Au lendemain de l’élection de François Hollande à la présidence française, les réactions prennent, à travers toute l’Europe, un accent résolument européen. On avait pu avoir ces dernières semaines l’impression qu’un certain nombre de décisions importantes pour l’Europe étaient suspendues à l’issue de ce vote, et les résultats donnent désormais le sentiment que le changement de paradigme qu’appelait de ses vœux François Hollande dans sa course à la présidence est dans presque toutes les bouches : "croissance et emploi" résonnent en effet en ce 7 mai 2012 comme un leitmotiv des commentaires politiques.
"Aujourd'hui même, responsable de l'avenir de notre pays, je mesure aussi que l'Europe nous regarde", déclarait François Hollande au soir de son élection, se disant "sûr que dans bien des pays européens, ça a été un soulagement, un espoir, l'idée qu'enfin l'austérité ne pouvait plus être une fatalité". Et la mission qu’il se donne, a-t-il encore affirmé, c’est "de donner à la construction européenne une dimension de croissance, d'emploi, de prospérité, d'avenir". "C'est ce que je dirai le plus tôt possible à nos partenaires européens et d'abord à l'Allemagne".
L’AFP relève, en citant le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, qu’il "semble avoir déjà été entendu". "Nous allons travailler ensemble à un pacte de croissance pour l'Europe", a en effet Guido Westerwelle, précisant qu’il s’agit de "sceller un pacte de croissance pour plus de compétitivité".
La relance de la croissance est aussi le principal point sur lequel a insisté le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, dans son message de félicitations à François Hollande. "Nous avons clairement un objectif commun : relancer l'économie européenne pour générer une croissance durable, reposant sur des bases saines et source de nouveaux emplois", a-t-il écrit. Il a rappelé partager avec François Hollande "la conviction qu'il faut investir dans la croissance et les grands réseaux d'infrastructure, en mobilisant plus fortement la Banque européenne d'investissement et les fonds disponibles dans le budget européen, tout en maintenant le cap de la consolidation budgétaire et de réduction de la dette". "J'ai noté aussi d'autres convergences, notamment dans son soutien à la proposition de la Commission en faveur d'une taxe sur les transactions financières et dans l'appui à des euro-obligations pour la croissance", écrit encore le président de la Commission, dont les services devraient faire des propositions en ce sens dans les prochaines semaines.
En témoignent les déclarations d’Olli Rehn, membre de la Commission en charge des Affaires économiques, à la veille du 2e tour de l’élection présidentielle. "La consolidation budgétaire, bien que nécessaire, doit s'appliquer de manière à favoriser la croissance et de façon différenciée, pour parvenir à un équilibre entre consolidation budgétaire et croissance", a-t-il expliqué devant la Vreije Universiteit à Bruxelles en soulignant que le pacte budgétaire "laisse une large place au jugement quant à son application". Olli Rehn a par ailleurs appelé à investir en Europe, rappelant les initiatives sur lesquelles est en train de plancher la Commission, à savoir une augmentation du capital de la BEI, le lancement de project bonds ou encore une meilleure utilisation des fonds structurels européens. Des initiatives qui pourraient "être combinées pour créer un Pacte d'investissement européen".
Assez naturellement, les réactions des socialistes aux affaires sont allées pleinement dans le sens de l’orientation à laquelle aspire François Hollande.
Le Premier ministre belge, Elio Di Rupo, a ainsi rappelé qu’il "plaide depuis son entrée en fonction pour que l'indispensable responsabilité budgétaire au niveau européen aille impérativement de pair avec une stratégie ambitieuse de relance, pour le bénéfice de tous les Européens". Et il se réjouit par conséquent de "travailler avec François Hollande et les autres chefs d'Etat et de gouvernement européens à la concrétisation d'un plan de croissance et de création d'emplois".
Le ton est proche depuis le Danemark, où la Première ministre Helle Thorning-Schmidt a assuré que son pays, qui assure la présidence tournante de l'UE, envisageait une coopération "bénéfique et rapprochée" avec François Hollande. Son ministre des Affaires étrangères, Villy Soevndal, a lui aussi mis en avant la coopération avec la France "pour créer de la croissance et des nouveaux emplois en Europe".
