La fondation Forum EUROPA et le centre de recherches CEPS/INSTEAD avaient organisé les 29 et 30 novembre 2012 un colloque sur la Grande Région. Le colloque était placé sous le haut patronage de la députée européenne lorraine Nathalie Griesbeck et du ministre de l’Intérieur et à la Grande Région du Grand-Duché de Luxembourg, Jean-Marie Halsdorf. Le groupe politique libéral au Parlement européen, l’ALDE, et le réseau européen EURES, qui s’occupe, en coopération avec la Commission européenne, des services publics de l’emploi des États membres de l’Espace économique européen (EEE) et d’autres organisations partenaires, d’offrir des informations, des conseils et des services de recrutement / placement aux travailleurs et aux employeurs ainsi qu’à tout citoyen désireux de tirer profit du principe de la libre circulation des personnes, avaient également contribué au colloque.
Le territoire dont il était question lors du colloque était la Grande Région - SaarLorLux/Rhénanie-Palatinat/Wallonie – un espace transfrontalier que se partagent l’Allemagne, la France, le Luxembourg et la Belgique. Sa carte de visite : une superficie de 65 400 km², une population de 11,4 millions d’habitants, environ 230.000 travailleurs frontaliers (dont 157 000 au Luxembourg), un PIB cumulé de quelque 330 milliards d’euros, mais aussi 540 000 chômeurs (été 2012).
Plusieurs grands volets thématiques ont été étudiés : l’histoire de la Grande Région, le marché de l’emploi transfrontalier et le paysage institutionnel de la Grande Région. Sachant que le travail frontalier peut être considéré comme le "ciment" de la Grande Région, le colloque a évoqué les imperfections qui continuent à marquer sur le terrain la libre circulation des travailleurs. Quant au paysage institutionnel, il a été soumis à une évaluation critique, rien n’étant, selon le mot de Jean Monnet, possible sans les hommes et rien durable sans les institutions.
L’artisan central du colloque, Claude Gengler, directeur de Forum Europa, a posé la question franchement : Disposons-nous des outils adéquats pour affronter les défis de la Grande Région ? Le marché du travail ne mérite-t-il pas que nous l’analysions dans le détail pour identifier les obstacles qui l’empêchent de se développer dans un espace supposé sans frontières ? Les frontières ont-elles vraiment disparu ? Qu’en est-il des frontières dans les têtes ? Quel sera le destin réservé à l’idée de région métropolitaine polycentrique transfrontalière, appelée RMPT dans une région que Raymond Wagener, le directeur du CEPS/INSTEAD a appelée un "concentré d’Europe" ?
La députée européenne Nathalie Griesbeck a soulevé dans ce contexte européen d’autres défis qui touchent la Grande Région : les difficultés économiques, notamment dans l’industrie, alors que "l’UE manque de véritable politique industrielle", et que faute de volonté politique, le développement de la Grande Région en est "au point mort", alors qu’elle continue à se situer dans l’épicentre de l’UE malgré le déplacement de la capitale allemande à Berlin. Pour la députée européenne, les dirigeants politiques devraient se rendre compte que les citoyens ont une longueur d’avance sur eux et souhaitent, pour pouvoir vivre et travailler dans la Grande Région, plus d’intégration. Plus d’intégration, c’est un meilleur accès aux marchés du travail, une reconnaissance plus facile des diplômes et formations, moins de problèmes en matière de retraites, de remboursements fiscaux, de prestations sociales. "Il y a trop de freins à la mobilité", pense l’eurodéputée lorraine.
Pour le ministre luxembourgeois de l’Intérieur et à la Grande Région, Jean-Marie Halsdorf, il faut une Grande Région forte et compétitive dans la future Europe qui sera, selon, lui une Europe des régions. Entretemps, la Grande Région dispose d’un Secrétariat, d’un sommet, de réunions ministérielles sectorielles, d’un nouvel instrument juridique, le Groupement européen de coopération territoriale (GECT) et d’un conseil interparlementaire pour agir, à condition que toutes les entités qui en font partie prennent leurs responsabilités.
La première séance du colloque s’est évertuée à définir ce qu’était au juste la Grande Région.
