Principaux portails publics  |     | 

Economie, finances et monnaie - Emploi et politique sociale - Traités et Affaires institutionnelles
Chambre des députés - Rapport de Jean-Claude Juncker et débat sur les décisions du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012
03-07-2012


En allant faire rapport le 3 juillet 2012 sur les décisions du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012 devant la Chambre des députés, le Premier ministre Jean-Claude Juncker a d’emblée mis en évidence que "cela n’est pas encore une tradition" que le Premier ministre se prête à ce genre d’exercice. Mais la Chambre ayant insisté "pour de bonnes raisons", et étant le seul à y avoir siégé depuis que le traité de Lisbonne a écarté du Conseil européen les ministres des Affaires étrangères, Jean-Claude Juncker s’est prêté à l’exercice pour rendre compte d’un Conseil européen qu’il juge "important".

L’intervention du Premier ministre

Jean-Claude Juncker devant la Chambre des députés le 3 juillet 2012Pour Jean-Claude Juncker, la tâche du Conseil européen a été d’établir un équilibre entre la croissance et la consolidation des finances publiques, deux pôles qui ne sont pas contradictoires mais complémentaires, la stabilisation étant une condition de la croissance, tout comme des réformes structurelles, comme lui et son ministre des Finances ne cessent de l’affirmer, à l’instar de leurs homologues, depuis des mois. Il n’y a pas eu de perdants ni de gagnant au Conseil européen : "L’Europe gagne toujours quand elle avance", a lancé le Premier ministre.

Pacte de croissance

Pour le Premier ministre, le pacte de croissance « sur lequel se sont engagés les chefs d’Etat et de gouvernement », et il a insisté sur cette formule, n’a pas le même statut juridique que le pacte budgétaire, qui est un traité. Il s’agit d’un "engagement politique et moral" par les objectifs duquel "le gouvernement se sent lié de manière quasi-juridique". Cette volonté d’aller de l’avant se traduira par un volume "non-négligeable" de 120 milliards de fonds disponibles, soit près d’un 1 % du PIB de l’UE, qu’il faudra mobiliser le plus rapidement possible. Jean-Claude Juncker est confiant quant au fait que la procédure d’urgence au Parlement européen aboutira sans complications. Les 120 milliards sont des fonds d’ores et déjà disponibles, dont 55 milliards de fonds structurels non alloués pour les pays en difficultés, à l’exception des 10 milliards d’augmentation du capital de la BEI. Cette augmentation, qui doit encore recevoir l’aval du Conseil ECOFIN, coûtera 11 millions d’euros au contribuable luxembourgeois, mais elle permettra à la BEI d’accorder 60 milliards de prêts qui auront un effet de levier sur 180 milliards d’investissements.

Taxe sur les transactions financières

La taxe sur les transactions financières (TTF) n’a pas eu l’aval du Conseil européen. "Elle n’a pas de capacité d’induire de la croissance », et « un motif important pour l’introduire disparaît donc", a expliqué le Premier ministre qui a précisé que seulement quelques pays de la zone euro veulent aller dans cette direction. D’un point de vue luxembourgeois, il faut réfléchir à l’impact de son introduction sur la taxe d’abonnement, qui constitue une rentrée cruciale pour l’Etat. Celle-ci peut-elle être abrogée sans être remplacée ? Le Luxembourg ne peut pas prendre le risque de participer à une coopération renforcée pour introduire une TTF. Cela pose néanmoins un problème au Premier ministre, dans la mesure où le Luxembourg était à priori "toujours là où il y avait moyen d’avoir plus d’Europe". Mais dans ce cas de figure, "le risque est trop grand". Si les pays désireux d’introduire la TTF arrivent à s’accorder – et ici il n’y a pas d’accord sur les produits à imposer - et si d’un point de vue économique cela devait marcher, le Luxembourg n’exclut pas de participer plus tard, et il n’exclut pas non plus de s’investir d’ores et déjà pour participer à la définition de la direction que pourrait prendre l’initiative. Car il n’est pas contre le principe

Pour Jean-Claude Juncker, le secteur financer devra cependant contribuer plus à la sortie de crise, même s’il n’aime pas entendre ce message, notamment à Luxembourg, où des acteurs du milieu financier l’ont taxé, lui, Jean-Claude Juncker, de populisme. Au-delà du Grand-Duché, il pense qu’il est juste de soumettre les produits à risque à contribution, et cela d’autant plus qu’ils "sont à l’origine des misères qui nous sont arrivées". Le problème est de savoir comment procéder, sachant qu’il y a déjà la taxe d’abonnement. 

