Selon Jean Asselborn, pour un petit pays comme le Luxembourg, les "défis d’une globalisation incontrôlée" et "les menaces contre son modèle social" dans un Europe où l’immobilisme et le repli identitaire sont les nouvelles tentations, la seule voie pour maîtriser les choses est une bonne coopération au sein d'organisations internationales. La défense des intérêts du pays passe aussi par celle de la défense de ses valeurs, qu’il partage avec ses partenaires : droits de l’homme, Etat de droit, démocratie.
C'est ce qui explique aussi le processus de changement qui touche notamment le réseau diplomatique luxembourgeois qui va s’adapter aux nouvelles donnes. Il s’agit d’assurer une présence dans de nouvelles régions et de définir de nouvelles priorités : les Balkans auront des ambassadeurs non-résidents, l’Amérique latine, plus précisément le Brésil, se verra doté d’un ambassadeur non-résident et d’un consulat général à Sao Paulo. La Turquie aura un ambassadeur résident, le Luxembourg étant le seul pays de l’UE à ne pas avoir effectué ce pas. Abou Dhabi aura une ambassade avec un ambassadeur non-résident.
Abordant les relations avec ses voisins immédiats, Jean Asselborn a évoqué le Benelux, où un processus d’actualisation du traité est en cours. Mais le Benelux est plus qu’un traité pour le ministre, mais aussi un moyen de faire progresser la construction européenne, comme quand il s’est agi de voir comment appliquer le traité de Lisbonne. Le ministre n’a cependant pas fait l’impasse sur la situation politique difficile en Belgique ainsi qu'aux Pays-Bas et il a exprimé l’espoir que le Benelux redeviendra "un parangon de la stabilité politique et de la tolérance".
Les relations entre le Luxembourg et ses deux grands voisins, la France et l’Allemagne, ont aussi été marquées par "des accents rudes", non pas en ce qui concerne les relations bilatérales, mais les points de vue sur la construction européenne. C’étaient en fin de compte des "querelles constructives nécessaires dans l’UE afin qu’elle trouve son chemin". Mais Jean Asselborn a néanmoins mis en garde contre des tentatives de pousser la place financière dans une "situation de distorsion de concurrence intolérable" qui nuirait en fin de compte à tout le monde dans l’UE.
L’UE se trouve selon le chef de la diplomatie luxembourgeoise dans une crise d’autorité et de confiance doublée d’une crise économique qui a précipité des millions de gens dans la misère et affecté les budgets nationaux. Relatant le déroulement de la crise des dettes souveraines qui a vu la Grèce devoir recourir à l’aide de ses pairs, Jean Asselborn a déclaré que "l’euro a été interprété par certains comme une garantie contre l’endettement illimité" dans une zone où la coordination économique a fait défaut. De nouveaux périls s’annoncent avec l’Irlande où les taux obligataires sont trois fois plus élevés que dans d’autres pays. D’où le soutien de Jean Asselborn aux Eurobonds, car ils représenteraient moins de risques et inciteraient même à réduire ou limiter les dettes. Si certains faits ont remis en cause les fondamentaux de la zone euro, la réaction de solidarité de ses Etats membres et le chemin entamé vers la gouvernance économique marquent une voie d’issue. La taskforce et ses recommandations, dont le semestre européen qui est une idée luxembourgeoise, le mécanisme de crise EFSF, la mise en place d’un système de surveillance macroéconomique, sont autant de pas que le Luxembourg soutient.
L’effet de la sortie d’un pays de l’euro, notamment sur sa dette, serait tellement catastrophique, qu’une telle hypothèse reste impensable pour Jean Asselborn. L’euro reste un facteur d’intégration, comme le montre l’adhésion de l’Estonie à la zone euro en janvier 2011.
Et puis, la reprise économique de l’Allemagne est un nouveau facteur positif. La réponse du Luxembourg à la crise de l’endettement est son budget 2011, qui limitera les dépenses tout en veillant à l’équilibre entre croissance et consolidation budgétaire.