Erkki Tuomioja, ministre finlandais des Affaires étrangères, a salué la victoire de François Hollande comme "une bonne nouvelle pour toute l'Europe" et il espère que cette victoire et "le succès potentiel des socialistes" aux législatives de juin équilibreront "dans une large mesure" la politique européenne dont il regrette qu’elle a été "centrée uniquement sur l'austérité et les coupes budgétaires".
Mais, le Premier ministre irlandais centriste, Enda Kenny, a lui aussi "félicité" François Hollande, se disant "impatient de discuter" avec lui "en particulier sur le désir qu'il a déjà exprimé d'avoir un accent accru sur les questions d'emplois et de croissance dans l'UE".
Au Luxembourg, on retrouve cet accent mis sur la croissance dans de nombreuses réactions recueillies par les différents organes de presse. Mais on y trouve aussi d’autres considérations.
Ainsi, la commissaire européenne à la Justice, Viviane Reding, a, rapporte l’AFP, réagi sur Twitter par un message lapidaire : "Une France de la Justice, enfin!".
Le Premier ministre Jean-Claude Juncker, qui s’est réjoui auprès du Luxemburger Wort à l’idée de travailler avec François Hollande, a pour sa part admis qu’en matière de politique européenne, "force est de constater que nos opinions ne divergent pas vraiment".
"Le candidat qui a appelé les Français au rassemblement a gagné, ce qui préfigure d'une politique intérieure apaisée", a souligné encore le Premier ministre selon lequel il n’y a "aucune incompatibilité d'humeur avec les propos que François Hollande a pu avoir" dans la mesure où "il a toujours exprimé la nécessité de consolider les finances publiques, de réduire le déficit, de réduire la dette publique". "Son appel à l'Europe de la croissance est un appel partagé par nombre de ses collègues", commente Jean-Claude Juncker qui assure que "l’on saura se mettre d'accord".
"François Hollande a raison de parler de discipline budgétaire mais aussi de défendre la croissance et le bien-être social", a déclaré le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, à l’AFP. "De nombreux responsables européens et beaucoup de pays européens sont soulagés à l'idée que l'on puisse compléter le pacte budgétaire par des initiatives intelligentes pouvant relancer la croissance et l'emploi", a-t-il affirmé.
"Evidemment, je suis très content", a-t-il encore confié au Quotidien, insistant sur le fait qu’il le connaît depuis 1997. "C'est émouvant de voir un ami devenir président de la République française". Pour Jean Asselborn, "ce qui a fait la différence, c'est que M. Sarkozy a parlé de fermer les frontières, de ne pas donner le droit de vote aux étrangers aux élections locales". Et face à ce camp qui "a tout axé sur la peur et une France retranchée sur elle-même", François Hollande "a parié sur la confiance", "il a toujours dit que son thème principal serait la jeunesse", souligne Jean Asselborn. "Concernant l'Europe", Jean Asselborn estime que, "même pour les pays où le Premier ministre est de droite, c'est un soulagement. Le 6 mai, c'est une chance pour que l'Europe redevienne plus forte".
Les déclarations venues du camp socialiste vont dans le même sens. Le président du LSAP, Alex Bodry, a fait part au Tageblatt de son espoir de voir "un renouveau en Europe" avec la victoire du parti socialiste dans un grand pays comme la France.
Lucien Lux, chef du groupe parlementaire, se réjouit lui aussi d’un changement de cap qui laissera des traces "non seulement à la tête de l’Etat français, mais aussi dans la politique de l’UE". "Pour tous les partis sociaux-démocrates et socialistes d’Europe, la fin de l’ère Merkozy est un moment important qui permettra d’opposer à la politique de l’UE d’inspiration conservatrice-libérale de nouvelles idées allant au-delà d’une pure logique d’austérité", a-t-il déclaré par voie de communiqué. Lucien Lux y affiche aussi son soutien à la revendication de François Hollande d’accompagner le pacte budgétaire de mesures soutenant la croissance et l’innovation.