L’historien Michel Pauly a voulu savoir si la Grande Région est une entité historique. La page du portail de la Grande Région qui s’occupe de l’historique met en avant que les entités qui la composent aujourd’hui ont toujours été associées depuis la Haute Antiquité. Lui-même doute fort de la généalogie de la Grande Région mise en avant dans les textes officiels. Parcourant deux mille ans d’histoire, Michel Pauly a réfuté l’idée que la Grande Région était une sorte de recomposition de l’ancienne Lotharingie des Carolingiens. Il a plutôt repris la citation des chanoines du chapitre de la cathédrale de Liège au 10e siècle : "La Gaule nous compte parmi ses habitants les plus éloignés, la Germanie parmi ses ressortissants les plus proches. Quant à nous, nous ne sommes ni de l'une ni de l'autre mais nous sommes à la fois l'une et l'autre". Les territoires de l’actuelle Grande Région ont ensuite été des principautés territoriales rivales et souvent en guerre l’une contre l’autre. Il y a néanmoins eu des unions monétaires entre certaines composantes entre le 14e et le 16e siècle qui reflétaient les liens économiques qu’elles avaient tissés entre elles. Depuis le 16e siècle, la région devient un lieu de fracture entre Empire et Royaume de France et une zone militaire importante.
Avec le 19e siècle et l’émergence des Etats nations, la dimension ethnique et linguistique fait son entrée dans les discours politiques et divise les composantes de l’actuelle Grande Région qui devient un seul bassin industriel d’Aix-la-Chapelle à Nancy, mais divisé entre de nombreux Etats, et qui est en partie équivalent à l’actuelle RMPT. La première guerre mondiale vient souligner ces divisions, avec des ordres territoriaux qui changent continuellement. Ce n’est qu’après la deuxième guerre mondiale qu’un premier projet régional transfrontalier aboutit avec le Benelux.
Aujourd’hui, Michel Pauly pense que la Grande Région est de fait un projet qui gravite autour du Luxembourg, car 80 % de ses travailleurs transfrontaliers vivent à 25 kilomètres des frontières du Grand-Duché. Historiquement, le territoire de la Grande Région est au centre des premières grandes inventions technologiques qui ont entraîné le développement à long terme de l’Europe industrielle. Mais cela ne suffit pas à créer un esprit identitaire au sein de cette entité. Pour le créer, il faut un effort des politiques qui soit couronné de succès, comme pour les nations. Mais la langue divise, la région manque de villes-phares et elle court le risque de se retrouver un jour excentrée, pense l’historien, qui ne met cependant pas en doute l’idée qu’une intégration plus poussée est porteuse de beaucoup d’opportunités.
Le politologue Philippe Poirier a essayé de placer la gouvernance de la Grande Région dans le contexte des notions qui circulent autour de l’idée d’une gouvernance à multiples niveaux, d’évaluer ensuite les acteurs institutionnels de la Grande Région pour savoir, en troisième lieu, si la Grande Région reste un modèle de gouvernance transfrontalière dans l’UE ou s’il y a d’autres modèles qui la dépassent.
Pour lui, il y a quatre modèles de gouvernance à multiples niveaux entre régions transfrontalières. Le modèle réaliste est celui où les Etats restent les acteurs principaux pour mettre en œuvre des accords de coopération pour promouvoir des intérêts qui peuvent néanmoins être en partie contradictoires. Le modèle libéral-idéaliste part de l’importance des échanges économiques pour mettre en place des instruments de coordination. Le modèle fonctionnaliste ou d’interdépendance part du constat d’une interdépendance entre des entités pour aller vers plus de coopération, avec l’idée aussi que cette coopération devrait être irréversible pour que les entités en question ne reviennent pas sur d’autres formes pour régler des conflits. Enfin, il, y a le modèle hégémonique ou de dépendance où un des acteurs domine explicitement par son poids économique, culturel ou démographique.
Dans la gouvernance, ce sont des réseaux publics et privés qui agissent comme acteurs pour définir de nouveaux processus de coopération et de décision qui étaient du ressort des Etats-nations. Il ne s’agit pas d’une privatisation du politique, mais d’une synergie de réseaux concurrents. Dans la politique régionale transfrontalière, les objets de l’action sont socio-économiques, culturels, environnementaux, etc., et l’action est définie selon le principe de la proximité entre institutions nationales qui interviennent dans une coopération internationale entre les niveaux inférieurs des Etats parties. Cela peut se faire entre Etas, entre autorités régionales à compétences équivalentes, entre regroupements urbains ou entre Etats, régions et collectivités locales.
