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Elections européennes
Des élections européennes qui auront un autre nez – Dans le cadre du cycle "Penser l’Europe", un débat a réuni les journalistes Guy Kemp, Michael Stabenow et Nathalie Vandystadt
12-11-2013


Europaforum.lu et Institut Pierre WernerLe 25 mai 2014 se dérouleront les élections européennes, qui pour la première fois, auront lieu au Luxembourg à une date différente de celle des élections législatives. Une raison de plus de scruter de plus près la signification de ces élections qui s’annoncent très différentes des échéances électorales européennes précédentes.

Dans le cadre du cycle "Penser l’Europe" de l’Institut Pierre Werner et d’Europaforum.lu, le public était ainsi invité, le 12 novembre 2013, à participer à une table ronde sur ces élections européennes autour des journalistes luxembourgeois Guy Kemp du Tageblatt, allemand Michael Stabenow du Frankfurter Allgemeine Zeitung et française Nathalie Vandystadt de La Croix et Europolitique. La soirée était organisée par l’IPW, Europaforum.lu et le Bureau d’information du Parlement européen à Luxembourg et animée par Victor Weitzel, responsable d’Europaforum.lu.

La problématique

En guise d’introduction, Victor Weitzel a évoqué sur les particularités de cette élection de 2014. Pour la première fois, le Parlement européen qui sera élu aura en effet d’emblée un rôle de co-législateur pour pratiquement toutes les politiques européennes et pour la première fois aussi, les partis en lice regroupés dans les grandes familles politiques européennes  – chrétiens-démocrates (PPE), sociaux-démocrates (S&D), libéraux (ALDE) et Verts/ALE  –  auront un candidat tête de liste. "Au début du processus, quand tout se passait encore de façon très vertueuse, ce candidat était censé viser en cas de victoire la présidence de la Commission européenne, entre temps, les choses se sont compliquées".

elections-pe-weitzel1Mais pour la première fois aussi, a rappelé Victor Weitzel, ces élections se tiendront sous le signe d’une crise financière, économique et sociale qui a duré toute une législature et qui n’est pas encore sur le point de se terminer, malgré les multiples interventions de l’UE, toutes institutions confondues, dont aussi le Parlement européen. La législature a donc été témoin de grands changements dans la manière de gouverner les Etats membres de l’UE à travers la coordination des politiques macroéconomiques, et "la question du rôle du Parlement européen se pose ici très clairement".

"Ces changements ne se sont pas opérés sans accroc, puisqu’à maintes reprises, les grands Etats membres surtout n’ont pas hésité à donner à certaines politiques une inflexion fortement intergouvernementale, qui a menacé l’équilibre entre les institutions de l’UE. Ces changements ont également soulevé la question de la légitimité démocratique de ces décisions et celle de la souveraineté des Etats et de leurs institutions, notamment les Parlements nationaux. Ils ont généré des oppositions à la nature perçue franchement comme néolibérale de nombreuses démarches censées amener des solutions alors que l’impact social de ces mesures a aussi limité la capacité des citoyens de s’approprier les politiques de l’UE".

Dès lors la crainte est d’ores et déjà formulée dans les grandes familles politiques européennes que sous le double coup des problèmes sociaux non résolus et de la réduction des marges de décision des Etats membres, les élections européennes conduisent à l’élection de nombreux eurodéputés eurosceptiques qui soit revendiquent la sortie de leur pays de l’UE, soit veulent mettre un terme au projet européen d’une autre manière. Face à "ce défi qui leur est lancé, il faut s’interroger sur leur capacité à le relever en se présentant chacune avec un message clair et fédérateur sur l’UE", a-t-il encore précisé.

Nouvelles prémisses institutionnelles et limites du rôle du Parlement européen

Nathalie Vandystadt : des candidats tête de liste, mais aussi des stratégies de recherche d’alliance avec d’autres partis

elections-pe-vandystadt2Pour la journaliste française Nathalie Vandystadt, si ces élections sont en effet annoncées comme "différentes" puisqu’elles seront les premières depuis la ratification du traité de Lisbonne en 2009 "qui insuffle un nouveau système, les choses restent en réalité très floues". "La grande question est de savoir s’il y aura une automaticité entre la victoire d’une tête de liste au Parlement européen et la nomination du prochain président de la Commission européenne. Pour moi elle reste entière, même si on a eu une grande partie de la réponse au dernier Conseil européen", a-t-elle indiqué. 

