Le 29 mai 2013, la Commission mettait sur la table le projet de recommandations que le Conseil va adresser aux différents Etats membres dans le cadre du semestre européen. Au Luxembourg, les réactions ont été vives et rapides, et les députés de la commission des finances n’ont pas tardé à aborder le sujet.
Le 18 juin 2013, une heure d’actualité demandée par les groupes politiques CSV, LSAP, DP et déi gréng fut l’occasion de débattre en séance plénière des recommandations adressées au gouvernement luxembourgeois en présence du ministre des Finances, Luc Frieden.
Gilles Roth, président du groupe CSV à la Chambre, a ouvert le débat en commençant par constater que les recommandations formulées par la Commission sont proches de celles qui avaient été adressées au Luxembourg l’an dernier.
En ce qui concerne les finances publiques, l’approche de la Commission est proche de celle de la fraction CSV : pour son groupe politique, l’objectif est de ramener le budget à l’équilibre, sans pour autant mener une politique d’austérité assassine. Et le député a souligné les efforts faits dans ce sens par le gouvernement, dont il salue qu’il ait su prendre des mesures de consolidation tout en faisant beaucoup dans le domaine social.
Sur la question de la fiscalité, Gilles Roth rappelle que ce sera au prochain gouvernement de prendre une décision sur une éventuelle hausse de la TVA après 2015. La question ne doit pas être un tabou, pour autant que l’équité sociale est bien prise en compte, et même si une hausse de la TVA ne suffira sans doute pas à compenser les 700 millions de recettes générées par la TVA sur le e-commerce auxquelles va devoir renoncer le Luxembourg.
Pour Gilles Roth, la réforme des pensions conduite par le gouvernement l’an dernier est équilibrée, même s’il reconnaît qu’elle aurait pu aller plus loin. Il est bien conscient en effet des défis qui se posent à long terme, avec la perspective, d’ici 2060, d’avoir trois fois plus de retraités qu’aujourd’hui, dont la moitié ne résideront pas sur le territoire du Grand-Duché. Après cette réforme qui est un pas dans la bonne direction à ses yeux, Gilles Roth juge donc nécessaire d’avancer dans une deuxième étape.
La décision de limiter l’index à une tranche par an pendant la crise était juste du point de vue du chef de file du CSV à la Chambre. Ce système était adapté à la situation, et il a d’ailleurs fait ses preuves, juge-t-il en soulignant d’une part la prévisibilité qu’il a donnée aux entreprises et d’autre part le fait que le pouvoir d’achat a pu être préservé. Pour la suite, cela sera une fois encore une tâche qui reviendra au futur gouvernement. Pour Gilles Roth, confiant, il y a des alternatives, qui vont résider dans un mix de mesures, pour trouver l’équilibre entre les revendications des entreprises et la nécessité de maintenir le pouvoir d’achat.
La question du chômage, et notamment de celui qui frappe les jeunes, est un problème grave pour Gilles Roth qui retient notamment la nécessité de fournir aux jeunes une bonne formation professionnelle, tout en veillant à leur donner une meilleure orientation et en poursuivant les mesures ciblant les jeunes. Mais, a-t-il souligné, les jeunes Luxembourgeois doivent aussi changer de mentalité, et accepter d’aller travailler dans des secteurs comme la construction ou l’Horeca.
En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, Gilles Roth a souligné l’importance du tourisme à la pompe pour le budget du Grand-Duché. On ne peut renoncer à ces recettes du jour au lendemain, commente donc le député en réponse à la recommandation de la Commission d’agir dans la lutte contre le changement climatique en augmentant les droits d’accises. Pour le député, la lutte contre le changement climatique est pourtant bien loin de se réduire à une question fiscale, et elle doit être envisagée de façon bien plus globale.
Pour Gilles Roth, qui juge bon d’avoir un écho de l’extérieur sur la situation du Luxembourg, les objectifs que vise la Commission sont partagés, même s’il doit revenir au gouvernement et au parlement luxembourgeois de décider des moyens d’y parvenir.
Claude Meisch, chef de file des députés du DP, identifie dans les sujets qui font l’objet des recommandations des domaines dans lesquels son parti plaide depuis longtemps pour des réformes profondes.
