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Economie, finances et monnaie
Yves Nosbusch, chief economist de la BGL BNP Paribas, a évoqué lors d'une conférence les questions de la crise des dettes souveraines dans l'histoire et dans la zone euro
18-06-2013


Yves Nosbusch, chief economist de la BGL BNP Paribas  source: BGLLa direction de BGL BNP Paribas Wealth Management organisait le 18 juin 2013 une conférence sur la dette souveraine dans l’histoire économique, sur les enseignements qui peuvent en être tirés et les perspectives qui en résultent dans une Europe en crise. La conférence était animée par Yves Nosbusch, économiste en chef de la banque. Yves Nosbusch est diplômé de Harvard (Ph.D.) et de la London School of Economics (M.Sc., B.Sc.) où il enseigne toujours. Ses recherches académiques, publiées notamment dans la Review of Financial Studies et le Journal of Monetary Economics, portent sur la dette publique (risque souverain, structure de maturité optimale) et les systèmes de pension.

Le cycle de conférences "Meet The experts", dans lequel s’inscrivait cette conférence, permet, comme le dit un communiqué de la banque, "aux clients de rencontrer plusieurs fois par an des spécialistes du groupe BNP Paribas capables de répondre à toutes leurs interrogations sur des thèmes liés à la gestion d’un patrimoine". Bref, la conférence s’adressait surtout à un public d’investisseurs petits et moyens qui était directement intéressé par les points développés par l’orateur.

La conférence d’Yves Nosbusch était divisée en cinq parties :

  • l’histoire de la dette souveraine et l’histoire surtout des défauts souverains, nombreux dans l’histoire des deux derniers siècles ;
  • les défauts dans les pays émergents ;
  • le rôle joué par les fondamentaux macroéconomiques spécifiques à un pays et importance qu’il faut ou non attacher aux forces de marché;
  • les implications pour un investisseur qui s’intéresse aux rendements sur les obligations souveraines ;
  • les enseignements apportés par l’histoire pour analyser la situation actuelle dans la zone euro et les perspectives en Europe.

Les défauts souverains

Entre 1800 et 2009, la période étudiée par Reinhart et Rogoff, il y a eu 250 défauts souverains pour ce qui est de la dette extérieure typiquement libellée en devises étrangères et détenue en majorité par des non-résidents, et 68 défauts pour ce qui est de la dette intérieure, libellée en monnaie du pays et détenue en majorité par des résidents. En Europe, l’Espagne a fait treize fois défaut avant 1900, la Grèce moderne a été en défaut la moitié des années depuis sa création en 1830, et la France a fait huit défauts avant la Révolution de 1789.

Les défauts souverains ont pris diverses formes : sortie des Etats-Unis de  l’étalon-or,  en 1933, consolidation par le Royaume Uni de sa dette liée au financement de la Première Guerre Mondiale par sa transformation en obligation perpétuelle, le recours par l’Inde à la "répression financière" en misant sur une inflation autour de 20 % tout en maintenant les taux d’intérêt entre 5 % à 10 %. D’autres pays montrent une "’intolérance à la dette" comme l’Argentine, qui a prononcé en 2001 son défaut de paiement malgré une dette publique tournant autour de 50 % du PIB seulement.

Pour Yves Nosbusch, il n’y pas de seuil critique de la dette publique par rapport au PIB que l’on peut fixer de manière dogmatique et en toutes circonstances. Le vrai débat, c’est la question de la croissance, Il n’est pas exclu que le manque de croissance crée en partie la dette, mais il est difficile de le prouver aussi bien que de prouver son contraire, que c’est la dette qui engendre une faible croissance.

Les pays émergents depuis les années 70

Les défauts souverains ont été nombreux dans les pays émergents depuis les années 70. Ils ont souvent en commun que la dette était libellée en dollars US. Comment prédire ces défauts ? Comment comprendre aussi les prix de marché des obligations de ces pays ? Une chose importante est selon l’économiste en chef de la BGL de prendre en considération le prix constitué par l’écart entre la dette émise en dollars US d’un  pays émergent et la dette émise par le Trésor fédéral des USA, un écart appelé SPREAD. Un outil pour ces considérations est le Emerging Markets Bonds Index (EMBI) de JP Morgan.

Quelques variables entrent dans la considération : les taux USA sur 10 ans et la volatilité des marchés américains anticipée par les marchés. Quant aux facteurs à prendre en considération, ce sont le rapport entre leur dette publique et leur PIB, et entre leur PIB et leurs réserves, les défauts de ces pays dans le passé, leurs termes d’échange, c’est-à-dire les prix du panier représentatif d’exportations comparé aux prix du panier représentatif des importations, la volatilité de ces termes d’échange, et de les comparer ensuite avec la notation de ces pays par les agences de notation financière. Si le pays en question exporte des matières aux prix élevés, cela est bon signe – exemple : le Chili exportateur de cuivre – mais si les principales matières sont volatiles sur les marchés, le risque de défaut est plus élevé, ce qui a un effet sur les obligations émises par un tel pays. Les défauts des pays émergents, fréquents dans des pays comme la Côte d’Ivoire, exportatrice de cacao, ou comme le Venezuela, exportateur de pétrole, sont liés à la volatilité des produits qu’ils exportent, mais se font alors que la dette publique est relativement modérée par rapport au PIB, en-dessous de 60 %.         

