Le 25 avril 2013, l’Office de la propriété intellectuelle du ministère luxembourgeois de l'Économie et la représentation de la Commission européenne au Luxembourg, en collaboration avec Luxinnovation, le Centre de Veille Technologique (CRP Tudor) et Luxembourg for Business organisaient la 6e journée luxembourgeoise de la propriété intellectuelle.
Durant l’édition précédente, le traité ACTA, qui faisait alors l’objet de nombreuses critiques et manifestations, avait été beaucoup évoqué. Le projet, finalement rejeté par le Parlement européen le 4 juillet 2012, a laissé cette année la place à un autre projet, pour sa part, couronné de succès : à savoir le brevet unitaire européen. Ce dernier a fait l’objet de la signature d’un accord international, entre vingt-cinq Etats membres œuvrant dans le cadre de la coopération renforcée, à l’occasion du Conseil Compétitivité des 18 et 19 février 2013.
Pour le Luxembourg, cela implique notamment l’accueil de la Cour d’appel chargé de trancher les litiges en termes de propriété intellectuelle. Elle permettra des synergies avec d’autres juridictions et "un enrichissement pour le tissu national en matière de législation et de conseil", a expliqué le chef de la représentation de la Commission européenne au Luxembourg, Georges Bingen, en introduction de l’après-midi de discussions.
Georges Bingen a par ailleurs fait remarquer que le Luxembourg avait beaucoup développé les technologies de l’information, les infrastructures de télécommunications, les autoroutes de données et le stockage de données. Il est ainsi intéressé à disposer d’une "législation solide" en matière de propriété intellectuelle. Le ministre luxembourgeois de l’Economie, Etienne Schneider, qui lui succédait au micro, a confirmé l’importance stratégique de la propriété intellectuelle pour le développement des entreprises, mais aussi pour le renforcement de leur position concurrentielle au niveau national et international.
Le brevet unitaire européen permettra de "baisser considérablement le coût de la protection", tandis que la venue de la Cour d’appel "renforcera la place de Luxembourg comme siège d’institutions internationales", s’est par ailleurs réjoui le ministre.
L’intervenant suivant, le président de l’Office européen des brevets (OEB), Benoît Battistelli a, durant son intervention, rappelé que le Luxembourg avait participé aux premiers efforts européens vers un brevet unitaire, par la fondation en 1973 de l’Office qu’il préside et qui compte aujourd’hui 38 Etats membres.
Si les demandes de brevet européen émanent principalement des Etats-Unis (25 %), du Japon (20 %) et de l’Allemagne (7 %), le Luxembourg, eu égard à sa taille, arrive toutefois au 29e rang des pays demandeurs dans le monde. Parmi les 38 Etats membres de l’Office européen des brevets, il arrive en 17e place. Et si on calcule en brevets par habitant, il arrive en 5e place au niveau mondial, devant la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni.
"Dans la compétition mondiale, ce n’est pas avec ses ressources naturelles que l’Europe peut gagner des parts de marchés, pas en baissant son coût du travail mais en gagnant en compétitivité grâce à l’innovation, la créativité", a poursuivi le président de l’Office européen des brevets, Benoît Battistelli. Or, le brevet unitaire européen, auquel les Etats membres aspiraient depuis plusieurs décennies, donne "un avantage comparatif à l’économie européenne" et "permet à l’Europe de se faire entendre".
Certes, le brevet européen existait déjà. Il était possible depuis 1973 de ne faire qu’une seule démarche pour obtenir un brevet reconnu dans tous les Etats membres de l’UE. Toutefois, ce type de brevet est "resté à mi-chemin". Car, s’il était obtenu au niveau européen, il redevenait ensuite national dans la mesure où, en cas de litige, les juridictions nationales étaient seules compétentes. Ainsi, "dans de nombreux cas, pour protéger ses droits, il fallait faire un procès dans chaque pays". Et en cas de jugements différents selon les pays, les brevets pouvaient différer d’un Etat à l’autre. "Cela a cloisonné le marché intérieur", déplore Benoît Battistelli. De plus, à cette multiplication des brevets nationaux a correspondu une multiplication des coûts. Le brevet unitaire devrait au contraire afficher un prix 80 % inférieur à celui de son prédécesseur, dans la mesure où il apporte une "protection unitaire", moyennant la création d’une cour pour juger les litiges.