La Grande Région regroupe des acteurs aux pouvoirs différents pour qui l’UE et ses politiques servent de compas. Son cadre de coopération est marqué par des intérêts interétatiques, de sorte qu’il n’y a coopération que s’il y a délégation de compétences par un Etat et que l’action s’inscrit dans le droit interne de chaque partie, y compris ses engagements internationaux. Le GECT est une émanation d’une telle coopération, qui relève clairement du modèle réaliste de coopération. Cela est souligné par le fait que c’est le Sommet qui décide sur une base consensuelle. L’on ne peut donc pas parler d’une volonté d’intégration, mais plutôt d’une dimension intergouvernementale. Mais Philippe Poirier n’exclut pas qu’un jour un GECT qui dispose d’une personnalité juridique propre puisse se voir déléguer des éléments d’autorité et produire des normes. C’est pour lui d’ailleurs le seul moyen pour avancer vers une coopération institutionnelle dans la Grande Région.
La Grande Région présente, selon Philippe Poirier, trois aspects positifs. Le premier est qu’il existe entre citoyens de la région un degré élevé de socialisation aux niveaux économique et politique, du fait d’avoir l’habitude de travailler ensemble. Il y a dans des domaines dits non essentiels comme la culture, l’enseignement supérieur ou les ressources naturelles, des politiques publiques qui convergent ou qui sont carrément construites sur la collaboration. Il y a même un début de partage des risques dans des domaines comme ceux de l’énergie ou des transports. Des recommandations du Conseil parlementaire interrégional vont au-delà. Pour avancer, la Grande Région devrait néanmoins veiller à ne pas se couper des politiques de l’UE, mais tout au contraire s’y rattacher, comme aussi à celles des Eurorégions du Conseil de l’Europe. Et elle devrait simplifier sa dimension institutionnelle, ce qui dépend entièrement de la volonté politiques des Etats membres.
L’historienne de l’art Eva Mendgen emmena ensuite l’auditoire sur un voyage dans la Grande Région sous l’angle de son rôle dans la culture européenne. Eva Mendgen a particulièrement mis en avant l’architecture des centres industriels de la région, dont quelques-unes remontent au 18e siècle. "La région est un atelier de l’Europe", a-t-elle expliqué après des parcours dans les charbonnages, la sidérurgie, les verreries et cristalleries, mais aussi chez les luthiers, et c’est l’art de ces artisans qui est le patrimoine qui demeure. Deux personnages de la région sont, selon elle, centraux pour l'Europe : Charlemagne et Robert Schuman.
Le marché du travail et les flux transfrontaliers furent ensuite abordés. Pierre Gramme, chargé de recherches auprès de l’ADEM-Eures, a expliqué les grandes lignes du marché du travail luxembourgeois en relation avec la Grande Région. Il a évoqué un marché du travail de 360 000 salariés qui se partageait en trois composantes : 30 % de résidents nationaux, 27 % de résidents étrangers et 43 % de frontaliers. Des 160 000 frontaliers, 80 000 viennent de France, et 40 000 respectivement d‘Allemagne et de Belgique. L’emploi total au Luxembourg est passé d’un indice 1 à 2,4 entre 1985 et 2011, l’emploi frontalier est passé de 1 à 9,5, l’emploi des frontaliers belges de 1 à 5, celui des allemands de 1 à 14 et celui des français de 1 à 10. Mais la croissance de l’emploi frontalier s‘est ralentie depuis 2009 et le chômage frappe désormais au Luxembourg presque 14 000 personnes, dont presqu’un quart de personnes âgées de moins de 30 ans, 41 % des chômeurs étant sans emploi depuis plus de 12 mois. 46 % des chômeurs ont une formation faible. Le chômage des 50 à 60 ans augmente aussi. Parallèlement, les offres d’emploi de l’ADEM se sont tassées, mais une légère reprise se fait sentir en 2012. Toutefois, dans l’intérim, où les frontaliers sont surreprésentés, la reprise ne se fait pas sentir, au contraire.
