Le 27 mars 2012, les eurodéputés des commissions Emploi et affaires sociales (EMPL) et Affaires économiques et monétaires (ECON) se sont réunis pour recevoir les représentants de la troïka UE-BCE-FMI afin de discuter du programme d’ajustement qui conditionne l’aide à la Grèce. Un débat organisé dans la foulée de l’initiative du groupe S&D qui a envoyé début mars en Grèce une "troïka alternative" conduite par Robert Goebbels. Le commissaire Olli Rehn a donc fait face aux eurodéputés aux côtés de Poul Thomsen, directeur adjoint du FMI, et de Jörg Asmussen, membre du directoire de la BCE.
La crise grecque, qui représente un défi tant pour la société grecque que pour l’UE, est "l’héritage d’années de politiques irresponsables", a lancé Olli Rehn pour ouvrir le débat, et donner le ton des représentants de la troïka. "Grâce à la solidarité européenne, nous avons évité le pire, à savoir un désastre social", a poursuivi le commissaire qui admet cependant que la situation reste difficile, notamment pour les plus vulnérables.
Olli Rehn a rappelé que le travail de la troïka consiste principalement à assister la Grèce dans le rééquilibrage et la restructuration de son économie, ainsi que dans l’amélioration des opportunités à moyen terme en matière de croissance et d’emploi. Et le commissaire a bien insisté sur le fait que croissance et emploi sont bien l’objectif du programme de réformes économiques mené en Grèce. "Au vu des immenses déséquilibres, l’ajustement nécessaire prendra du temps", a expliqué Olli Rehn aux parlementaires, insistant sur le fait qu’il ne convient pas de se faire d’illusions : "il n’y aura ni croissance ni nouveaux emplois sans une correction des déséquilibres économiques", a martelé le commissaire.
Revenant sur les différentes étapes qui ont marqué les trois dernières années, Olli Rehn a rappelé que la Grèce avait enregistré un déficit de la balance courante de l’ordre de 18 % du PIB et un déficit budgétaire de près de 16 % du PIB. L’imminence d’un défaut désordonné a conduit la Grèce a demandé l’aide de ses partenaires de la zone euro et du FMI en avril 2010, et c’est dans ce cadre que, depuis, la troïka assiste la Grèce. 260 milliards d’euros sont désormais engagés dans le cadre de l’aide à la Grèce. Les créanciers du secteur privé ont contribué à hauteur de 100 milliards d’euros via le programme d’échange de dette. Résultat, "la Grèce a l’opportunité de réduire le poids de sa dette de 160 % de son PIB actuellement à 116,5 % de son PIB d’ici 2020", résume Olli Rehn en soulignant qu’il s’agit de "bien utiliser" cette opportunité.
"La solidarité financière sans précédent apportée à la Grèce prouve qu’il y a un engagement politique fort des gouvernements et des parlements nationaux de la zone euro à donner à la Grèce le temps et les moyens de réparer les dommages et de résoudre ses problèmes économiques", a déclaré Olli Rehn, jugeant injuste que "ceux qui sont venus aider la Grèce après que le mal a été fait soient blâmés pour les problèmes auxquels elle fait face".
"Nous devons reconnaître les progrès qu’est en train de faire la Grèce", a souligné Olli Rehn en rappelant que c’est au prix de ces efforts que la troïka a continué à soutenir la Grèce bien que les objectifs budgétaires de 2010 et 2011 n’aient pas été complètement atteints."Mais il reste des défis", a tancé le commissaire en affirmant que le rythme actuel des réformes et des ajustements était "loin d’être suffisant" pour rendre les finances publiques de la Grèce soutenables ou pour combler le fossé en matière de compétitivité.
Olli Rehn a expliqué que la task force mise en place en Grèce est une "ressource offerte par la Commission et mise à la disposition des autorités grecques" afin de les aider à "construire une Grèce moderne et prospère".
"Le programme vise la justice sociale", a encore avancé Olli Rehn qui a expliqué que les coupes de pensions ciblaient les retraites les plus élevées et protégeaient les retraites les plus faibles. La réduction des aides en matière de santé est conçue pour "maximiser les bénéfices du citoyen ordinaire", a encore plaidé le commissaire qui a ajouté que le système fiscal avait été rendu plus progressif. La lutte contre l’évasion fiscale est par ailleurs un aspect essentiel du programme d’ajustement, a-t-il mis en exergue, et ce "non seulement du point de vue des recettes fiscales, mais aussi de l’équité sociale et de l’acceptabilité du programme".