L’entrée en vigueur de ce brevet dépend de la création d’une telle Cour, laquelle constituera pour l’UE, fait remarquer Benoît Battistelli, la première "institution supranationale judiciaire chargée de régler des litiges entre intérêts privés". Pour ce faire, treize des vingt-cinq pays qui ont décidé d’une coopération renforcée devront avoir ratifié l’accord international.
Benoît Battistelli a rendu attentif également à l’importance de la publication des brevets et des informations techniques qu’ils contiennent. Le serveur espacenet de l’Office des brevets européens abrite ainsi 80 millions de documents couvrant toutes les demandes de brevet, avec une possibilité de traduction des descriptions techniques dans quatorze langues européennes. Cette "contrepartie au monopole" est aussi une base pour des innovations futures, a-t-il dit.
L’Office européen des brevets a adopté une classification de ces brevets commune avec les Etats-Unis. Néanmoins, similitude des classements ne vaut pas similitude des pratiques. Ainsi, pendant la séance de questions émanant du public, le président de l’Office européen des brevets a rendu attentif à l’importance de ne pas céder sur la rigueur de la délivrance des brevets durant les négociations pour la signature d’un "Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement avec les USA. "L'Europe a une procédure rigoureuse, très sélective", qui tranche avec celle des Etats-Unis où, "pour des raisons culturelles", on accorde sa confiance au système juridictionnel plutôt qu’en amont, à une administration qu’on ne veut surtout "pas lourde". Or, pour l’OEB, "le brevet est une exception à la liberté de la concurrence et de la liberté de commerce". Cette approche explique qu’une demande sur deux est rejetée. En conséquence, "on ne peut pas accepter n’importe quel brevet américain. Cela reviendrait à breveter de manière systématique des logiciels, des biotechnologies d’une manière qui ne correspond pas à nos règles. (…) Notre conception est beaucoup plus équilibrée, soucieuse du droit de l’auteur mais aussi des droits des tiers".
Benoît Battistelli a par ailleurs évoqué la "situation paradoxale" qui consiste "dans la reconnaissance de l’importance stratégique du brevet et simultanément la multiplication des critiques sur le brevet industriel, sur les limites de la brevetabilité dans le domaine du vivant". Il a invité les acteurs de la propriété intellectuelle à "ne pas rester dans leur tour d’ivoire, à participer au débat public, de manière à fournir des informations au public et aux décideurs."
Kerstin Jorna, responsable de la propriété intellectuelle à la direction générale Marché intérieur et Services de la Commission européenne, a constaté en début de son intervention qu’un "nombre grandissant de citoyens, y compris académiques" posent la question de la nécessité de la propriété intellectuelle. Toutefois, elle accorde à la propriété intellectuelle un rôle décisif : "Fermons les yeux. Imaginons 2030, un monde où la technologie atteint les endroits les plus reculés du monde, où tous les habitants se nourrissent sainement (…), où l’accès aux médicaments est acquis partout sur la planète, où chaque classe aura accès à la recherche de l’information, à internet. C’est un rêve à portée de main mais à une condition : saisir l’opportunité de la propriété intellectuelle pour diffuser l’intelligence humaine."
Alors que ce sont les Etats qui ont commencé au XIXe siècle à faire des lois régissant la propriété intellectuelle, l’Union européenne a unifié et parachevé l’œuvre, en créant l'infrastructure nécessaire, par le biais de neuf directives sur les droits d’auteurs, les titres européens, les marques etc. "C’est comme une autoroute : elle est mise en place par les autorités publiques, pour permettre aux acteurs économiques, aux citoyens de s’en servir." Une refonte de la législation sur les marques ainsi qu’une première législation européenne sur les transactions et sur les licences sont en cours de réalisation. La territorialité des droits d’auteur devraient être de son côté repensée.
"L’innovation est un outil de relance économique. L’autorité peut créer l’infrastructure et un cadre" sur le marché intérieur qui permet de "mettre les bienfaits de l’innovation de l’innovation dans le domaine de la santé, de l’environnement, de l’emploi à la portée de tous les citoyens", a expliqué encore Kerstin Jorna.