Stabilisation financière

Le Premier ministre a ensuite résumé les mesures en faveur de la stabilisation financière en distinguant trois volets de mesures pour l’ESM et l’EFSF:

  • les aides pour recapitaliser et restructurer directement les banques nationales dans les Etats membres ;
  • les lignes de crédit préventives ;
  • les interventions sur les marchés primaire et secondaire des obligations d’Etat.

Ce sont pour lui trois mécanismes différents qu’il faut distinguer.

L’aide aux banques

L’aide aux banques n’est pas un cadeau aux banques, a-t-il insisté, même si c’est de l’argent public qui est drainé vers elles, comme cela s’est fait au Luxembourg dans les cas Fortis-BGL et Dexia-BIL. Il s’agit de préserver leur fonction essentielle, qui est de maintenir le flux économique dans les sociétés des Etats membres. "Les banques sont là pour servir l’économie, et pas leurs actionnaires", a-t-il lancé. Les mesures décidées au Conseil européen en faveur des banques espagnoles par exemple sont dans ce sens un grand acte de solidarité à l’égard du peuple espagnol, car l’aide directe aux banques sans passer par les Etats va permettre « de séparer le risque bancaire du risque pour les Etats » et de permettre aux Etats qui remplissent toutes leurs obligations comme l’Espagne de respirer. Le système actuel a par contre de fortes répercussions sur l’endettement des Etats avec tout ce que cela implique : baisse de notations, austérité, plus de chômage. Pour Jean-Claude Juncker, la meilleure solution serait d’accorder une licence bancaire à l’ESM pour intervenir de manière appropriée.

Un autre aspect est que ces aides ne seront pas accordées inconditionnellement. Et le tout sera lié à une supervision bancaire européenne, comme le prône aussi le rapport des quatre présidents (ceux du Conseil européen, de la Commission, de la BCE et de l’Eurogroupe) à laquelle le Premier ministre et co-auteur de ce rapport croit. Cela aura des conséquences pour le Luxembourg car il faudra distinguer entre les banques qui ont leur siège à l’étranger, et c’est la majorité des banques actives à Luxembourg, et celles qui y ont leur siège et leur fonction respective sur le marché local, avant de décider quelles banques nationales pourront être recapitalisées et quelles banques seraient fermées. Le Luxembourg est pour que la BCE devienne cette instance de supervision, même si actuellement la BCE ne veut pas encore de ce rôle dans la mesure où elle ne dispose pas encore de capacités adéquates pour l’assumer. Mais ici, chaque Etat membre a un droit de vote

Les aides aux Etats membres passent actuellement par l’EFSF, a continué Jean-Claude Juncker, et le transfert des aides EFSF à l’ESM se fera de manière automatique. Le statut juridique de ces aides restera le même. "L’EFSF n’a pas de statut prioritaire comme créancier, ce qui veut dire qu’il ne pourra pas être remboursé de manière prioritaire en cas de catastrophe", a-t-il expliqué. "L’ESM par contre bénéficiera de ce statut. L’Eurogroupe a décidé que les aides accordées sous l’égide de l’EFSF passeront donc sous l’ESM sans ce super-privilège. Ce sera le cas pour l’Espagne uniquement, car l’on craint qu’une aide EFSF bénéficiant du super-privilège puisse dissuader d’autres investisseurs de prêter à l’Espagne."

Les lignes de crédit préventives

L’ouverture de lignes de crédit préventives servira à aider des pays qui remplissent toutes les conditions de consolidation et toutes les recommandations économiques mais qui ont malgré tout des difficultés à se financer sur les marchés. Car si dans ces pays, les impasses en termes de financement contribuent à renforcer les tendances à l’austérité et à la récession, il y aura là plus de chômage, de tensions sociales et surtout de problèmes humanitaires. Cela doit être évité, selon Jean-Claude Juncker. Bref, il faut tout faire pour faire baisser avec cette mesure les taux d’intérêts pénalisant sur les marchés financiers.

L’intervention de l’ESM sur les marchés

Quant à l’intervention directe sur les marchés obligataires primaire et secondaire de l’EFSF et de l’ESM, elle permettra aux Etats en difficultés à trouver des acheteurs de leurs obligations et à maintenir liquides les marchés obligataires.

