jean-Claude Juncker, "c’est qu’en vertu du traité, il n’y aura pas de bail-out".