Le rôle des fondamentaux macroéconomiques

Yves Nosbusch est convaincu que les facteurs globaux expliquent très peu la question des défauts à long terme, mais seulement à court ou moyen terme. Les termes d’échange et leur degré de volatilité par contre sont utiles pour la prédiction à moyen et à long terme.

La zone euro

Pour l’économiste en chef de la BGL, les annonces de juillet 2012 de Mario Draghi sur l’action de la BCE et ensuite l’annonce du programme de rachat d’obligations OMT de septembre 2012 ont largement écarté le risque d’une crise systémique à court et moyen terme de la zone euro, avec pour effet que les écarts de rendement entre les obligations de l’Allemagne et celles de l’Espagne ou de l’Italie par exemple ont pu être réduits entretemps. Mais, insiste Yves Nosbusch, "la BCE ne peut pas traiter les problèmes macroéconomiques". Ce rôle revient à la politique et aux réformes structurelles qu’elle doit mener. La dette publique de la zone euro qui est de  91 % du PIB en moyenne est nettement moins élevée, a expliqué l’expert, que celle des Etats-Unis (111 %) et du Japon (213 %), mais "les marchés n’ont pas confiance".

Pourquoi ce manque de confiance ? L’UEM n’est pas une zone monétaire optimale selon les critères développés par Robert Mundell, explique Yves Nosbusch. Ce dernier met aussi en exergue quelques "incompatibilités fondamentales" dans les traités européens. Ceux-ci décrètent qu’il ne peut y avoir de défaut souverain, mais pas de bail-out d’un pays par les autres non plus et pas de monétisation de la dette publique. Comment empêcher par exemple la Grèce de faire défaut si le bail-out est interdit.

Pour avancer dans la zone euro, Yves Nosbusch plaide pour plus de fédéralisme budgétaire, "ce qui est politiquement difficile", et en attendant, pour des démarches en mesure de briser le cercle vicieux qui transforment le risque bancaire en risque souverain. L’Union bancaire est un moyen de ce genre, mais à condition que ses trois éléments constitutifs soient mis en œuvre : le mécanisme de surveillance unique, un fonds de garanties des dépôts européen et un mécanisme unique de liquidation ordonnée, le fameux fonds de résolution et de gestion.

Y a-t-il des avantages à ce que la Grèce fasse alors défaut et sorte de la zone euro, comme certains pays émergents ont eu des avantages à faire défaut, à l’instar de l’Argentine, se demande le conférencier. Pour lui, la réponse est négative. L’Argentine a pu reprendre le chemin de la croissance alors que les prix des matières premières augmentaient à partir de 2002, donc un an après son défaut. Mais la Grèce n’a pas que peu de matières premières à exporter et ne pourrait plus financer son déficit budgétaire, et cela d’autant plus que la zone euro est toujours en récession. Il lui faudrait retourner au contrôle des capitaux et à la logique des dévaluations compétitives à laquelle peu de monde veut retourner.

Par ailleurs, note Yves Nosbusch, les ajustements dans la zone euro progressent. Les déficits publics diminuent lentement, même si depuis sa création, la zone euro a toujours dépensé plus qu’elle n’avait de recettes. Le plus grand fardeau qui pèse sur la croissance future est pour lui le chômage des jeunes, avec le danger de l’émigration hors zone des plus qualifiés. Ceci dit, aucun pays de la zone euro, sauf l’Allemagne, n’a atteint un PIB réel supérieur à celui de 2007. Les réformes structurelles doivent donc continuer, et surtout "il ne faut pas "rétropédaler".

Quatre scénarios sont possibles sur les prochains cinq années, estime l’économiste en chef. Le meilleur serait une croissance qui reprend et une inflation qui baisse. Le deuxième scénario, une croissance stagnante ou en baisse, mais une inflation maîtrisée, serait une trappe pour les liquidités, et il faudrait se demander, face à une politique qui demeurerait inactive, qui achèterait les obligations souveraines. Le troisième scénario est celui d’une croissance bonne ou élevée mais couplée à une inflation non-maîtrisée : ce scénario de sortie de crise mal contrôlée créerait de "nombreux dégâts collatéraux". Le pire des scénarios serait une croissance en berne liée à une inflation en hausse, bref la stagflation.

En conclusion, Yves Nosbusch a expliqué que les marchés s’expriment de manière ambiguë : d’un côté il y a une forte reprise des marchés des actions, et les marchés n’anticipent pas l’inflation. Mais, les primes de risque restent élevées et la courbe des taux ne s'est pas encore "pentifiée". Reste que pour l'expert, d'autres scénarios ne sont pas à exclure.