Le Parlement européen a rejeté le 25 octobre 2012 la nomination du Luxembourgeois Yves Mersch au directoire de la Banque centrale européenne (BCE) pour protester contre l'absence totale de femmes au sein de cette instance. Cet avis, adopté à une courte majorité à Strasbourg, où le Parlement européen était réuni en plénière, n'est que consultatif, car selon les traités européens, ce sont les gouvernements de l'UE qui désignent au bout du compte les membres du directoire de la BCE.
325 eurodéputés ont voté contre la nomination d’Yves Mersch, l'actuel président de la Banque centrale du Luxembourg (BCL), 300 ont voté en sa faveur et 49 se sont abstenus.
Les Socialistes, les Libéraux et les Verts avaient appelé à donner un avis négatif, essentiellement pour protester contre le déséquilibre entre les sexes au sein de la BCE.
Le Parlement européen a précisé que sa décision n'était pas fondée sur les compétences du candidat, qui ne sont pas en cause, mais sur l'absence de choix. Le Parlement européen réclame depuis des mois au Conseil non pas un nom, mais une liste de noms comprenant des femmes. "Le Parlement européen est clair : nous voulons la diversité. Un directoire de la BCE uniquement composé d'hommes en 2012 et jusqu'en 2018 n'est pas acceptable", a expliqué l'eurodéputée libérale française Sylvie Goulard, qui a mené la fronde. "Juridiquement parlant, le Conseil peut certes confirmer Yves Mersch, mais ce serait une énorme erreur politique et un mauvais signal", a-t-elle ajouté.
Ce vote fait suite à l’audition d’Yves Mersch, le 22 octobre 2012, par les membres de la commission des Affaires économiques et monétaires (ECON), à l’issue de laquelle sa nomination avait été soumise au vote et avait essuyé un refus avec 21 voix pour, 12 voix contre et 13 abstentions.
Les réactions des députés européens luxembourgeois pour commenter le vote en plénière ne se sont pas fait attendre.
Pour Astrid Lulling (PPE), "c'est le Parlement européen qui sera le grand perdant dans cette affaire", car "il vient de commettre une erreur lourde de sens". Pour elle, la consultation pour avis du Parlement européen dans la procédure de nomination des membres du directoire de la Banque centrale européenne "ne prend son sens que pour vérifier les qualifications professionnelles des candidats" et "aucune autre considération ne peut et ne doit intervenir". Astrid Lulling conteste à la fois "les arguments de principe quant à la représentativité des femmes dans des fonctions dirigeantes" qui ont d'abord été avancés, et les arguments qui ont surgi quelques jours avant le vote de la part du groupe socialiste pour contester, sur un plan idéologique, certaines des positions du candidat luxembourgeois. Comme ces considérations n'ont selon elle pas de rapport avec l'objet de la procédure, elle juge l'avis du Parlement "légal certes", mais aussi "illégitime à bien des égards". Elle recommande au Conseil d’achever la procédure de nomination et de confirmer définitivement et "au plus vite" Yves Mersch.
Pour Georges Bach, lui aussi issu du groupe PPE qui a voté majoritairement en faveur d’Yves Mersch, le Parlement européen s'est ridiculisé. "Je trouve que dans cette affaire, le Parlement européen n'a raté aucune occasion pour se ridiculiser". Bien qu’il comprenne le souci que pose le manque de femmes à des positions importantes dans l’UE, il juge malheureuse "la manière idéologique" dont cette question a été débattue au Parlement européen. Georges Bach s’étonne et juge indigne "que le chef du groupe socialiste au Parlement, Monsieur Swoboda, ait mis ouvertement en question la qualification et les compétences de M. Mersch".