Philippe Gerber du CEPS/INSTEAD a de son côté analysé la mobilité transfrontalière. Les encombrements que le flux des travailleurs frontaliers entraîne ont un coût qui tourne autour de 1 % du PIB. La voiture est passée en quatre ans, entre 2007 et 2010, de 91 à 86 % d’adeptes, le train de 7 à 9 %, et les bus de 2 % à 5 %. Mais les réseaux de la région sont tous saturés. Les choix modaux des frontaliers se font selon l’offre des moyens de transport public : horaire, proximité, etc. Les déplacements durent entre 25 minutes et 1h25 minutes par trajet. 80 % des frontaliers se déplacent entre 6 et 8 heures du matin. Les déplacements s’effectuent en moyenne sur 100 km par jour. 38 % des frontaliers se déclarent insatisfaits de leurs trajets. "Leur vécu est plutôt sombre", dit carrément Philippe Gerber. La fatigue et le stress sont parmi les causes les plus citées. 14 % des frontaliers disent néanmoins suivre des activités au Luxembourg après leur travail.
Catherine Croisille, chargée d’études à l’Eures Lorraine, a, quant à elle, dressé un inventaire des obstacles à la mobilité des travailleurs frontaliers. La non-maîtrise d’une langue peut rendre l’accès au marché du travail difficile. Contrairement à l’usage commun qui considère la connaissance d’une langue comme une compétence, la chargée d’études a pensé la non-maîtrise comme un obstacle.
Par ailleurs, elle a mis en avant les difficultés à envisager un apprentissage transfrontalier en alternance dans l’entreprise, avec les problèmes financiers et de couverture sociale de l’apprenti que cela peut impliquer.
La reconnaissance des diplômes et qualifications pose problème, tout comme la reconnaissance de l’ancienneté dans des professions réglementées dans le domaine de la santé. Les aides à l’embauche ne sont pas exportables.
Un poste dans le travail intérimaire implique pour le travailleur des lourdeurs administratives assez conséquentes de part et d’autre de la frontière. La reconnaissance de rupture de contrat ne se fait pas automatiquement d’un pays à l’autre.
Dans l’assurance sociale, il y a des problèmes de reconnaissance d’invalidité, et en matière de retraites, les divergences entre les systèmes de retraite et surtout entre les âges de départ à la retraite (60 ans en France, 65 au Luxembourg et 67 en Allemagne) font que le travailleur frontalier français "doit travailler plus longtemps". Pour l’intervenante, le Luxembourg a introduit des régimes discriminatoires en matière de prestations familiales avec les chèques services accueil qui ne sont concédés qu’aux résidents et la limitation de l’allocation familiale aux enfants en-dessous de 18 ans. L’Allemagne, de son côté, a instauré un régime discriminatoire d’imposition des retraites.
Georges Gondon, président du groupement européen d’intérêts économiques (GEIE) des "Frontaliers européens au Luxembourg", qui fait partie des plaignants contre la règlementation luxembourgeoise des allocations familiales a évoqué la législation européenne "comme instrument de défense des droits du travailleur frontalier". Il a reproché au gouvernement luxembourgeois d’avoir tendance à créer deux catégories de travailleurs "alors que depuis 55 ans, on nous abreuve d’Europe". Il a comparé le Luxembourg à un arbre qui dépasse, avec ses branches comme avec ses racines, ses frontières. Car dans un périmètre d’au moins 25 kilomètres autour de ses frontières, les travailleurs qui viennent travailler sur son territoire ont besoin d’écoles, de crèches, etc… Certes, les frontaliers ne votent pas, mais ils sont dans les structures syndicales, ils peuvent recourir au droit européen, et cela aussi de manière collective. Faisant l’historique de la procédure d’avis motivé de la Commission européenne et de la question préjudicielle posée par le Tribunal administratif de Luxembourg à la CJUE que cette dernière a fait converger sur la question des allocations familiales et des bourses d’études, Georges Gondon a expliqué que le Luxembourg n’en serait pas là avec les travailleurs de la Grande Région si son gouvernement n’avait pas un problème de concertation avec 45 % de ses travailleurs.