Le rapport des quatre présidents sur le futur de l’Europe

Le rapport des quatre présidents prône d’abord une supervision bancaire européenne. Le Luxembourg est pour, mais il fait partie des trois pays sur les dix-sept que compte la zone euro dans lesquels ce n’est pas la banque centrale qui fait office d’organe de la surveillance bancaire, mais un organe comme la CSSF. Cela devra donc encore être discuté. Le rapport veut ensuite instituer une garantie de dépôts, ce qui est important pour le secteur financier luxembourgeois, comme l’a montré le cas Kaupthing.

Il demande aussi un cadre budgétaire européen intégré qui prévoira un plafond pour tout nouvel endettement d’un Etat membre qui ne pourra être dépassé qu’en cas de décisions unanime des pairs, en fait une communautarisation de la politique budgétaire pour éviter que l’endettement d’un Etat membre ne crée pas de problèmes aux autres Etats membres, comme c’est actuellement le cas.

Les eurobonds viendront, pense par ailleurs Jean-Claude Juncker.

La légitimité démocratique des décisions financières dans la zone euro est insuffisante et doit être renforcée, constate le Premier ministre. Les parlements nationaux n’ont pas de vrais moyens de contrôle. Le Parlement européen ne contrôle pas non plus, mais ici, il faudrait envisager qu’il siège en euro-formation, car ce ne serait pas juste que les représentants britanniques ou suédois par exemple puissent co-décider d’une monnaie à laquelle ils ne veulent explicitement pas participer. Mais les grandes décisions devront à l’avenir bénéficier d’un aval parlementaire, même s’il faut se garder de tomber dans le piège du « frein parlementaire », car, comme l’a souligné le Premier ministre, les marchés financiers réagissent en une seconde, alors que les parlements tendent à réagir en trois mois. Ici, des modus vivendi doivent être explorés pour protéger et renforcer une monnaie commune qui est le principal atout d’un continent qui n’a ni armée ni démocratie communes et qui devient plus petit dans un monde plus grand.

Les recommandations de la Commission

Jean-Claude Juncker a ensuite abordé la question des recommandations pour le Luxembourg, et notamment celles sur l’indexation des salaires, mais aussi le système de pensions. Ces recommandations sont acceptées, à moins qu’une majorité qualifiée renversée ne les fasse capoter. Il s’agit d’un système qu’il a lui-même proposé pour que les grands pays ne puissent pas se soustraire à l’exercice. Mais, a-t-il ajouté, "la Commission a mal compris le sens de cette règle et s’en prend avant tout aux petits Etats membres". Il a révélé à la Chambre que le ministre des Finances Luc Frieden s’était déjà élevé contre une partie de ces recommandations « sans en parler beaucoup » lors de la session du Conseil ECOFIN du 22 juin 2012 et qu’il en était sorti "troué de flèches décochées contre lui" après un plaidoyer pour l’indexation des salaires.

Quant aux systèmes de pensions, lui-même s’était adressé au président de la Commission pour lui dire que c’était bien d’abroger les préretraites, mais il lui avait aussi demandé que faire d’un métallurgiste de 58 ans licencié dans le cadre d’une restructuration : l’envoyer dans une banque ? Ou nettoyer les fossés des routes ? Bref, pour des raisons de dignité, il faut garder "un instrument qui serve de pont de compensation pour des carrières brisées". Certaines propositions de la Commission "ne peuvent donc être décemment discutées avec les partenaires sociaux". C’est pourquoi Jean Asselborn a déposé une déclaration à ajouter au procès-verbal du Conseil dès le 26 juin avec les mots suivant : "En vue de préserver la compétitivité de l’économie luxembourgeoise sur le long terme, il faudrait prendre des mesures en consultation avec les partenaires sociaux et en respectant les pratiques nationales pour s’assurer d’une démarche de modération salariale." Ce que Jean-Claude Juncker a réitéré au Conseil européen. Entretemps, comme l’a révélé Jean-Claude Juncker, la Commission a aussi fait ajouter au procès-verbal qu’elle ne s’oppose pas à l’indexation des salaires comme système en tant que tel. Mais elle maintient que ce système peut devenir un problème pour la compétitivité. Pour le Premier ministre, une solution est donc possible, puisque la Commission ne s’oppose plus au principe même de l’indexation. .   

