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Traités et Affaires institutionnelles
La Cour de Justice de l’UE, "victime de son succès", tire le bilan de l’année 2011
26-03-2012


Le 26 mars 2012, la Cour de Justice de l’UE a publié son rapport annuel 2011. Jean-Jacques Kasel, juge à la Cour de Justice de l’Union européenne, et Marc Jaeger, président du Tribunal de l’Union européenne, sont venus présenter à la presse luxembourgeoise le bilan d’une année 2011 qui a vu un nouveau record du nombre d’affaireLe rapport annuel 2011 de la CJUEs portées et réglées devant les trois juridictions de la CJUE, à savoir la Cour, le Tribunal et le Tribunal de la fonction publique, mais qui est aussi marquée par d’importants défis.

Jean-Jacques Kasel a souligné, en guise d’introduction, que la Cour allait célébrer en 2012 son soixantième anniversaire. En effet, c’est le 4 décembre 1952 que la Cour a tenu sa première audience solennelle au Cercle municipal. Depuis, "la Cour a connu un parcours aussi extraordinaire que l’Etat membre qui l’accueille", a relevé le juge luxembourgeois. La CJUE a en effet donné corps à la notion de "communauté de droit", assumant le rôle de garant de la répartition des pouvoirs et des compétences, veillant à la primauté du droit de l’UE. Par sa compétence préjudicielle, la Cour est devenu le partenaire incontournable des juridictions nationales, pénétrant peu à peu les ordres juridiques nationaux qui s’européanisent au fil du temps. 

2011 en quelques chiffres

En 2011, le contentieux porté et réglé devant les trois juridictions de la Cour de justice de l'Union européenne a continué d’augmenter : 1 569 affaires ont ainsi été introduites. Une évolution qui témoigne de la confiance des juridictions nationales et des justiciables envers les juridictions de l’Union, mais qui pose cependant problème car cet accroissement du volume du contentieux n'est pas entièrement absorbé en dépit d'une productivité record : 1 518 affaires ont été clôturées en 2011.

Le Tribunal de la fonction publique

Les statistiques judiciaires du Tribunal de la fonction publique font apparaître en 2011 une nouvelle augmentation importante du nombre d'affaires introduites (159) par rapport à l’année passée (139), laquelle s’était déjà signalée par un net accroissement des recours (111 en 2008 et 113 en 2009).

Le nombre d'affaires clôturées (166) est, quant à lui, très supérieur à celui de l'année dernière (129) et constitue le meilleur résultat quantitatif du Tribunal de la fonction publique depuis sa création.

La durée moyenne de la procédure a sensiblement diminué, passant à 14,2 mois en 2011 contre 18,1 mois en 2010.

CJUELa Cour

La Cour a clôturé 638 affaires en 2011, ce qui représente une augmentation de plus de 10 % par rapport à l’année dernière (574 affaires clôturées en 2010).

La Cour a été saisie en 2011 de 688 affaires nouvelles, ce qui constitue une augmentation significative par rapport à l’année 2010 (631 affaires introduites) et, pour la deuxième année consécutive, le nombre le plus élevé dans l’histoire de la Cour. Il en est de même en ce qui concerne les demandes de décision préjudicielle. Le nombre d’affaires préjudicielles introduites cette année est pour la troisième année consécutive le plus élevé jamais atteint et, par rapport à l’année 2009, en augmentation de presque 41 % (423 affaires en 2011 contre 302 affaires en 2009).

S’agissant de la durée des procédures, les données statistiques, dans leurs grandes lignes, sont aussi positives que l’année précédente. En ce qui concerne les renvois préjudiciels, la durée moyenne de traitement s'élève à 16,4 mois (contre 16 mois en 2010). Quant aux recours directs et aux pourvois, la durée moyenne de traitement a été respectivement en 2011 de 20,2 mois et de 15,4 mois (contre 16,7 mois et 14,3 mois en 2010).