A l’issue de ce Conseil, la chancelière allemande Angela Merkel avait en effet déclaré qu’il n’y avait aucune automaticité entre ces événements. Par ailleurs la position de l’actuel président du Conseil, Herman Van Rompuy, renforcerait la confusion entretenue sur le sujet. Celui-ci a ainsi répété à plusieurs reprises que rechercher des visages pour l’UE n’était pas une solution. "Selon moi il sait de quoi il parle puisque si le traité de Lisbonne a pu être 'vendu' à l’opinion comme une occasion de mieux incarner l’UE à travers de nouveaux visages bien identifiés, Herman Van Rompuy a joué à l’inverse un rôle plutôt dans les coulisses du Conseil européen pour trouver des compromis à 28. Donc il n’est pas favorable à cette politisation de la présidence de la Commission européenne", estime Nathalie Vandystadt.

La lettre du traité de Lisbonne n’apporterait à ce sujet pas davantage de précision. L’article 17 du traité précise en effet que : "En tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission. Ce candidat est élu par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent […]". "On peut donc facilement conclure dans la foulée des déclarations d’Angela Merkel que le seul vrai pouvoir du Parlement européen serait de dire oui ou non au candidat proposé", ajoute-t-elle.

Le débat reste d’ailleurs entier à Bruxelles. Ainsi l’eurodéputé français Alain Lamassoure (PPE), ancien de la Convention qui avait mené au projet constitutionnel européen, avait contesté l’interprétation de la chancelière. Selon lui le prochain président de la Commission européenne ne pourra être nommé comme un haut fonctionnaire "à huit-clos" par les dirigeants européens, mais il sera issu d’une élection législative gagnée par son parti à l’échelle de l’UE, bénéficiant dès lors d’une légitimité conférée par le vote de 500 millions de citoyens européens.

"Il y a autant de visions que de députés européens, et s’il est vrai qu’il y a une volonté de politisation pour cette nomination, notamment parce que Martin Schulz, actuel président du Parlement européen, est le candidat qui prendra la tête de liste des sociaux-démocrates européens, il y a également des voix divergentes", assure la journaliste. Ainsi la députée française Sylvie Goulard (ALDE) assure pour sa part qu’une politisation de la nomination du président de la Commission européenne risque de frustrer davantage les citoyens européens.

La journaliste analyse dès lors que pour qu’un candidat soit crédible aux yeux du Conseil, sa victoire devrait être large, ce qui s’annonce difficile, le risque étant d’avoir des écarts très serrés entre les partis traditionnels dans un contexte de montée des partis eurosceptiques et europhobes. "D’où la stratégie de recherche d’alliance avec les autres partis qu’on peut voir émerger chez Martin Schulz", précise-t-elle. Nathalie Vandystadt note par ailleurs que le candidat Schultz était entré en campagne électorale bien avant sa désignation officielle comme tête de liste des sociaux-démocrates européens, mais que lui-même se trouve dans une position particulière. En négociation de coalition avec Angela Merkel pour la formation du gouvernement allemand, la chancelière dont il aura par ailleurs besoin du soutien, "il n’est pas trop critique vis-à-vis de la chancelière mais l’est beaucoup plus à l’égard du PPE".

Sur le rôle du Parlement européen, la journaliste estime également que la crise a renforcé la méthode intergouvernementale au détriment de la méthode communautaire et que "si sur le papier le Parlement a gagné beaucoup de pouvoir, paradoxalement, lorsqu’il y a eu un débat important sur l’espace Schengen, si le Parlement a essayé de jouer son rôle, il a finalement perdu le débat. Malgré ses rodomontades contre les Etats membres, ceux-ci gardent le dernier mot sur la réintroduction de contrôles aux frontières internes. Le Parlement n’a eu que des miettes en gagnant  un droit de regard sur l’évaluation du fonctionnement de Schengen. Cette affaire illustre bien la désillusion des parlementaires par rapport au poids démocratique qu’ils pensaient pouvoir  jouer grâce à Lisbonne".