L’eurodéputé Robert Goebbels, pragmatique, espère que François Hollande disposera d’une forte majorité parlementaire pour mener des réformes en France. "Il aura aussi besoin d’un fort soutien s’il veut lutter pour un changement de cap en Europe", prévient l’eurodéputé selon lequel "seule la France ou l’Allemagne peuvent provoquer un tel revirement", tâche qui revient donc à François Hollande. Pour Robert Goebbels, il ne s’agit pas de mener une politique basée sur la dette, mais de veiller à stimuler la croissance en Europe, ce qui importe aussi pour le Luxembourg qui n’est pas en mesure de mener seul une politique de relance.
A la DP, on analyse le vote des électeurs français comme "un choix contre Sarkozy" (Claude Meisch), voire même "contre Merkozy" (Charles Goerens). Le président du parti, qui voit dans le rapprochement avec l’extrême droite "une stratégie que l'on ne peut pas choisir pour un président qui veut rassembler", ne perd pas de vue les élections législatives en Grèce "qui vont bouleverser l'Europe encore plus que la présidentielle en France". "Les partis qui soutenaient la politique que réclamait l'Europe ne sont plus majoritaires", constate Claude Meisch qui appelle à "réfléchir à la politique que l'on a imposée" la Grèce et aux pays du Sud. "Ça peut aller de pair avec les mesures que François Hollande préconise", a-t-il expliqué au Quotidien. L’eurodéputé Charles Goerens se réjouit du changement en vue, mais prévient que les choses ne seront pas simples pour autant.
Chez les écologistes, la satisfaction est plus nette encore."Je me réjouis que le nationalisme de Nicolas Sarkozy ait été recalé", a confié l’eurodéputé Claude Turmes au Tageblatt qui voit dans l’élection de François Hollande "une bonne nouvelle pour l’UE" dans la mesure où il va "mettre fin à la politique de Merkozy misant seulement sur l’austérité". François Bausch, le chef de file des Gréng à la Chambre espère lui aussi "une nouvelle orientation en Europe". Il appelle de ses vœux "une voix pour les investissements, la croissance et la création d’emplois". "Sinon, le projet européen va échouer", met-il en garde.
David Wagner (déi Lénk), éprouve "un grand soulagement" et il espère que, dans la mesure où la France "est un pays qui a un grand poids en Europe, François Hollande [pourra] faire changer la politique néolibérale en pleine crise néocapitaliste". "Cela ouvre à nouveau les vannes pour les mouvements sociaux car l'atmosphère va changer, il n'y aura plus cette chape de plomb droitière", augure-t-il encore.
Fernand Kartheiser, président de l’ADR, a adressé un courrier à François Hollande dans lequel il émet l’espoir que son quinquennat "sera marqué par une politique internationale et européenne respectueuse des droits souverains de chaque Nation". "Nous pensons qu’une authentique approche multilatérale doit prévaloir en Europe et remplacer la logique des directoires", plaide Fernand Kartheiser qui interpelle le président à peine élu sur "les sensibilités particulières du peuple luxembourgeois en ce qui concerne la centrale de Cattenom" en l’invitant à la fermer.
Abordant la question de la lutte contre l’immigration clandestine, Fernand Kartheiser appelle à "réfléchir ensemble à des modalités de contrôle limitées et ciblées aux frontières pour lutter contre ce fléau, comme contre la criminalité transfrontalière ou encore d’autres abus de la libre circulation des personnes et des biens". "Il va de soi que de tels contrôles ne sauraient remettre en question le principe même de la libre circulation ou présenter des obstacles aux honnêtes citoyens ou aux nombreux travailleurs frontaliers", ne manque-t-il toutefois pas de préciser.
Le président de l’ADR avait confié au Quotidien ses doutes quant à la possibilité qu’aura François Hollande de "réaliser l'ensemble de son programme". "Il faudra voir l'utilité de son projet d'euro-obligations, qui ne fait pas l'unanimité en Europe", citait-il pour exemple.