Lorsqu’il a été question d’institutions, les différents intervenants ont essayé de saisir par quel mécanisme des réalisations concrètes se sont faites. Franz Clément du CEPS/INSTEAD a mis en doute l’idée que la Grande Région soit une Europe en miniature, car c’est le sommet qui décide et il ne délègue pas de compétences. Mais du point de vue culturel et géographique, la Grande Région paraît malgré tout comme un concentré d’Europe, admet Franz Clément. Le Lycée Schengen de Perl est une émanation d’un accord bilatéral entre le Luxembourg et la Sarre qui est dans l’esprit de l’UE et de la Grande Région, mais il n’est pas une émanation institutionnelle de la Grande Région.
C’est moins dans les relations entre les parties de la Grande Région qu’entre acteurs sociaux que de l’intégration est possible. Clément cite des exemples : le réseau Eures qui regroupe les pouvoirs publics tout comme les organisations patronales et syndicales. La double affiliation syndicale fait aussi son chemin. Une autre piste, ce sont les Chambres professionnelles du Luxembourg qui sont de par leur statut associées au processus législatif. Tout salarié au Luxembourg, peu importe son lieu de résidence ou sa nationalité, est affilié à la Chambre de salariés, où il a un droit de vote actif et passif lors des élections sociales. Les frontaliers n’ont que très peu participé, à raison de 20 %, aux élections professionnelles de novembre 2010. Ils ne savent pas encore assez de quoi il s’agit et ils ne connaissent pas les candidats, et les Français surtout comptent parmi les actifs européens les moins syndicalisés, avec un taux de syndicalisation de 8 % seulement. Mais, conclut Franz Clément, "les organisations syndicales luxembourgeoises sont une manette de l’intégration politique".
Peter Moll, qui a joué dans la Sarre un rôle de faiseur de Grande Région dans les années 90 et jusqu’à sa retraite en 2004, a mis en avant les réalisations induites par l’idée de Grande Région : le Lycée Schengen, Luxembourg et Grande Région, capitale européenne en 2007, l’espace culturel de la Grande Région, le marketing en faveur d’un tourisme régional, l’Université de la Grande Région, etc… Mais la vision d’avenir 2020, élaborée en 2003 par une commission dirigée par Jacques Santer, a été selon lui trop abstraite et elle a renoncé à doter la Grande Région de possibilités de sanction à l’égard des parties. La Grande Région doit, pense-t-il, se doter d’ici 2020 d’une meilleure gouvernance, se concentrer sur les régions transfrontalières où des besoins d’agir existent, se donner une nouvelle image, enraciner une conscience de l’interrégionalité dans la société civile, mieux communiquer sur l’interrégional et chercher un nouveau nom à la Grande Région.
Carlos Guedes, chargé de direction "Grande Région" au Ministère de l’Intérieur du Luxembourg, a évoqué dans son exposé la Commission franco-luxembourgeoise dans le cadre de ce qu’elle peut signifier pour la Grande Région. Elle a pour objet des questions qui intéressent les régions frontalières, questions qui doivent être abordées en accord avec les politiques régionales de l’UE. Des coopérations sont prévues entre les deux Etats, le Luxembourg et des collectivités locales françaises et au sein d’un GECT. Un GECT, celui d’Alzette Belval, a été créé entretemps. L’idée de la région métropolitaine polycentrique transfrontalière ou RMPT est un élément de coopération fédérateur, u niveau bilatéral, et le prochain 13e Sommet de la Grande Région devrait en janvier 2013 définir une dizaine de projets prioritaires, en partie déduits de cette idée métropolitaine. En fait, le multilatéral au niveau de la Grande Région donne de nombreuses impulsions, mais la mise en œuvre se fait plutôt au niveau bilatéral et sectoriel.