L’échec d’un accord entre le Conseil et le Parlement européen sur le budget 2011 de l’UE, parce que quelques Etats – "ceux qui profitent des plus grosses ristournes budgétaires" - étaient réticents sur la méthode d’aborder la question du budget, et notamment des ressources propres, alors qu’il n’y avait même pas un désaccord sur des chiffres, est pour Jean Asselborn "une défaite pour l’UE dans son ensemble", car c’était sur ce point que le nouveau droit de codécision du Parlement européen devait être appliqué pour la première fois. Pour Jean Asselborn, ce contexte montre que "la confiance dans le processus d’intégration n’existe plus à 100 %, pour le dire poliment".
L’Europe est devenue selon lui pour beaucoup de monde "le symbole de toutes les peurs de l’avenir de la société, qui change trop vite", avec pour résultat le repli identitaire, l’intolérance et un égoïsme croissant entre Etats membres : "Ce phénomène s’est plus clairement révélé à travers les résultats électoraux de certains Etats membres, où la discrimination des minorités, des cultures et des religions est devenue la carte qui fait gagner."
"Ce développement est particulièrement inquiétant pour un pays comme le Luxembourg, qui dépend tant de l’intégration européenne", a souligné Jean Asselborn. Il faut aller au-delà de l’enthousiasme nostalgique pour l’époque des fondateurs, au-delà de la mémoire de la reconstruction de l’Europe de l’après-guerre. "Il faut démontrer aux Européens que l’UE est le seul champ d’action qui leur permettra de se développer économiquement et où leurs droits sociaux et leur sécurité collective et personnelle sont assurés."
Et de passer à la force de l’exemple. Au sein de l’OMC, l’UE a su éviter que la crise économique et financière ne dégénère en guerre commerciale, comme dans les années 30, une guerre commerciale où tous auraient été perdants. Et si les négociations globales du Doha-Round piétinent encore, l’UE a pu signer un accord bilatéral de libre commerce avec la Corée du Sud et s’apprête à lancer des négociations avec l’Inde et le Brésil, des pays importants pour l’économie luxembourgeoise. Les relations avec les pays ACP seront également adaptés à la nouvelle donne. Mais, remarque Jean Asselborn, "si les succès en matière de politique commerciale de l’UE montrent ce dont l’UE est capable, ce n’est pas le cas de toutes ses actions internes et externes."
Un an après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, "il faut constater que l’UE peine à trouver son équilibre institutionnel", pense Jean Asselborn. Cela favorise l’émergence de "réflexes interétatiques qui risquent de nuire à l’esprit de solidarité communautaire". Et d’ajouter : "L’UE traverse une période difficile, un temps de restrictions budgétaires, avec des risques de tendances nationalistes et un contexte général marqué par la fatigue de l’intégration et de l’élargissement."
Pour contrer cette tendance, le Luxembourg prône, voire est devenu le défenseur du "respect de la méthode communautaire" et donc celui du rôle de la Commission, comme le montre le mémorandum du Benelux sur le rôle et le fonctionnement du président du Conseil européen. Mais il se trouve qu’actuellement, "de nombreux Etats considèrent le Conseil européen comme la seule institution qui peut faire progresser la construction européenne". Une vision qui peut générer des déséquilibres institutionnels et qui recèle "le germe d’un directoire des grands, car l’intergouvernemental prévaudra forcément". Et le ministre n'a pas manqué de citer l’exemple de Deauville, "où des intérêts nationaux de certains grands sont proclamés intérêts européens".
Une autre façon de faire avancer l’UE est le respect du nouveau rôle que le traité de Lisbonne a dévolu au Parlement européen, devenu co-législateur, et qui par ses débats et ses positions qui diffèrent des fois de celles du Conseil, contribue à forger une opinion publique européenne. Jean Asselborn n’a pas omis non plus de mentionner le rôle que le traité de Lisbonne a confié avec le contrôle de la subsidiarité aux parlements nationaux et il a remercié la Chambre des efforts qu’elle a développés dans ce sens.
Le Service européen d’Action extérieure n’est pas encore selon Jean Asselborn "le nouvel instrument de travail par excellence pour renforcer la voix de l’Europe dans le monde", mais il serait "erroné de confondre son accouchement difficile avec son échec". Il lui faudra du temps selon Jean Asselborn qui est convaincu qu’il développera des dynamiques européennes qui échapperont à l’emprise de ceux qui essaient de le freiner.