Certaines sont d’ailleurs engagées, mais sans aller assez loin à ses yeux, comme la réforme des pensions. Il s’inquiète notamment de l’impact des retraites sur les finances publiques et propose par exemple que l’on renonce à l’avenir à l’ajustement des pensions.
En ce qui concerne l’index, Claude Meisch a souligné que la productivité diffère grandement selon les secteurs d’activité ; aussi il juge difficile d’avoir une politique d’indexation qui touche tous les secteurs de façon transversale. Mais, comme l’a rappelé le député, la question sera de toute façon laissée au prochain gouvernement, comme celle d’une éventuelle hausse de la TVA d’ailleurs.
Pour ce qui est de la recherche, le député note que les investissements qui ont été faits dans ce qui seront les emplois de demain ne donnent pas encore de résultats visibles, et il ne perd pas de vue le fait que ces investissements sont surtout publics à cette heure, et qu’il faudrait veiller à ce qu’il y ait plus d’investissements privés dans la R&D.
Pour Claude Meisch, la politique menée par le gouvernement en matière de lutte contre le changement climatique est un fiasco. Sans changement politique, il n’y aura pas de résultat, menace le député dont le parti plaide pour la mise en place d’une banque climatique visant à promouvoir la rénovation de bâtiments, ou encore pour le développement des transports publics.
Sa position est dure aussi vis-à-vis des efforts faits pour lutter contre le chômage, et il a insisté sur la nécessité de se pencher sur la formation fondamentale, mais aussi continue, sans perdre de vue les mesures d’activation nécessaires. L’enjeu est de savoir comment mettre en œuvre les mesures suggérées par la Commission. Le député a aussi mis l’accent sur la nécessité de réfléchir à la façon d’intégrer au mieux, tant dans l’école que sur le marché du travail, les personnes qui viennent d’ailleurs et qui sont toujours plus nombreuses avec la crise. Il s’agit de les guider et de les orienter au mieux pour faire face au risque d’une immigration précaire et de la frustration qu’elle peut générer.
Lucien Lux, chef de file des députés socialistes, estime qu’il ne faut pas se limiter à une vue technocratique dans des débats menés dans le cadre du semestre européen, dont il met en exergue un triple objectif : la compétitivité, la situation des finances publiques et la cohésion sociale. Le député socialiste se félicite qu’il y ait des objectifs communs en Europe, mais il rappelle aussi que c’est au niveau des démocraties nationales que doit être décidé par quels moyens atteindre ces objectifs.
Le leader du LSAP a mis en avant un certain nombre de points positifs relevés par la Commission dans l’analyse qui sous-tend ses recommandations : les scénarios macro-économiques du gouvernement sont jugés plausibles ; la dette publique brute reste bien en-dessous des valeurs de référence, même si elle a tendance à augmenter très vite ; le Luxembourg est un des rares pays à ne pas être soumis à une procédure de déficit excessif, et ce notamment grâce aux efforts qui ont été faits pour assurer des finances publiques saines ; la réforme des pensions conduite en 2012 est un pas dans la bonne direction et la productivité est relativement élevée au Grand-Duché. Bref, lorsque la commissaire Viviane Reding appelle le Luxembourg à "se réveiller", Lucien Lux lui rétorque que le gouvernement luxembourgeois est loin d’avoir dormi ces dernières années.
En matière de finances publiques, Lucien Lux rappelle que la question d’une hausse de la TVA a été une des pistes discutées à la Chambre lors du débat sur l’état de la Nation, et il a retenu de ces discussions un certain consensus sur la question d’une réforme fiscale. Mais il convient de garder un taux attractif et le LSAP tient à ce que l’on ne touche pas aux taux bas.
Pour ce qui est des pensions, Lucien Lux a fixé une ligne rouge : il n’est pas nécessaire selon lui d’augmenter l’âge statutaire de départ à la retraite, car entre l’âge statutaire actuel et l’âge réel de départ à la retraite, il reste de la marge.
En ce qui concerne l’indexation des salaires, le député socialiste se félicite de voir l’évolution positive des salaires au Luxembourg malgré la crise, la modulation de l’index votée à une large majorité ayant permis de garantir le pouvoir d’achat nécessaire à la croissance. Le prochain gouvernement devra faire une analyse approfondie de la situation et devra voir avec les partenaires sociaux, mais pour le LSAP, il s’agit de préférer à toute autre piste la solution actuelle d’une tranche assurée en octobre. Il refuse notamment l’idée d’un plafonnement, qui serait à ses yeux le début de la fin de l’index.