Le Tribunal

D’un point de vue statistique, 2011 peut être qualifiée d’année record. Ainsi, le total de 722 nouvelles affaires enregistrées constitue une augmentation de près de 15 % par rapport à 2010 (636 affaires introduites), année qui avait elle-même connu à cet égard un niveau inédit.

De même, la progression remarquable du nombre des affaires réglées (+ 35 %)  témoigne d’un niveau d’activité sans précédent pour la juridiction, avec 714 affaires clôturées (pour 527 en 2010), auxquelles se sont ajoutés 52 référés. Les réformes des structures internes et la modernisation du fonctionnement lancées en 2008, 2009, qui portent désormais leurs fruits, expliquent cette progression, comme l’a souligné Marc Jaeger.

Le nombre d’affaires pendantes a toutefois continué d’augmenter cette année, atteignant les 1 308 affaires, et la durée moyenne de l’instance a été de 26,7 mois, ce qui représente une augmentation de deux mois par rapport à 2010.

Les enjeux auxquels doivent faire face la Cour et le Tribunal

Au vu de cette cadence, l’enjeu va désormais être de concilier la qualité et la quantité, s’inquiète le président du Tribunal. Car si la qualité reste très élevée, - et le président en prend pour preuve le faible nombre de pourvois, 12 en 2011, par rapport aux grands nombres d’affaires traitées,  - continuer à accélérer la cadence équivaudrait, pour Marc Jaeger, à sacrifier la qualité. Car, estime-t-il, les capacités du Tribunal sont atteintes.

Faire face à l’augmentation du contentieux

Le principal défi du Tribunal, c’est de faire face à l’augmentation du contentieux. Marc Jaeger cite ainsi l’exemple du nombre grandissant de recours faits contre des décisions de l’UE infligeant des sanctions à un certain nombre de personnalités, sanctions qui prennent la plupart du temps la forme de gel de fonds. Des situations dans lesquelles il faut qui plus est agir rapidement, vues les difficultés qu’un gel d’avoirs peut causer au quotidien. Le Tribunal a dû traiter 93 recours de ce genre en 2011, ce qui équivaut à près de 10 % des affaires traitées, et le fait que certaines de ces décisions aient été annulées, dans des cas où elles n’étaient pas assez motivées par le Conseil, risque d’accentuer la tendance. Le phénomène touche aussi la Cour, puisque ces affaires peuvent aussi faire l’objet de pourvois.

30 % des affaires traitées au Tribunal relèvent du droit de la propriété intellectuelle, et 20 % d’entre elles concernent la concurrence. Dans ces cas-là, "nous avons face à nous des global players mécontents de sanctions décidées par la Commission", a expliqué Marc Jaeger. Il s’agit là de contentieux lourds qui, sur le plan procédural sont encore compliqués par les problèmes liés à l’accès à certains documents des dossiers requis par une partie pour exercer son droit d’intervention quand la partie adverse exige la confidentialité de certaines données. Résultat, le Tribunal, "quasiment instrumentalisé", doit faire avec un "contentieux collatéral" dans lequel il se retrouve bien souvent "entre le marteau et l’enclume". Ce type d’affaires nécessite donc souvent aussi des délais plus importants.

Faire face à l’élargissement des compétences de l’UE

"Plus l’UE devient active dans de nouveaux domaines, sensibles qui plus est, plus nous en voyons les conséquences en termes de contentieux", résume Marc Jaeger. Jean-Jacques Kasel va tout à fait dans le même sens.Marc Jaeger et Jean-Jacques Kasel à la Maison de l'Europe le 26 mars 2012

Jean-Jacques Kasel cite pour exemple la communautarisation du troisième pilier, qui concerne les domaines de la Justice et des Affaires intérieures, qui représente un vrai défi pour la Cour en lui donnant "une tâche additionnelle redoutable". Une procédure préjudicielle d’urgence a d’ailleurs été prévue pour régler certaines affaires urgentes, portant par exemple sur des cas de détention ou de rapt d’enfant, en mois de 80 jours.

