Le point de contact national luxembourgeois du réseau européen des migrations (EMN) a organisé le 18 juin 2010 sa deuxième conférence sur le thème "nouvelles formes de migration : défis politiques et scientifiques".
La première conférence, qui s’était tenue en novembre 2009, avait lancé les travaux de ce tout nouveau point de contact qui, coordonné par l’Université de Luxembourg, est le fruit d’une coopération entre l’OLAI, la direction de l’Immigration du Ministère des Affaires étrangères, le CEPS/INSTEAD, le SeSoPI et le STATEC.
Quant au réseau européen des migrations, créé par la décision n°2008/381/CE du Conseil du 14 mai 2008, il a pour objectif de fournir des informations actualisées, objectives, fiables et comparables en matière d’immigration et d’asile aux institutions communautaires, aux autorités et institutions des Etats membres et du grand public en vue d’appuyer l’élaboration des politiques et la prise de décisions au sein de l’Union européenne.
Le point de contact national luxembourgeois entend donc contribuer à cet effort en réalisant des rapports politiques et statistiques et en publiant des travaux de recherche, l’objectif étant de permettre le développement d’une politique migratoire qui soit aussi proche que possible de la réalité du terrain. En 2010, les travaux vont se concentrer notamment sur les liens entre manque de main d’œuvre et migration au Luxembourg, ainsi que sur la question de la migration temporaire et circulaire. Deux ateliers visant à inclure la société civile dans les débats seront d’ailleurs organisés sur ces deux sujets, le premier le 28 juin et le second le 23 septembre 2010.
La conférence du 18 juin a donc permis de réunir experts nationaux et internationaux autour de ces questions afin de bien poser les termes d’un débat qui va se poursuivre au fil des mois.
Aigul Alieva et Anne Hartung, toutes deux chercheuses du CEPS/INSTEAD, ont ainsi tenu à présenter dans les grandes lignes le programme de Stockholm dans les aspects qui concernent les migrations et le marché du travail européen. Rappelant que le programme de Tampere a constitué, de 1999 à 2004, la première tentative de mettre en place des politiques communes en matière d’immigration et d’asile, Aigul Alieva a expliqué que le programme de la GHague qui a suivi, de 2004 à 2009, se concentrait sur les migrations économiques et l’échange d’information en matière de politiques d’intégration tout en insistant sur la coopération avec les pays tiers.
Le programme de Stockholm a pour sa part comme sous-titre "Mettre en place un espace de liberté, de sécurité et de justice au service des citoyens européens" et il englobe un champ très vaste de domaines. Pour Aigul Alieva la multiplicité des acteurs et institutions censés être impliqués risque d’ailleurs d’en rendre difficile la mise en œuvre. En matière de migration, le programme traite ainsi de contrôle aux frontières extérieures, d’asile, de développement, de droits des ressortissants de pays tiers, d’intégration, d’immigration illégale et de la question des travailleurs migrants, thème sur lequel se sont concentrées les deux chercheuses.
Le programme de Stockholm, qui est orienté vers des solutions pratiques et vers le "soft law", est souvent critiqué pour le peu d’attention qu’il accorde à l’idée d’une harmonisation des politiques menées par les Etats membres, ce sur quoi insistait beaucoup plus le programme de la Hague par exemple. Pour Aigul Alieva, il y a pourtant des raisons objectives à un besoin d’harmonisation, comme par exemples les différences qui existent en matière de reconnaissance des compétences. Le programme de Stokholm insiste en revanche sur la mise en place de politiques flexibles et d’approches individualisées.
Ses objectifs sont aussi jugés moins ambitieux que ceux des programmes précédents même si l’un des engagements pris est d’assurer aux ressortissants des pays tiers des droits et des obligations comparables à ceux des citoyens européens d’ici 2014. Une des principales caractéristiques du programme de Stockholm est qu’il accorde une grande importance à la coopération avec les pays tiers d’où proviennent les migrants. Enfin, on lui reproche, comme l’a souligné Aigul Alieva, de ne pas offrir de plan clair en matière de développement d’une stratégie commune relative aux travailleurs migrants.
Anne Hartung s’est pour sa part attachée à dresser en quelques lignes un comparatif de la situation de la Suède et du Luxembourg, relevant que, d’après les indicateurs du MIPEX, la Suède faisait preuve des meilleures performances.
En Suède, les conditions de travail pour les migrants de tous niveaux de compétence sont en effet flexibles tandis que les liens entre besoins du marché du travail et immigration sont forts. Le nouveau système suédois est ainsi basé sur la demande et ce n’est pas l’agence nationale pour l’emploi qui recrute mais bien les entreprises qui embauchent dans l’UE et au-delà de ses frontières. Il n’y a pas de quotas en Suède et il est donc possible d’obtenir des permis de travail dans quasiment tous les secteurs. En termes de droits sociaux, les immigrants ont des droits presque équivalents à ceux des citoyens suédois, tandis qu’il est possible de faire venir très vite sa famille. Le principe est de promouvoir l’employabilité avant tout en offrant formation linguistique et professionnelle plutôt que d’obliger les gens à partir.
