Le 16 avril dernier, le Parlement européen donnait son feu vert à l’accord trouvé en trilogue en février 2013 au sujet de la réforme des règles prudentielles bancaires, connues sous le nom de CRR / CRD IV. Le Coreper avait confirmé son accord le 27 mars 2013, après que les ministres des Finances avaient décidé de se laisser un peu de temps pour finaliser les détails techniques lors de leur Conseil du 5 mars dernier.
Ce paquet législatif est constitué de deux textes, à savoir un règlement prévoyant des dispositions directement applicables aux banques en matière d’exigences de fonds propres, le règlement CRR, et une directive établissant l’organisation de la supervision, la directive CRD.
Pour l’ABBL, dont un des experts, Gilles Pierre, s’est attelé à une analyse détaillée de ces textes, les nouvelles règles en matière d’exigence de liquidités, qui font l’objet de discussions controversées depuis 2009, sont un des éléments essentiels de ce paquet législatif.
Le paquet législatif se concentre notamment sur le ratio de liquidité à court terme (LCR), qui découle du standard établi par le Comité de Bâle.
Ce ratio est destiné à s'assurer que les banques détiendront suffisamment d'actifs très liquides pour faire face à d'importantes sorties de fonds durant une période de crise aiguë de trente jours. Ce ratio est le résultat d'une division entre la valeur des actifs liquides de haute qualité et le montant net des sorties de liquidités sur une période calendaire de trente jours. Ce ratio doit être supérieur à 100 %.
Dans la définition initiale, publiée en décembre 2010, les actifs liquides de haute qualité étaient plus limités et ne comprenaient essentiellement que les liquidités ou les réserves auprès de la banque centrale. En janvier 2013, le Comité de Bâle avait revu ces standards de façon à inclure dans les actifs liquides des obligations d'entreprises notées A+ à BBB-, certaines actions ainsi que des emprunts hypothécaires résidentiels titrisés bénéficiant d'une note AA ou supérieure. Des modifications qui avaient alors été saluées par le secteur bancaire, l’ABBL ayant notamment apprécié la révision du calendrier de mise en œuvre ou encore l’élargissement des actifs considérés comme liquides de haute qualité.
Mais, observe Gilles Pierre, pour des raisons de décalage de calendrier, le paquet législatif CRR / CRD 4, ne prend pas pleinement en compte ces évolutions du standard établi par le Comité de Bâle, et l’ABBL estime qu’elles devront être intégrées ultérieurement dans le cadre législatif européen par le biais s’une procédure spéciale.
Le ratio de liquidité à court terme deviendra contraignant au 1er janvier 2015 et il sera introduit de façon progressive, les banques devant réunir à cette date 60 % des montants en vue d’atteindre 100 % d’ici 2018, un objectif qui pourrait être reporté à 2019 si la Commission le juge nécessaire au vu de l’évolution internationale et des conditions de marché. Une approche jugée "pragmatique" par l’ABBL qui salue le fait qu’elle laisse aux banques un délai raisonnable pour s’adapter aux nouvelles règles établies par le paquet législatif.
A l’issue d’une période d’observation et d’une évaluation d’impact, la Commission va compléter le paquet législatif par des actes délégués dont la publication est prévue pour le 30 juin 2014. Le règlement CRR prévoit que ces actes délégués suivront de près le cadre de Bâle III tout en reconnaissant certaines spécificités propres à l’UE.
Pour les groupes bancaires transfrontaliers de l’UE comprenant une société mère et plusieurs succursales, le règlement prévoit que le ratio de liquidité à court terme s’applique à un niveau consolidé et au niveau des entités légales.
Mais l’ABBL pointe la possibilité de déroger à cette règle visant à voir appliqué le ratio au niveau de chaque entité légale, la société mère pouvant détenir les actifs liquides de haute qualité pour le compte de ses succursales. Une exemption dont les avantages sont "évidents" aux yeux de l’ABBL, dans la mesure où une gestion centralisée de ces actifs réduit les coûts et les risques d’inefficacité, tout en assurant une circulation fluide des liquidités au sein du groupe.
L’exemption est accordée par les superviseurs à un groupe ou à un sous-groupe, à condition qu’un certain nombre de conditions soient remplies. Dans le cas où un groupe bancaire opère dans un seul pays de l’UE, le superviseur peut prendre seul la décision d’accorder cette dérogation. Dans le cas où un groupe opère dans plusieurs pays, les différents superviseurs concernés doivent trouver un accord, qui doit tenir compte de l’évaluation de l’organisation de la gestion du risque de liquidité au sein du groupe ou encore de la distribution des actifs de haute qualité que doivent détenir les entités du groupe.