La première journée s’acheva avec une conférence donnée par Jacques Santer. Le message de l’ancien Premier ministre et président de la Commission européenne était clair et simple. "La vie à proximité des frontières est devenue une vie de part et d’autre des frontières", et cela à un point que "jamais avant, nous aurions pensé que ce serait ainsi". Maintenant, il faut pour cette région un projet global qui doit tenir compte des forces de la Grande Région, qui est aussi une région industrielle, et donc de connaissance. Il faut par ailleurs se concentrer sur les régions transfrontalières. Finalement, la Grande Région doit organiser la représentation de ses intérêts à l’échelle de l’UE et coopérer étroitement avec Bruxelles, trouver sa place aussi dans le Comité des régions. Car il y a des fonds structurels à récupérer ….
La deuxième journée du colloque sur la Grande Région fut d’abord consacrée au rôle et à des projets impliquant des communes. Claude Gengler de Forum Europa parla du projet GEPACO pour GEmeindePArtner – PartenairesCOmmunaux. Le projet GEPACO veut initier une coopération intercommunale au cœur même de la Grande Région autour d’échanges d’expériences sur des questions qui taraudent tout un chacun : la mobilité et les transports, l’éducation, l’intégration des étrangers, les sports, les citoyens du 3e âge dans la commune dans un contexte de régression démographique et de vieillissement de la population, la communication de la politique communale et la participation citoyenne, les handicapés dans une commune qui les prend en compte, etc...
Aurélien Biscaut évoqua le GECT Alzette Belval, perçu de manière ambiguë en France comme un danger et une opportunité, dans la mesure où il accentue d’un côté la dépendance de cette partie du bassin lorrain du Luxembourg, mais qu’il offre de l’autre côté une possibilité négociée "de s’accrocher au train et d’y jouer un rôle". 70 % des salariés des entreprises qui naissent dans le périmètre du projet du GECT sont des frontaliers. Ensuite, les frontaliers représentent entre-temps plus de 10 % des revenus lorrains ou 2 milliards d’euros. Mais les flux entre la France et le Luxembourg produisent de la ségrégation sociale et du côté français, les communes à revenu fiscal faible ont, faute d’emploi local, des problèmes majeurs pour financer les services dont les résidents, frontaliers compris, ont besoin. Dans ce contexte, le GECT est un maillon manquant pour associer des communes de part et d’autre de la frontière à une stratégie globale d’aménagement du territoire. Ceci dit, le budget 2013 du GECT – 80 000 euros – est encore faible. La structure est encore à la recherche d’un directeur. Mais l’engagement pour une nouvelle gouvernance semble véritable. Il s’agit avec le GECT d’une commande politique claire, et si une ingénierie effective se met en place, le GECT devrait devenir un instrument de politique stable.
Detlev Goetz, qui coordonne les projets de coopération régionale et internationale de la Ville de Luxembourg, a évoqué la nécessité des communes de la Grande Région d’agir aussi en faveur de ceux qui n’y résident pas mais qui y travaillent. Les villes de la Grande Région devraient donc s’organiser ensemble pour gérer ces complémentarités. Car dans la Grande Région croît le nombre de "citoyens polycentriques". La mobilité et les énergies renouvelables sont entre Metz, Sarrebruck, Luxembourg et Trèves qui forment le réseau Quattropole les sujets principaux dans une tentative de dépasser les coopérations ponctuelles.
Le directeur du Lycée Schengen, Volker Staudt, présenta ensuite son lycée binational. Il n’est pas né de l’idéologie, mais du besoin régional d’un lycée. Evidemment, la symbolique du nom "Schengen" est porteuse et un coup de chance. Luxembourgeois et Sarrois se tiennent la balance dans tout : financement du projet, budget annuel, gestion de l’autonomie, personnel, élèves, double diplômes.
Le recours aux fonds européens est lui aussi important. Plus de 2,5 millions d'euros sont entrés avec deux projets européens. Le premier a été le projet INHED (pour "intégration, hétérogénéité et différenciation") qui avait pour objectifs le renforcement de la compétence interculturelle des élèves, le soutien du processus d’apprentissage par des mesures de différenciation, la cohésion de la Grande Région, l’encouragement de l’intégration et la compensation de l’hétérogénéité des élèves. Le deuxième est le projet EduNET qui vise une mise en place d’un réseau pour le développement d’une coopération transfrontalière entre les responsables pédagogiques et éducatifs au sein de la Grande Région, le Lycée Schengen et des partenaires des secteurs du commerce, de l’artisanat, de l’économie, de l’industrie, du secteur tertiaire, des institutions publiques etc., afin de réduire le nombre d’échecs scolaires ou dans les formations professionnelles, de soutenir les adolescents en difficulté d’apprentissage, de renforcer une adaptation plus flexible de la demande de travailleurs aux besoins du marché de la Grande Région ainsi qu’une meilleure intégration des élèves au sein du marché de l’emploi transfrontalier.