Le débat

Dans l’ensemble, la déclaration du Premier ministre a été bien reçue par les différentes fractions de la Chambre. Ils n’ont toutefois pas voulu réagir sur la question des recommandations adressées au Luxembourg par la Commission dans le cadre du semestre européen dans la mesure où le sujet fera l’objet d’un débat lors de la prochaine séance plénière. Et ils n’ont pas manqué de soulever un certain nombre de questions qui devront faire l’objet de nouveaux débats, à la Chambre et en dehors.

"Merci !", dit Marc Spautz qui souhaite faire de la venue du Premier ministre à la Chambre après un Conseil européen une tradition

Marc Spautz, qui parlait au nom du CSV, a dans un premier temps affiché l’espoir que la venue du Premier ministre à la Chambre après un Conseil européen devienne une tradition au Luxembourg. Il a ensuite commenté certaines des décisions prises au Conseil européen.

Sur la question de la possibilité de recapitaliser directement les banques par le biais de l’ESM, il a affiché sa pleine satisfaction, constatant que la mesure, qui était en discussion depuis longtemps, avait soulagé les marchés. Il salue notamment le fait qu’une telle décision pourra limiter la dépendance entre banques systémiques et finances publiques, lesquelles seront moins impactées par l’aide apportée aux banques. Il importe d’aider les banques systémiques, a-t-il rappelé, et la réponse lui semble à ce titre adéquate, mais, a-t-il aussi mis en garde, il convient d’en préciser formellement les conditions. Aussi, attend-il de voir d’ici la fin de l’année 2012 le système de supervision européen qui devrait être mis en place.

"Il est clair qu’une meilleure coordination est nécessaire pour éviter les faillites bancaires", reconnaît le député, mais un certain nombre de questions demandent d’être éclaircies. Il s’étonne ainsi que cette supervision soit envisagée au niveau de la zone euro. A ses yeux, l’objectif devrait être une Union bancaire à 27. Marc Spautz s’interroge aussi sur les conséquences que cette supervision européenne aura pour l’organisme de contrôle luxembourgeois, à savoir la CSSF. Et puis, conscient qu’une union bancaire ne sera pas un remède miracle à tous les maux, le député a aussi exprimé ses craintes que les différentes mesures envisagées dans ce cadre, comme une garantie commune des dépôts, ne conduise à une mutualisation de tous les risques en Europe.

Pour Marc Spautz, il n’y pas lieu de s’étonner que la TTF ne fasse pas le consensus : si le principe ne lui déplaît pas, il estime qu’une telle taxe ne ferait sens que si elle était introduite à un niveau international.

Enfin, s’il a tenu à saluer le pacte de croissance auquel se sont engagés les chefs d’Etat et de gouvernement, le député CSV a aussi souligné sur le fait que cette mesure ne suffira pas à elle seule : consolidation budgétaire et réformes structurelles sont elles aussi capitales pour créer le cadre à la croissance. Le seul moyen de sortir de la crise, a conclu Marc Spautz, c’est en effet de mettre en pratique un mix sain entre consolidation et investissements ciblés pour relancer la croissance.

Claude Meisch juge que le Conseil est allé dans la bonne direction et demande la tenue d’un débat d’orientation sur les propositions du rapport sur l’avenir de l’Union

Claude Meisch a jugé au nom de la DP que les résultats du Conseil européen vont « dans la bonne direction », les mesures annoncées pour stabiliser les marchés ayant permis de regagner de la confiance sur les marchés, les mécanismes existant ayant été améliorés, adaptés.

Mais le député libéral a observé qu’une série de questions se posaient à la lecture de ces conclusions. D’une part, il relève que l’ESM vient tout juste d’être voté à la Chambre, et qu’il va déjà falloir lui apporter des modifications. D’autre part, il pointe le fait que les pistes proposées dans le document sur l’avenir de l’Union des quatre présidents doivent encore être précisées.

"Comment ces mesures vont-elles être mises en œuvre ?", s’est demandé le président du parti qui s’inquiète notamment de nouveaux transferts de compétences, un processus lancé selon lui avec le semestre européen. Claude Meisch s’inquiète de la légitimité démocratique dans ce processus de transfert de droits souverains vers l’UE. "Nous sommes arrivés à un moment crucial du développement de l’UE", juge le député qui considère que cette évolution va de pair avec le développement d’un nouveau modèle économique et social. La question qui se pose, c’est la façon dont la Chambre va accompagner cette évolution, poser les questions fondamentales, analyser ses conséquences sur la politique nationale, sur la place financière. Il faut nous laisser le temps de discuter de ces orientations futures, ici, comme à l’extérieur, a explique Claude Meisch, qui ne voit d’avancée dans l’intégration européenne que si les citoyens peuvent se l’approprier. Claude Meisch a donc déposé une motion demandant la tenue d’un débat d’orientation sur ces questions avant décembre 2012 : une motion adoptée à la quasi-unanimité, Serge Urbany s’étant abstenu.