Du point de vue de l’ABBL, beaucoup de succursales luxembourgeoises, qui sont souvent pourvoyeuses de liquidités, auraient intérêt à être exemptées du ratio de liquidité. Gilles Pierre observe toutefois que cette exemption ne sera pas neutre en termes de coût pour la succursale qui devra rémunérer l’engagement du groupe à fournir un soutien en liquidités.
Pour l’ABBL, les exemptions sont un moyen précieux d’introduire de la proportionnalité dans le cadre strict du ratio de liquidité à court terme. L’association estime aussi que le processus de décision portant sur l’octroi d’une dérogation dans le cas des groupes transfrontaliers devrait être facilitée par la mise en place du Mécanisme de supervision unique (MSU) dans le cadre duquel la BCE va assurer la surveillance des banques de la zone euro. En effet, la BCE pourra autoriser elle-même les exemptions pour les groupes bancaires de l’UE qui tomberont sous sa supervision directe.
Afin d’éviter que les banques ne se basent que sur les entrées de liquidités anticipées, le Comité de Bâle a décidé de limiter les entrées éligibles dans le calcul du ratio à 75 % des sorties de fonds. Cela implique donc que toute banque doit avoir une réserve minimale équivalente à 25 % des sorties de liquidités. Pour l’ABBL, cette décision, combinée avec l’exigence spécifique à la réglementation européenne qui consiste à appliquer le ratio au niveau de chaque entité légale, risque d’avoir des conséquences importantes pour nombre de banques luxembourgeoises. En effet, sauf en cas d’exemption, les succursales luxembourgeoises ainsi que les filiales non-UE vont devoir avoir une réserve d’actifs liquides de haute qualité équivalente à 25 % des sorties de fonds prévues. Une réserve minimale qui sera obligatoire dans toutes circonstances, même lorsque la banque compense très exactement ses sorties par des entrées de liquidités.
Aux yeux de l’ABBL, de telles contraintes ne répondent pas aux réalités du métier et il n’y a pas de justification économique à limiter les entrées de façon arbitraire.
De ce point de vue, l’ABBL salue les deux exemptions prévues dans la version finale du texte de règlement CRR qui prévoit d’exempter les entrées provenant de prêts hypothécaires financés par des obligations garanties d’une part et d’autre part celles provenant de prêts intra-groupes, qui seront soumises à une approbation du superviseur. Cette dernière exemption a d’ailleurs été activement défendue par l’ABBL et les autorités luxembourgeoises, révèle le papier de Gilles Pierre, l’objectif affiché étant de réduire le montant des actifs liquides de haute qualité que doivent conserver les succursales luxembourgeoises afin d’assurer leur capacité de fournir des liquidités à leur groupe.
Pour ce qui est des règles portant sur la prise en compte des sorties de liquidités, l’ABBL note que la définition des sorties provenant des dépôts des particuliers est plus restrictive dans le règlement européen que ne l’est l’approche choisie par la définition du Comité de Bâle, ce qui est au désavantage concurrentiel des banques européennes par rapport à celles qui mettront en œuvre les règles de Bâle III. L’ABBL pointe aussi l’incertitude liée au niveau de débit de sortie appliqué aux dépôts des particuliers. L’Agence bancaire européenne est chargée d’élaborer des lignes directrices pour identifier les catégories de dépôts soumises aux différents niveaux de débit de sortie, et un premier document publié en février 2013 a suscité l’inquiétude de l’ABBL qui plaide pour s’en tenir aux exigences de Bâle III.
En ce qui concerne les sorties sur les dépôts opérationnels, le règlement CRR est en ligne avec le Comité de Bâle, la stabilité de ces dépôts dans un contexte de compensation, de gestion de trésorerie ou d’autres services comparables est reconnue, et ils bénéficient d’un taux d’écoulement préférentiel de 25 %. Un taux jugé "plutôt satisfaisant" pour les banques dépositaires, note Gilles Pierre qui relève toutefois aussi une divergence par rapport à Bâle III en ce qui concerne les critères qualitatifs utilisés pour définir les dépôts opérationnels. Ces critères devront être clarifiés pendant la période d’observation. A ce titre, l’expert de l’ABBL explique aussi que le règlement introduit une nouvelle catégorie de dépôts opérationnels, une évolution qui répond aux demandes des banques européennes et dont le critère de définition sera évalué par l’Agence bancaire européenne pendant la période d’observation au cours de laquelle les banques pourront contribuer au débat.