Christophe Sohn, chercheur au CEPS/INSTEAD et un des grands artisans du projet Metroborder qui a débouché sur le concept de Région métropolitaine polycentrique transfrontalière ou RMPT, a évoqué le processus qui va, lors que l’on tient compte des deux dernières années, de la déclaration de Berlin de juillet 2011, qui annonce l’ambition de créer une "Grande Région métropolitaine" aux débats sur la stratégie à suivre ensuite.
Le mode de gouvernance est surtout un souci : faut-il opter pour une institution territorialisée de type Eurodistrict ou Eurorégion, ou bien est-ce mieux d’aller vers des réseaux de politiques publiques spécialisées et à géométrie variable, donc une option déterritorialisée. La dernière à l’avantage d’être flexible, sélective et peut-être plus efficace. Mais la démarche globale sera fragmentée. Il y a des risques d’incohérence et surtout un manque de visibilité que l’option territorialisée n’a pas. En Europe, différents types de gouvernance existent.
Pour la RMPT, plusieurs autres questions se posent. D’abord celle de l’échelle. La Grande Région prise dans son ensemble dépasse le projet de RMPT. Mais elle est adaptée comme structure faîtière de la gouvernance d’une telle région.
Il y a ensuite la question de savoir s’il faut définir le périmètre d’une telle RMPT. "Oui, si la RMPT est porteuse d’un projet de territoire", répond Christophe Sohn, et alors cette délimitation se fera sur base de l’adhésion des territoires concernés, de sorte que ce périmètre évoluera. Mais ce sera "non, si la RM PT est constituée d’un ensemble d’initiatives et de réseaux spécialisés", et alors elle sera à géométrie variable en fonction des thématiques. Par ailleurs, la RMPT doit s’articuler avec ce qui est déjà en place : la Grande Région, l’Eurodistrict SaarMoselle, Quattropole, l’Euregio SDaarLorLux+, etc... Et si la RMPT doit réussir, elle ne le fera qu’en se donnant du temps, avec des acteurs convaincus qui travaillent en confiance entre eux sur base d’un dialogue qui implique les habitants des territoires concernés.
Après une table-ronde qui a rassemblé des élus et un spécialiste, au cours de laquelle rien ne fut dit qui ne l’eût déjà été, ce fut à Franz Clément de faire la synthèse d’un jour et demi de discussions. Il a relevé trois grandes lignes qui ont traversé les débats : la démystification, les reconsidérations et l’adaptation.
Démystification : il a été dit que dès lors que la Grande Région ne se base pas sur "des racines communes", il n’y a pas d’identité culturelle propre. Mais la crise de la sidérurgie des années 70 a contraint les acteurs à se rassembler. Et ici, les difficultés pour fonctionner ensemble au niveau institutionnel ont rendu l’intervention des Etats nécessaire. La Grande Région n’est définitivement pas une, même si ce mythe peut servir.
Reconsidération : La taille de la Grande Région pose problème, tout comme les disparités institutionnelles des acteurs. Il est donc nécessaire de différencier entre l’espace et les institutions. Tout comme il faut se limiter à prendre en considération l’espace et les flux transfrontaliers qui s’organisent autour du Luxembourg. D’autre part, il faut respecter les souverainetés en jeu dans le cadre des contacts bilatéraux qui débouchent sur des projets concrets. Mais le risque existe que plus il y a de projets bilatéraux, plus on risque de désunir la Grande Région au lieu de l’unifier.
Adaptation : Les projets communs sont promus par des institutions, des Etats, des associations entre villes, des asbl, des parcs naturels, etc., selon le principe de la subsidiarité qui implique les niveaux de gouvernance les plus appropriés. Preuve en est la création innovante du premier GECT.
Conclusion : en 40 ans, beaucoup de choses ont été faites, mais actuellement, "la machine est grippée".