Alex Bodry salue le rééquilibrage à l’œuvre entre austérité et croissance, ainsi que la vision à long terme que permet d’envisager le rapport sur l’avenir de l’Union

Pour Alex Bodry, président du LSAP, ce sommet est « historique » par ses résultats : il a conduit à stabiliser les marchés et à soulager l’Espagne et l’Italie des pressions auxquelles elles font face.

Quant au rapport sur l’avenir de l’Union, il témoigne d’un changement de paradigme que salue le député socialiste : après une longue phase de réaction, de navigation à vue, on arrive à regarder plus loin et à discuter d’une vision à long terme.

Certes, cette vision à long terme ne semble pas partagée par tous les Etats membres, ce qui devrait se voir plus nettement encore dans les prochains mois, augure Alex Bodry : la question de la taille de l’Union va donc se poser pour l’avenir, certaines décisions valant pour les 27, d’autres pour la zone euro et ceux qui veulent la suivre, d’autres encore, comme pour la TTF, faisant l’objet de coopérations renforcées au sein de groupes limités d’Etats membres. Ces décisions prises, ou esquissées, vont par ailleurs devoir être mises en œuvre. Comment va évoluer le traité ESM qui ne prévoyait pas de recapitalisation bancaire ou d’interventions sur les marchés ? La question reste ouverte. Quant à l’union bancaire, idée récente qui avance à grands pas, elle n’a jamais été discutée à la Chambre, souligne Alex Bodry qui souhaiterait avoir une idée des répercussions qu’elle aurait sur le Luxembourg : "la Chambre devrait s’en préoccuper pour ne pas avoir à courir derrière les décisions", a-t-il mis en garde. Il s’inquiète de voir la coopération intergouvernementale gagner du terrain, de voir l’exécutif précéder le législatif, avec ce que cela implique de déficit démocratique. Et de son point de vue, un débat d’orientation ne suffira pas, car la question est de savoir comment embarquer les citoyens sur le chemin d’une plus grande intégration européenne. En clair, le débat doit sortir de la Chambre et il va falloir mener une offensive explicative sur l’intégration européenne.

Alex Bodry a fait part de satisfaction de voir reconnue la nécessité de croissance, même si le pacte de croissance n’a pas la même valeur juridique que le pacte budgétaire. Car si le gouvernement luxembourgeois a toujours été de ceux qui plaidaient la croissance, les autres gouvernements lui emboîtent désormais le pas par cet engagement politique clair visant à mobiliser des fonds pour investir dans des domaines comme l’innovation et l’emploi. Alex Bodry, qui ne perd pas de vue la nécessité de finances publiques saines, se félicite ainsi du rééquilibrage politique qui a été opéré. Il y voit un signal positif et il espère que les mesures annoncées seront suffisantes et n’arriveront pas trop tard.

Ce rééquilibrage, Alex Bodry l’explique en partie au changement politique connu en France. Et il se réjouit qu’avec lui l’axe Paris-Berlin appartienne au passé. Il voit se dessiner de nouvelles constellations politiques plus larges, un développement intéressant qu’il convient toutefois d’observer attentivement de façon à éviter que ces nouvelles coopérations ne se fassent au détriment de petits Etats membres.

Le LSAP est en faveur d’une TTF, et ce n’est pas un secret, a rappelé Alex Bodry qui s’interroge toutefois sur les conséquences qu’elle pourrait avoir. Aussi, il a demandé à avoir plus de données sur les possibilités d’interférence entre TTF et taxe d’abonnement et leurs éventuelles répercussions.

François Bausch dit lui aussi sa satisfaction devant les résultats concrets de ce sommet

François Bausch, qui parlait au nom des Verts, a salué les résultats concrets d’un Conseil qu’il juge positifs. Il salue notamment le pacte de croissance, qui, au-delà de l’engagement des politiques, est doté de moyens financiers, même si une bonne partie de l’argent était déjà disponible. L’augmentation du capital de la BEI est à ce titre une bonne nouvelle. Il est satisfait aussi des mesures qui vont permettre de soulager l’Espagne et l’Italie.