L’élargissement de l’UE continuera, ses frontières changeront, l’UE devra aussi changer de son côté, et si Jean Asselborn admet que ses concitoyens considèrent avec scepticisme ce processus, il continuera, car c’est dans l’intérêt du pays. Passant en revue les actuels pays candidats, il dit de la Croatie qu’elle doit encore faire des efforts en matière de réforme de sa justice, de protection des minorités et de lutte contre la criminalité et la corruption. En ce qui concerne la Turquie, il plaide pour une continuation des négociations, car "la crédibilité et les intérêts de l’UE sont en jeu". La Turquie serait "un grand atout pour l’UE", le chemin sera long, la Turquie devra encore faire beaucoup de réformes, mais son rôle stratégique est "unique au monde". L’Islande est un cas spécial, puisqu’elle est membre de l’Espace économique européen, que 98 % de ses lois découlent de la législation de l’UE. Il serait donc utile de se concentrer sur l’essentiel : la pêche et les services financiers. Le dossier de l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine est encore bloqué par la dispute avec la Grèce sur son nom..
Jean Asselborn a exprimé son accord avec le refus par la Commission européenne de la candidature de l’Albanie, et il a exprimé son soutien à l’acceptation de celle de la Serbie par le Conseil. Il a signalé l’avis positif de la Commission sur le Monténégro. Le chemin de la Bosnie, qui "doit encore trouver le chemin de sa cohésion interne, sera plus long", a-t-il ajouté.
Le ministre des Affaires étrangères a ensuite défendu la politique de voisinage. Le Partenariat oriental, qui concerne l’Arménie, l’Azerbaïdjan, le Belarus, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine sont importants pour amener ces pays vers les normes européennes, ce qui est, de toute évidence, "dans l’intérêt politique et économique" du Luxembourg comme de l’UE, car ils ne pourront être un havre de paix si son voisinage immédiat sombre dans les difficultés. L’Union pour la Méditerranée par contre est pour l’instant bloquée par l’impasse israélo-palestinienne.
Les Etats-Unis d’Amérique sont "l’allié naturel" de l’UE vers lequel elle peut de nouveau se tourner plus facilement, dit Jean Asselborn, parce qu’elle a cessé de vouloir partager le monde entre les bons et les mauvais. Concernant la Russie, Jean Asselborn a insisté sur la volonté de l’Union Européenne et de ses Etats membres de contribuer "non seulement à la modernisation économique et technologique du pays mais aussi à sa modernisation sociale et institutionnelle" dans le cadre du Partenariat pour la Modernisation. Le développement vertigineux de la Chine avec ses conséquences sociales et écologiques, avec les tensions commerciales qu’il suscite, devrait inciter l’Europe à y faire entendre sa voix, car "la Chine a une oreille pour les bons arguments".
Jean Asselborn a fait état de sa déception sur l’interruption des négociations directes entre Israéliens et Palestiniens, qui est due à l’interruption du moratoire sur les nouvelles colonies dans la Cisjordanie occupée. Il s’est indigné contre les privations qui frappent la population de Gaza, qui paie "pour les méfaits du Hamas". L’UE et le Luxembourg continueront à soutenir les efforts de l’Autorité palestinienne pour construire les structures d’un futur Etat palestinien, seule condition viable pour une coexistence future avec l’Etat d’Israël.
En dernier lieu, Jean Asselborn a évoqué les efforts du Luxembourg pour participer à tous les grands projets de l’UE comme l’euro ou Schengen, mais aussi à des "projets plus discrets". Ainsi, le Luxembourg participe "à toutes les missions militaires de l’UE," mais aussi à la réforme du secteur de la sécurité en Somalie ou au Congo, à la formation de juges et de policiers en Irak, ou à la mise en place des nouvelles institutions du Kosovo.
L’engagement du Luxembourg se traduit aussi dans sa fonction de pays-hôte de nombreuses institutions communautaires qui essaie d’offrir les meilleures conditions de travail possibles et une bonne qualité de vie à leurs collaborateurs. "Des projets comme l’agrandissement du Centre de conférences du Kirchberg, le deuxième agrandissement de la Cour des Comptes, la rénovation et l’agrandissement du bâtiment du Parlement européen ou bien de nouveaux bâtiments pour la Commission sont pour nous une chance, et ce malgré une forte concurrence, pour montrer que Luxembourg reste en tant que ville et siège des institutions européennes à même d’assumer ce défi dans les meilleures conditions."