"La Grèce s’est engagée à mettre en œuvre son programme de réformes économiques, et il faut lui laisser l’opportunité de le mettre en œuvre", a poursuivi Olli Rehn qui a relevé, à la lumière de l’expérience faite lors de la mise en œuvre du programme d’ajustement conditionnant le premier plan d’aide à la Grèce, "les deux talons d’Achille" de la Grèce. A savoir la faiblesse de sa capacité administrative et le manque d’unité politique nécessaire pour mobiliser le soutien nécessaire aux réformes requises. "Pour le second programme, nous mobilisons toute l’assistance que nous pouvons pour aider l’administration grecque à renforcer ses capacités", a indiqué Olli Rehn. Mais le manque d’unité politique ne peut être résolu que par les citoyens grecs eux-mêmes, a-t-il insisté.
En guise de conclusion, Olli Rehn a rappelé que le programme est aux mains de la Grèce, que la troïka a aidé à le concevoir et qu’elle a été mandatée pour en suivre la mise en œuvre. En bref, aux yeux d’Olli Rehn, la troïka peut aider et soutenir les Grecs à qui il revient de prendre la responsabilité de réformer leur pays.
Jörg Asmussen a pour sa part souligné le fait que le programme d’ajustement grec était inévitable, aussi douloureux soit-il. Et s’il n’y a pas d’alternative, c’est selon lui en raison de la gravité des déséquilibres macroéconomiques accumulés depuis des années. "Ce n’est pas le programme d’ajustement qui cause le déclin récent du PIB", a-t-il souligné. "Appeler à assouplir l’orientation budgétaire est illusoire", a lancé l’économiste aux parlementaires. Et pour suivre l’unique voie à suivre, à savoir restaurer la soutenabilité budgétaire et la compétitivité, il va falloir faire preuve de persévérance, a mis en garde Jörg Asmussen.
"Les efforts entrepris par le gouvernement grec et les sacrifices endurés par la population grecque jusqu’ici sont considérables", a admis Jörg Asmussen, mais il reste un long chemin à parcourir, prévoit-il. Il s’inquiète notamment des risques "exceptionnellement hauts" qu’il associe à la mise en œuvre du programme d’ajustement et de réforme. La condition clef du succès du plan d’aide à la Grèce, c’est en effet la pleine mise en œuvre du programme. "Sans un changement de régime dans la mise en œuvre politique et sans un consensus politique beaucoup plus large en faveur de réformes douloureuses mais nécessaires, il y a un fort risque que le programme détaille", estime le représentant de la BCE qui en appelle plus que jamais au "courage politique".
Jörg Asmussen a ensuite détaillé trois éléments essentiels du programme.
L’ajustement budgétaire est le premier d’entre eux. Et sur ce point, le représentant de la BCE a commencé par souligner la réduction du déficit que le gouvernement grec a réussi à atteindre en deux ans malgré une profonde récession : le déficit a été réduit de plus de 6 % par rapport au PIB depuis 2009, ce qui correspond à ce qui avait été envisagé initialement, lors du lancement du programme. Une "réalisation remarquable", juge Jörg Asmussen.
Mais il a toutefois expliqué que le poids de l’administration centrale restait trop grand par rapport à la capacité de la Grèce à générer et collecter des recettes fiscales. Du point de vue de la qualité, l’ajustement budgétaire est par ailleurs mitigé : d’importantes réformes ont été initiées pour trouver une solution au problème des salaires du secteur public et du système de pensions, mais d’un autre côté, l’ajustement budgétaire a été basé de façon excessive sur une augmentation des taux d’imposition et sur des coupes dans les dépenses à tous les niveaux. Pour la suite, Jörg Asmussen estime donc que la consolidation budgétaire va requérir la mise en œuvre de réformes budgétaires structurelles difficiles, sans quoi l’objectif de combler l’important déficit budgétaire d’ici 2013 ou 2014 ne sera pas possible. C’est donc un appel à la classe politique grecque qu’a lancé Jörg Asmussen.
Conscient de l’inquiétude que suscite, au Parlement européen notamment, une répartition équitable du poids de l’ajustement budgétaire, Jörg Asmussen a souligné l’importance que va revêtir sur ce point la réforme de l’administration fiscale. Pour l’instant, les progrès sont décevants, observe-t-il, en raison notamment de l’évasion fiscale.