Pour ce qui est de la supervision bancaire, François Bausch se félicite que la BCE soit impliquée, mais il se demande toutefois quel contrôle sera opéré en dehors de la zone euro. Le député a insisté sur la nécessité d’une supervision européenne, citant l’exemple de la Dexia et se disant convaincu que si un tel organisme avait été en place, on aurait pu identifier plus tôt les difficultés du groupe et éviter un certain nombre de dégâts collatéraux. Mais le dispositif reste toutefois incomplet, juge le député qui plaide pour que les banques se dotent elles-mêmes d’un fonds de sauvetage. Pour autant, le Luxembourg a, au vu de l’importance de son secteur bancaire, intérêt à une union bancaire. Même si bien sûr, un certain nombre de questions vont se poser sur le détail.

François Bausch a dit à nouveau son regret que l’ESM ne soit pas doté d’une licence bancaire qui lui permettrait de se financer à moindre coût auprès de la BCE.

Enfin, sur la TTF, le député a salué la position "plus nuancée" du Premier ministre par rapport à ce qu’il avait pu lire dans la presse à l’issue du Conseil. Mais il ne partage pas pour autant pleinement ses vues : il souhaiterait que le Luxembourg participe aux négociations dans le cadre de la coopération renforcée, ce qui ne signifie pas qu’il faudrait tout y accepter.

Le rapport sur l’avenir de l’Union est aux yeux de François Bausch un projet ambitieux et il espère qu’il ne sera pas discuté qu’au niveau intergouvernemental et que le Parlement européen, ainsi que les parlements nationaux, seront impliqués dans les discussions.

Gast Gibéryen interpelle le Premier ministre sur son avenir à la tête de l’Eurogroupe, voyant d’un œil inquiet le cumul de ses deux mandats

Gast Gibéryen, qui s’est exprimé au nom de l’ADR, s’est étonné que le Premier ministre n’ait pas dit un mot sur son avenir en tant que président de l’Eurogroupe. Il semble en effet que, malgré ses déclarations sur son refus de voir renouvelé son mandat, Jean-Claude Juncker soit sur le point de continuer à exercer, même si c’est pour une durée limitée, les fonctions de président de l’Eurogroupe.

Pour l’ADR, le cumul de la fonction de président de l’Eurogroupe et de celle de Premier ministre n’est pas sans poser problème et a des conséquences négatives sur le pays. Le président de l’Eurogroupe a en effet pour rôle de chercher le consensus et il doit donc mettre de côté les intérêts de son propre pays. Gast Gibéryen a ainsi donné l’exemple du rapport sur l’avenir de l’Union rédigé par le président du Conseil européen, le président de la Commission, le président de la BCE et le président de l’Eurogroupe : aucun des auteurs de ce texte n’a, à l’exception de Jean-Claude Juncker, de mandat national, relève le député. Et il observe aussi que lorsque ce document, dont il est le coauteur a été discuté au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement, tous les autres ont pu défendre leurs intérêts nationaux, ce que Jean-Claude Juncker pouvait difficilement faire. "Nos intérêts nationaux sont victimes de la nécessité trouver un compromis", déplore Gast Gibéryen qui a cité d’autres exemples, comme la volonté de modifier la directive sur la fiscalité de l’épargne ou de mettre en place une supervision bancaire européenne, deux initiatives qui pourraient avoir des conséquences néfastes pour le Grand-Duché s’inquiète-t-il.

Pour ce qui est des recommandations de la Commission, Gast Gibéryen souligne que les politiques dictées par Bruxelles vont a priori dans le sens du démantèlement social. Et si le Premier ministre déclare devant la Chambre avoir pris position avec véhémence contre la recommandation portant sur l’indexation des salaires, il constate pour sa part dans les conclusions que ces recommandations ont, dans l’ensemble, été soutenues.

L’ADR a des réserves quant à l’introduction d’une TTF dans un nombre limité de pays, a précisé par ailleurs Gast Gibéryen.