Du côté libéral, où la fronde contre Yves Mersch avait été particulièrement dure, l’eurodéputé Charles Goerens pense qu’il aurait été "possible de concilier la nomination d'Yves Mersch et le respect du principe de non-discrimination des femmes". Pour lui, la faute incombe "à l'attitude décevante du président du Conseil européen dans ses deux prises de position dans le cadre de cette affaire", alors qu’on "était en droit d'attendre de lui une dose de pragmatisme". Le 13 septembre 2012, Charles Goerens avait proposé dans une tribune publiée par l’hebdomadaire "Le Jeudi", que l’on dépasse le nombre de six membres du Directoire de la BCE et que l’on "considère le pôle économique, financier et monétaire de l'UE dans son ensemble". Pour Charles Goerens, il "aurait suffi de s'engager au niveau du Conseil européen à privilégier la nomination de femmes à des postes à haute responsabilité dans un tout proche avenir. Avec ce compromis, personne n'aurait perdu la face et ce dans le respect des dispositions non-discriminatoires du Traité".
Pour l’eurodéputé socialiste Robert Goebbels, qui a soutenu Yves Mersch, contrairement à la majorité de son groupe, le vote "contre" Yves Mersch est un "vote minimaliste". Robert Goebbels explique : "Sur 754 députés européens, 325 ont voté contre M. Mersch, candidat au Directoire de la Banque centrale européenne. 300 députés ont voté en sa faveur. Comme uniquement 674 députés ont participé au vote, il n'y avait pas de majorité qualifiée contre Yves Mersch. Ce fait donne encore moins de poids au vote du Parlement européen qui selon le traité n'émet qu'un simple avis."
Il ajoute un autre argument. La BCE n’étant que la banque centrale de la zone euro. Les 17 pays de la zone euro sont représentés au Parlement européen par 481 députés. Or, les 273 députés qui viennent des Etats non-membres de la zone euro ont également participé à un vote qui selon Robert Goebbels "ne concernait en fait que la seule zone euro". Yves Mersch est dans un tel contexte devenu "le bouc émissaire non seulement pour de pseudo-féministes, mais également pour les ennemis de l'Europe et surtout de l'euro". Sa conclusion : "Face à une proposition unanime des Ministres des Finances, un avis positif du Conseil des Gouverneurs de la BCE, cet avis minimaliste du Parlement européen pèse peu. Le Conseil européen doit passer outre et désigner M. Yves Mersch rapidement à la vacance ouverte depuis mai dernier au directoire de la BCE".
Pour l’eurodéputé vert Claude Turmes, le vote du 25 octobre 2012 a par contre été "un aiguillage central pour l’orientation en matière de politique économique". Lui-même dit avoir "consacré toute son attention aux positions d’Yves Mersch" et a assisté à son audition. Il en a tiré une "position claire" : "Je ne peux pas voter en faveur de quelqu’un qui prône constamment et aveuglément l’austérité budgétaire et le démantèlement social des droits sociaux comme solution à la crise". Claude Turmes lui reproche d’être en faveur de la flexibilisation du marché du travail, de la réduction des salaires et de l’abolition de l’indexation des salaires et des contrats collectifs. Il lui fait grief aussi de "négliger largement la responsabilité des banques, les inégalités sociales croissantes et la stagnation des investissements dans l’UE". Pour lui, "une telle approche n’est pas dans l’intérêt du Luxembourg ni de l’UE", mais "elle contribuera au contraire plus à relancer la crise qu’à la résoudre".
Le vote de l’eurodéputé Claude Turmes a été remarqué au Grand-Duché où le secrétariat général du CSV a réagi le 26 octobre 2012 par un bref communiqué l’accusant d’avoir voté "contre les intérêts luxembourgeois".
Trois scénarios sont désormais possibles. Le premier serait qu’Yves Mersch retire sa candidature. Le deuxième serait que le Conseil se prononce suite au vote du Parlement européen contre le maintien de sa candidature. Le troisième est que le Conseil transforme, après un accord au Conseil européen, son intention de nommer Yves Mersch en décision, ce dont il a le droit.