Le règlement CRR transpose les dernières décisions du Comité de Bâle pour réduire le taux d’écoulement sur les dépôts des entreprises qui vont passer de 75 à 40 ou 20 %. Comme pour les engagements non utilisés, le CRR applique la même logique avec un taux d’écoulement de 10 % sur les facilités de liquidités et de crédit engagées inutilisées accordées aux entreprises. Une initiative saluée par l’ABBL car elle préserve la possibilité d’encourager l’activité dans le domaine des services bancaires aux entreprises en cette période de ralentissement économique.
Contrairement au Comité de Bâle, le règlement CRR laisse ouvert le montant du taux d’écoulement applicable aux engagements non utilisés accordés aux banques et autres institutions financières. Il sera déterminé par l’Agence bancaire européenne pendant la période d’observation. Pour l’ABBL, c’est une décision "décevante" dans la mesure où le comité de Bâle a prévu d’abaisser ce taux d’écoulement appliqué aux engagements non utilisés accordés à des banques de 100 à 40 %. L’ABBL regrette l’absence de sécurité juridique sur ce point et appelle l’Agence bancaire européenne à maintenir une pleine cohérence avec le cadre de Bâle III.
Par défaut, les prêts et dépôts intra-groupes sont traités comme des transactions avec des parties tierces, observe l’ABBL. Le CRR prévoit toutefois deux dérogations à ce traitement : la possibilité d’appliquer un taux d’écoulement plus bas que les 100 % applicables par défaut sur les dépôts provenant d’une entité du groupe et celle d’appliquer un taux plus élevé sur les entrées provenant d’engagements non utilisés accordés par une entité du groupe que les 0 % qui serait applicable par défaut. Ces deux dérogations sont soumises à une autorisation des superviseurs. Pour les banques transfrontalières, ces dérogations feront l’objet de critères additionnels qui seront spécifiés par l’Agence bancaire européenne. Pour l’ABBL, la nature spécifique des transactions intra-groupes justifie ce traitement différencié qui doit rester optionnel pour les groupes bancaires.
Le règlement fait référence à une évaluation à venir des actifs éligibles au titre de réserves d’actifs liquides de haute qualité par l’EBA. De nouveaux types d’actifs vont en effet être testés. A ce titre, l’ABBL salue le fait que les parts de fonds d’investissement investissant eux-mêmes dans des actifs liquides de haute qualité seront éligibles dans une limite de 500 millions d’euros. Pour les groupes bancaires, ce plafond va s’appliquer à chaque banque. Ces parts sont soumises à des décotes réglementaires de 5 et 20 % et elles peuvent être évaluées soit par la banque elle-même, après approbation de la méthode de calcul par le superviseur, soit par des tiers.
L’ABBL pointe toutefois un point qui mérite d’être clarifié, à savoir le fait que les fonds d’investissement ont souvent dans leur portefeuille des comptes bancaires de trésorerie qui ne répondent pas aux critères de définition des actifs liquides de haute qualité. Il y a donc un risque de voir la plupart des fonds d’investissement ne pas pouvoir être éligibles, observe l’ABBL qui est toutefois d’avis que là n’est pas l’intention des régulateurs. L’ABBL appelle donc à une adaptation pragmatique du règlement de façon à ce qu’il réponde à la réalité opérationnelle.
Enfin, en ce qui concerne les dépôts détenus par les banques centrales, ils sont considérés comme des actifs liquides de haute qualité dans la mesure où ils peuvent retirés en période de crise. Ce concept doit être traduit en termes opérationnels par les banques centrales et les superviseurs nationaux et de ce point de vue, l’ABBL note que la position de la BCE sera déterminante.
En conclusion, Gilles Pierre souligne que les nouvelles règles sont encore incomplètes et provisoires sur bien des sujets. L’Agence bancaire européenne va jouer un rôle essentiel dans l’élaboration des règles finales pendant la phase d’observation. Pour l’ABBL, il est essentiel que les règles finales reflètent les standards internationaux fixés par le Comité de Bâle tout en préservant les spécificités propres à l’UE. Dans ce contexte, l’ABBL se tient prête à coopérer activement avec l’EBA et les autorités européennes.