Serge Urbany : le pacte de croissance ne change en rien la politique actuelle

"Si certains espèrent que le pacte de croissance va rééquilibrer l’effet des politiques d’austérité", Serge Urbany (Déi Lénk) estime pour sa part qu’il ne change rien à la politique actuelle. Primo, il n’est pas contraignant. Secundo, il est explicitement écrit dedans que le pacte budgétaire doit être mis en œuvre, et il cite aussi  nombre de mesures qui font la politique actuelle. Tertio, les moyens mis à disposition pour soutenir l’économie sont certes des fonds non utilisés et ceux de la BEI, mais aussi et surtout les financements des investisseurs privés. Ce sont donc ceux qui ont les moyens d’investir, c’est-à-dire les grands groupes, qui vont profiter de la croissance, et non les économies régionales, déplore Serge Urbany.

Conclusion du député de la Gauche : les politiques de libéralisation et d’austérité à l’œuvre ne changent en rien fondamentalement, et les marchés financiers vont, comme toujours, en profiter. Finalement, c’est "la vielle et mauvaise politique qui se trouve bétonnée", sans compter que la façon de procéder n’est pas, selon le député, démocratique. Un exemple : le traité sur l’ESM ne prévoit pas d’aide directe aux banques et, trois jours à peine après sa ratification, on décide dans la "chambre noire de Bruxelles" de lui donner la possibilité de les recapitaliser directement.

Jean-Claude Juncker : "Quand je suis au Conseil européen, c’est bien en tant que Premier ministre luxembourgeois"

Jean-Claude Juncker a expliqué que la Commission allait faire une proposition d’union bancaire à 27. On verra au cours des discussions, d’ici la fin de l’année, comment se résout la question d’une supervision bancaire au niveau de l’UE ou de la zone euro. S’il est d’avis que la BCE devrait assurer cette supervision, il est conscient que le Royaume-Uni pourrait avoir des difficultés à accepter une supervision de la BCE. Il va donc falloir veiller à établir des passerelles entre ce qui se fera à 17 et ce qui se fera à 27, a déclaré le Premier ministre qui va bientôt se rendre à Londres pour discuter de ces questions. Autre point qui devra être éclairci, celui des banques qui seront soumises à cette supervision européenne : toutes les banques seront-elles concernées, ou seulement les banques systémiques nationales, ou juste européennes ? Cela reste à voir, et ce ne sera pas sans implication pour le Luxembourg, reconnaît le Premier ministre.

Aux yeux de Jean-Claude Juncker, pas un pays n’a autant d’intérêt que le Luxembourg à voir mettre en place un système européen de garantie des dépôts.

Pour ce qui est de la TTF, Jean-Claude Juncker a confié s’être longtemps interrogé sur la pertinence d’une participation du Luxembourg à la coopération renforcée. Mais vu que la Commission ne fera de proposition que sur la base d’un socle commun de dispositions sur lesquelles doivent s’entendre les pays impliqués, et que ceux-ci ont pour le moment des avis très divergents, il a finalement préféré attendre de voir ce qui allait ressortir de ces discussions.

Enfin, pour répondre aux remarques de Gast Gibéryen, Jean-Claude Juncker a expliqué que s’il ne voulait pas renouveler son mandat de président de l’Eurogroupe, ce n’est pas que la double charge de travail que cela implique l’empêche de faire son travail de Premier ministre, mais qu’il n’a tout simplement plus de temps pour lui. "Je n’ai plus envie de travailler 18 heures par jour, je voudrais juste travailler quatre heures de moins", a confié le Premier ministre qui estime que c’est là son bon droit et qu’il aimerait qu’il soit respecté. Mais si, dans un moment crucial et dramatique, tous les chefs d’Etat et de gouvernement lui demandent de rester six mois de plus à cette fonction pour régler un certain nombre de problèmes, Jean-Claude Juncker a du mal à leur dire non, pour des raisons de conscience.

Pour autant, Jean-Claude Juncker trouverait aussi plus important qu’un Luxembourgeois soit nommé pour huit ans au directoire de la BCE, plutôt que d’assumer lui des fonctions dont il ne veut pas pendant six mois, ce qui explique la condition qu’il a posée, à savoir la nomination d’Yves Mersch.

Enfin, a précisé Jean-Claude Juncker, toujours à l’adresse de Gast Gibéryen, quand il est au Conseil européen, c’est bien en tant que Premier ministre luxembourgeois. Et tout Luxembourgeois doté d’importantes fonctions se doit de veiller à faire converger les intérêts européens et luxembourgeois, a-t-il expliqué. Aussi, n’a-t-il pas manqué de souligner que ses déclarations sur l’index avaient été bien inscrites dans le procès verbal du Conseil, et que ses déclarations n’avaient d’ailleurs pas manqué de faire débat.