En ce qui concerne les émissions de CO2, Lucien Lux juge qu’il serait irresponsable de vouloir toucher aux recettes générées par le tourisme à la pompe. Le député socialiste souligne les gros efforts qui ont été faits pour le parc automobile, mais il est bien conscient que le deuxième plan d’action qui vient d’être présenté risque de ne pas suffire pour remplir les objectifs ambitieux que s’est fixé le Luxembourg. Le problème est global, et il est difficile d’agir au niveau national, admet le député qui plaide pour des mesures concrètes assez fortes, notamment en matière de transport public, qu’il va falloir définir pour l’avenir.
Pour François Bausch, qui s’exprimait au nom du groupe des Gréng, les chiffres macro-économiques sur lesquels se basent les analyses du gouvernement et de la Commission sont trop optimistes. La crise n’est pas derrière nous, met en garde le député qui reproche notamment au gouvernement de ne pas avoir anticipé la fin prochaine des recettes provenant de la TVA sur le e-commerce qu’il va falloir compenser au risque d’aggraver sinon plus encore la mauvaise situation budgétaire du Grand-Duché. Il constate d’ailleurs avec satisfaction que la Commission pointe la grande volatilité des recettes dans son analyse de la situation, et il plaide pour une amélioration de l’administration fiscale.
La recommandation de la Commission invitant le Luxembourg à instituer un contrôle indépendant de l'application des règles budgétaires n’est pas recevable aux yeux de François Bausch, qui s’est insurgé une fois de plus sur le frein à la dette que le Luxembourg va devoir transposer. Ce serait selon lui la capitulation du politique devant une règle technocratique.
Le chef de file des écologistes à la Chambre partage le constat de la Commission selon lequel la réforme des pensions menée va dans la bonne direction, mais aurait dû aller plus loin. Il a évoqué différentes pistes, comme par exemple un découplage de l’évolution des pensions de celle des salaires, des efforts pour réduire les départs anticipés à la retraite, ou encore des modèles flexibles qui restent à inventer pour permettre de travailler plus longtemps.
La question de l’index est considérée par la Commission seulement dans le contexte de l’évolution des salaires, déplore François Bausch, alors que c’est un mécanisme de compensation de l’inflation. Il juge lui aussi difficile de trouver une solution globale dans la mesure où une PME en perte de productivité a de toute évidence plus de difficultés avec le mécanisme que le secteur bancaire, très productif, par exemple. Il s’est montré favorable à l’idée de prolonger la modulation qui a été introduite au-delà de 2014.
A ses yeux, l’analyse qui est faite en matière de chômage est juste, et il regrette juste que la question de l‘orientation professionnelle ne soit pas assez mise en exergue. Pour ce qui est de la recherche, si beaucoup a été fait ces dernières années, comme le constate la Commission, François Bausch juge nécessaire un meilleur équilibre entre investissements publics et privés.
La Commission a un jugement dur sur la lutte contre le changement climatique, et c’est selon François Bausch à juste titre. Il déplore juste que la Commission ne se concentre que sur les transports, perdant de vue tout le reste. S’il est bien conscient de l’importance que représentent les recettes générées par le tourisme à la pompe, le député écologiste sait aussi qu’elle risque de disparaître à court ou moyen terme sous la pression de l’harmonisation européenne. Cet argent ne devrait donc pas être utilisé pour des dépenses de consommation, mais être placé dans un fonds pour l’avenir que les Verts appellent de leurs vœux.
Pour autant, la Commission oublie beaucoup de choses dans son analyse, estime François Bausch qui pense notamment à la lutte contre la pauvreté, ou encore aux potentiels que représentent les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. De même, quand il est question de compétitivité, les salaires seuls sont pris en compte, tandis que tous les autres facteurs sont perdus de vue.