Pour ce qui est de la compétitivité, deuxième volet clef du programme, Jörg Asmussen relève des améliorations importantes réalisées dans le cadre du premier programme d’ajustement. Mais la Grèce continue de faire face à un important retard en matière de compétitivité, constate le représentant de la BCE. Il l’explique en grande partie par les retards pris dans la mise en œuvre des réformes du marché du travail et d’autres réformes structurelles. "Combler cet écart en restant dans la zone euro va requérir une dévaluation interne plus prononcée", a-t-il prévenu.
Pour y parvenir et pour renverser la tendance à la hausse du chômage, Jörg Asmussen préconise une réduction des salaires minimaux dans le secteur privé et une suppression des rigidités du système de fixation des salaires, deux éléments clefs de la stratégie visant à accélérer la dévaluation interne. Ce n’est pas populaire, admet-il, mais il ne voit pas d’autre alternative pour "créer la base d’une compétitivité renouvelée et d’une croissance de l’emploi". Jörg Asmussen souligne aussi la nécessité de compléter les réformes du marché du travail par une libéralisation du marché des biens et des services, notamment dans les métiers protégés.
Enfin, Jörg Asmussen a expliqué aux parlementaires la nécessité pour la Grèce de s’attaquer à la situation de son secteur bancaire, dont une grande partie est lourdement sous-capitalisée suite à l'échange de la dette qui vient d’être opéré. Le programme prévoit la recapitalisation des banques jugées viables par la Banque de Grèce. La stratégie de recapitalisation envisagée a été conçue pour maximiser la participation du secteur privé, tout en préservant les intérêts de l’Etat, a souligné le représentant de la BCE en expliquant que les parts des banques acquises par l’Etat dans le cadre du processus de recapitalisation auront des droits de vote limités mais permettront à l’Etat de profiter du partage des bénéfices.
"La potion est amère, mais le patient peut et va guérir s’il s’en tient à la prescription", a conclu Jörg Asmussen en soulignant que la Grèce devait mener ces réformes et faire ces sacrifices pour son propre bien. La clef réside donc dans l’appropriation politique de ces mesures.
Le débat qui s’est ensuivi "a rarement été en profondeur", relate le service de presse du Parlement européen, qui a perçu les déclarations des représentants de la troïka comme des "avertissements".
Les députés ont notamment demandé davantage d'informations sur un "plan B" en vue de faire face à un possible échec du programme. "Ne sommes-nous pas en train de nier la réalité en n'élaborant pas de plans d'urgence?", a demandé Philippe Lamberts (Verts). De façon similaire, Jean Paul Gauzès (PPE) a demandé à quoi ressemblerait le scénario si à l'issue des élections grecques, il n'y avait qu'une faible majorité en faveur des réformes.
"Il vaut mieux penser à notre plan A et s'y tenir", a répondu Jörg Asmussen, concédant cependant ouvertement qu'"il n'y a aucune garantie que le programme fonctionnera... Selon Poul Thomsen, un éventuel plan de secours serait que l'UE "continue de soutenir la Grèce tant qu'elle fournit les efforts demandés".
De nombreux députés ont par ailleurs défendu l'idée qu'il fallait renforcer la dimension sociale et de croissance du programme. Robert Goebbels (S&D) a ainsi plaidé pour un meilleur équilibre entre la croissance et la consolidation budgétaire. "Il faut que le dosage des politiques soit plus adéquat. Jusqu'à présent, le programme offre une consolidation solide mais une croissance faible ", a-t-il déclaré.
Plusieurs autres députés ont mal accepté les commentaires des représentants de la troïka sur la nécessité de réduire davantage les salaires. Nicolaos Chountis (GUE) a notamment accusé le programme de "mettre les Grecs dans les mêmes conditions que les citoyens d'Asie du sud-est". Finalement, de nombreux députés ont demandé des détails sur l'éducation et l'emploi. Nadja Hirsch (ADLE) a averti qu'une génération de jeunes risquait d'être perdue.
Les deux présidentes des commissions ont souligné que la responsabilité était nécessaire. "Cette réunion devrait nous aider en termes de responsabilité et de transparence, deux éléments qui ont souvent été absents", a déclaré Sharon Bowles (ADLE). "Si les actions dans ce domaine ne sont pas transparentes et ne peuvent être évaluées, elles ne porteront jamais leurs fruits", a averti Pervenche Berès (S&D), en ajoutant qu'un débat ouvert aurait dû être organisé avant l'élaboration du programme.