Autre défi important pour l’institution, c’est la Charte des droits fondamentaux qui, avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, a désormais force obligatoire, et ce alors que, dans le même temps, l’UE doit adhérer à la Convention européenne des Droits de l’Homme. Jean-Jacques Kasel relève qu’il y a encore quelques problèmes de cohérence qui apparaissent dans les négociations, qui sont en cours avec la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH). "Il faut clarifier les choses", explique le juge. La CJUE revendique en effet l’exclusivité d’interprétation du Droit communautaire, alors que la Cour européenne de Strasbourg est la Cour de dernière instance. Il y a plusieurs façons de résoudre le problème : soit la CEDH renvoie les affaires concernées pour que la CJUE tranche, soit elle prend à son compte les décisions de la CJUE, soit un co-défendeur est adjoint à Strasbourg pour représenter le point de vue de la CJUE. Dans tous les cas c’est un sujet à la fois technique et délicat confie Jean-Jacques Kasel qui souligne l’importance que prend la Charte dans la jurisprudence de la Cour : 51 arrêts s’y réfèrent déjà !

Un nouvel exemple récent de l’élargissement des attributions de la CJUE est le traité sur l’UEM, le fameux "pacte budgétaire", qui donne de nouvelles compétences à la CJUE, qui pourra être saisie par un Etat membre constatant un défaut d’application de la règle d’or chez un autre Etat membre. Marc Jaeger relève à ce sujet que, lorsque les décideurs politiques prennent des décisions qui donnent de nouvelles compétences aux juridictions, leur choix n’est basé sur aucun élément de réflexion sur l’impact de leur décision sur le contentieux qui en découlera et surtout sur les moyens des juridictions concernées.

Une réforme à la fois procédurale et structurelle en cours

Face à ces défis, qui ne sont pas nouveaux puisque l’augmentation du nombre d’affaires et des durées de procédures a déjà conduit, dans les années 1980’ à alléger la charge de la Cour en créant le Tribunal, qui est à son tour encombré, puis en créant, en 2005, le Tribunal de la Fonction publique, il faut poursuivre les réformes, procédurales et structurelles, qui sont en cours. C’est une grande réforme, mais ce n’est pas la première, comme le résume Jean-Jacques Kasel qui a bon espoir que cette réforme soit adoptée au niveau du Conseil sous présidence danoise.

Jean-Jacques Kasel explique que le premier volet de la réforme à venir, qui portera sur le règlement de procédure, vise à rendre la Cour plus efficiente, afin qu’elle puisse tenir un délai raisonnable pour rendre ses arrêts.

Le second volet de la réforme, qui est plus large, vise à refondre le statut des trois juridictions. Pour la Cour, il s’agit par exemple de créer un poste de vice-président, qui pourrait suppléer le président sur certaines tâches, mais aussi de réformer le fonctionnement actuel de la Grande Chambre l’élargissant de façon à ce que les juges "normaux", ceux qui ne président pas de Chambres à cinq, puissent être présents une fois sur deux (et non plus une fois sur trois comme c’est le cas actuellement). Cela permettrait de mieux exprimer les différentes sensibilités sur les arrêts importants, souligne Jean-Jacques Kasel. Pour le Tribunal de la fonction publique, il est prévu de recourir à des juges suppléants afin que le fonctionnement du tribunal ne soit pas entravé en cas de renouvellement d’un juge, ou même de maladie.

Du côté du Tribunal, les mesures de modernisation engagées sont épuisées, juge Marc Jaeger, qui identifie donc deux directions à suivre. D’une part moderniser les règles de procédure, ce que la Cour est en train d’essayer de faire devant le législateur et qu’il entend faire par la suite pour sa juridiction. Et d’autre part restructurer le Tribunal selon la proposition faite par la Cour, qui suggère d’augmenter le nombre de juges en créant 12 nouveaux postes.