Au Luxembourg en revanche, il est assez aisé d’entrer, mais seulement par certaines voies comme le sport, les études, la recherche ou bien une haute qualification. Anne Hartung souligne par ailleurs l’opacité et la longueur des procédures pour régulariser sa situation cependant modifiées avec la loi de 2008. Par ailleurs les travailleurs migrants provenant de pays tiers n’ont pas les mêmes droits en termes d’accès à l’emploi que les ressortissants communautaires et, si l’accès à la formation professionnelle et aux bourses d’études est en principe égal, la reconnaissance des compétences et des qualifications des ressortissants de pays tiers reste elle limitée.
En matière de marché du travail, les politiques luxembourgeoises sont jugées protectionnistes, et ce en dépit d’un manque systématique de main d’œuvre dans des domaines comme la santé, les services sociaux, la recherche ou la construction. Par ailleurs aucune mesure systématique visant à améliorer le taux d’emploi des migrants ou à enseigner les langues étrangères en vue d’une meilleure employabilité n’a été relevée. Si, une fois qu’ils ont un emploi, les travailleurs migrants ont des droits et peuvent renouveler leurs permis de travail, ils le perdent cependant à la fin de leur contrat, et ce quel que soit le temps passé à travailler au Luxembourg. Ils peuvent ainsi rester, pour ceux qui ont droit aux allocations de chômage, jusqu’à la fin de leurs droits. Enfin, Anne Hartung souligne le peu d’attention qui est prêtée à la demande de main d’œuvre dans la mesure où la priorité est données aux demandeurs d’emploi inscrits à l’ADEM, c’est-à-dire ceux qui ont déjà un permis de résidence.
Pour Anne Hartung, il importerait de pouvoir mieux analyser la situation actuelle des travailleurs migrants au Luxembourg. La coordination entre Ministères serait ainsi nécessaire pour croiser les données concernant les besoins en main d’œuvre des employeurs, les profils des immigrants en termes de compétences, de citoyenneté, de durée du séjour et de circulation ou encore de secteur économique. La chercheuse insiste aussi sur la nécessité de rendre plus de données publiques pour une meilleure évaluation des politiques menées.
En guise de conclusion, les deux jeunes chercheuses ont souligné que la gestion des migrations est de toute évidence une des priorités de l’UE et elles notent un changement de cap puisque tout semble indiquer la volonté de passer d’un système rigide à un système plus flexible, tenant compte des besoins et insistant sur les droits sociaux des immigrés. Le programme de Stockholm tient compte de la complexité et de la diversité des politiques migratoires menées actuellement au sein de l’UE et ne plaide en rien pour une réponse uniforme. Il s’agit au contraire d’encourager la coopération entre pays afin de mener des échanges de bonnes pratiques.
Claudia Hartmann-Hirsch, sociolinguiste auprès du CEPS/INSTEAD, s’est elle attachée à montrer comment, au fil d’une montée du supranationalisme et d’une perte de souveraineté nationale, le marché de l’emploi a pris le pas sur la politique migratoire luxembourgeoise en termes d’influence.
Le marché du travail luxembourgeois, bien que corporatiste et compté parmi les plus régulés au sein de l’OCDE, emploie en effet un taux impressionnant d’étrangers qui sont pour la plupart communautaires.
Le cadre légal des politiques migratoires de la première moitié du 20e siècle était conçu comme purement national et n’était soumis à aucune influence supranationale, ce qui a changé après la seconde guerre mondiale.
La politique proactive du Luxembourg en matière d’immigration a surtout visé une immigration européenne et catholique. La préférence accordée au fil du 20e siècle à une immigration européenne explique d’ailleurs la part minime que prennent les ressortissants de pays tiers au Luxembourg.
Le cadre légal européen a conduit progressivement à une plus grande mobilité des travailleurs au sein du marché intérieur, tandis que les compétences nationales ont vite été limitées au cas des ressortissants de pays tiers.
Dans les années 90, une politique migratoire proactive plus sélective a été lancée qui vise, comme partout, une immigration hautement qualifiée pour ce qui est des ressortissants des pays tiers. La politique sélective menée dans les années 90 a eu un effet foudroyant selon Claudia Hartmann qui note un accroissement important de la part d’immigrés hautement qualifiés.
Mise en pratique tout d’abord sur le plan administratif, cette politique a été définie légalement dans le cadre de la loi de 2008. Mais cette loi témoigne aussi de l’emprise du niveau supranational sur la politique à l’égard des ressortissants de pays tiers, ce qui est net depuis 1999.
La conférence, au cours de laquelle ont été présentées de nombreuses études de cas, a aussi été l’occasion de présenter le rapport politique rédigé par le point de contact national luxembourgeois ainsi que le Glossaire de l’Asile et des Migrations publié par l’EMN. Le Luxembourg est d’ailleurs en charge de la coordination de sa traduction en français et en allemand.