Gast Gibéryen, qui s’exprimait au nom de l’ADR, a rappelé que son parti plaide en faveur d’une Europe des Nations, et il a salué les réactions suscitées par les recommandations de la Commission, citant notamment le président socialiste français, François Hollande, pour qui la Commission n’a pas à dicter à la France ce qu’elle a à faire. Le député s’inquiète de voir le Luxembourg recevoir à l’avenir non plus des recommandations, mais des obligations, s’il persiste à poursuivre la tendance négative qu’il suit actuellement, et ce notamment en matière de finances publiques. Son inquiétude est grande devant un déficit qui reste important alors que la fin des recettes provenant de la TVA sur le e-commerce est d’ores et déjà prévue, et que les recettes provenant du tourisme à la pompe sont aussi menacées à terme. Gast Gibéryen est sceptique vis-à-vis d’une hausse de la TVA, car c’est là un impôt injuste socialement. Or, pour l’ADR, la réforme fiscale doit être socialement juste. S’il estime nécessaire une réforme du système des pensions à long terme, là encore il met l’accent sur les mesures sociales qui doivent l’accompagner. Quant à l’index, c’est une garantie de paix sociale pour l’ADR qui s’oppose à l’idée d’un plafonnement de l’index. Pour Gast Gibéryen, s’il y a bien un moyen d’agir sur les effets de l’indexation des salaires, c’est en limitant l’inflation, contrairement à ce que fait le gouvernement.
Jean Colombera, député indépendant, s’inquiète lui aussi à l’idée que le Luxembourg se voit adressées à l’avenir non plus des recommandations, mais des obligations. La tendance néolibérale qu’il devine dans les recommandations de la Commission est loin de le réjouir. "Bruxelles ne voit que l’aspect financier des choses dans l’intérêt des lobbies", dénonce-t-il, jugeant que le transfert de compétences à des eurocrates est à l’origine de l’envolée de l’euroscepticisme. Sans cohésion sociale, l’Europe va échouer, met-il en garde.
Serge Urbany (déi Lénk) estime pour sa part que les recommandations venant d’un collège non élu et portant sur des sujets qui relèvent de compétences nationales expliquent en partie la méfiance à l’égard des institutions qui a marqué la séance plénière de la semaine précédente. Car le Luxembourg est lié par les orientations données par ces recommandations. L’intégration européenne telle qu’elle est menée est négative à ses yeux, car elle se fait au service du dumping social et écologique et au détriment de la démocratie. Ses propos ont été virulents pour dénoncer les recommandations faites. Sur le système de pension, cela reviendrait à créer un système à deux classes, tandis que le député s’insurge à l’idée de soumettre le contrôle budgétaire à un organe non parlementaire.
Luc Frieden, qui a jugé très utile l’exercice auquel se sont livrés les députés en débattant des recommandations, a rappelé que ces dernières vont être discutées par les ministres de l’UE, - qui sont responsables devant leur parlement respectif, - et ce dans différentes formations du Conseil de l’UE, à savoir notamment l’Ecofin et l’EPSCO. Cet exercice technique à l’origine est aussi politique, a souligné le ministre des Finances.
Luc Frieden constate que l’analyse sur laquelle se basent les recommandations est assez consensuelle, mais que c’est finalement sur les moyens d’atteindre les objectifs que diffèrent les différents partis.
Le ministre des Finances s’est dit heureux de s’entendre dire que le gouvernement est sur la bonne voie en matière de finances publiques. Les efforts portent leurs fruits, s’est satisfait le ministre en soulignant qu’à court terme, on s’en tient à nos objectifs. Le défi, ce sont désormais le moyen et le long terme.
De même, la réforme des pensions conduite parle gouvernement résout-elle bien des problèmes à court et moyen termes, même si le vieillissement de la population est un défi énorme auquel le gouvernement a bien l’intention de s’atteler. Il est tout aussi nécessaire de réfléchir à la politique fiscale, a souligné Luc Frieden, qui ne veut pas perdre de vue l’attractivité du pays. Il a annoncé que le gouvernement déposerait dans les prochaines semaines un projet de loi visant à transposer les nouvelles règles budgétaires découlant des réformes menées au niveau de l’UE et de l’UEM, lesquelles vont passer, voire sont déjà passées (pour le pacte budgétaire) par la Chambre.
Du point de vue de Luc Frieden, les orientations données par la Commission dans ces recommandations rencontrent l’approbation du gouvernement, reste maintenant à discuter des moyens de parvenir à ces objectifs. Et ce notamment à moyen et à long terme. L’enjeu est de faire en sorte que le Luxembourg soit plus attractif que ses voisins : Luc Frieden voit en effet là la condition de la croissance, qui est nécessaire pour mener la politique sociale qui permet la cohésion sociale.