Et de citer le groupe des Verts/ALE qui avait à l’occasion déclaré par la voix de Hélène Flautre, députée européenne membre de la commission des libertés civiles du Parlement européen, que "s’asseyant sur l’esprit du traité de Lisbonne, l’Union européenne a raté l’occasion d’établir un espace Schengen pleinement européen et démocratique".

Michael Stabenow : "Il faut parler de l’Europe"

elections-pe-stabenow2Pour Michael Stabenow, "les élections projettent déjà leur ombre sur le débat politique". Le correspondant de la FAZ à Bruxelles s’attend à ce que le prochain Parlement européen soit "nettement plus bariolé" que l’actuel. L’UKIP britannique risque, avec ses thèses anti-UE, de rassembler le plus grand nombre de voix au Royaume Uni. Geert Wilders risque de prendre de l’importance aux Pays-Bas. Le Front national français pourrait selon divers sondages devenir le parti le plus fort en termes électoraux issu du scrutin européen. Et des constellations de ce genre sont envisageables dans bien d’autres Etats membres. En Allemagne, la Aktion für Deutschland (AFD), le nouveau parti eurosceptique qui a frôlé la barre des 5 % aux élections du 22 septembre 2013 pour le Bundestag, risque de remporter des sièges au le Parlement européen, puisqu’ici, la barre est de 3 %. D’autres partis situés à la marge comme les Pirates pourraient également bénéficier de ce nouveau seuil de 3 % fixé suite à l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe du 9 novembre 2011, et cela d’autant plus si la participation aux élections européennes devait s’avérer faible.

C’est d’ailleurs la participation aux élections européennes qui fait surtout problème, puisqu’elle a reculé constamment depuis 1979, ce qui grève la légitimité du Parlement européen. "Les acteurs de la campagne électorale seraient bien avisés de ne pas mettre en avant l’argument de la participation et de la légitimité, mais ils devraient avant tout veiller à ce que le scrutin ne se transforme pas en scrutin pour protester contre les gouvernements en place, ce qui est normalement le cas et se fait selon des critères nationaux", avertit le journaliste. "Il faut parler de l’Europe", recommande-t-il. Mais comme le fossé entre décideurs et citoyens s’agrandit, il n’est pas certain que cela se fasse ainsi.

Pour Michael Stabenow, les pouvoirs élargis en matière de codécision du Parlement européen ne datent pas seulement de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en décembre 2009, mais de bien avant, c’est-à-dire du traité de Maastricht. "Mais cela n’a pas été perçu en tant que tel", fait-il remarquer, "et c’est cela qui a changé." Certes, il y a depuis le traité de Lisbonne nettement plus de domaines politiques sont couverts par le Parlement européen. "Mais ce qui a changé avant tout", souligne le fin observateur des affaires européennes, "c’est qu’aujourd’hui, on gouverne à un rythme accéléré. Et l’institution qui a toujours le nez devant pour pointer vers les nouveaux développements, c’est le Parlement européen." Et de citer à titre d’exemple la directive sur le tabac, les travaux sur l’endiguement des émissions de CO2, qu’il s’agisse de voitures ou d’efficacité énergétique. Les médias, qui ont besoin de mettre les choses en relief, contribuent à forger cette nouvelle réputation du Parlement.

De l’autre côté, fait remarquer Michael Stabenow, la crise a poussé les gouvernements à aller au-delà des traités, par exemple avec le pacte budgétaire ou TSCG ou la création de l’EFSF ou du MSE, des mesures hors traités qui ne concernaient donc pas le Parlement. "Il y a eu ici une privation de pouvoirs à froid du Parlement européen qui a dû faire bonne figure contre mauvaise fortune", car estime le journaliste, cela aurait été trop risqué de procéder à un amendement des traits européens, vus les risques encourus dans certains Etats membres, comme la France, en cas de ratification par voie de référendum.

Quant au succès de la candidature tête de liste de Martin Schulz qui brigue aussi la présidence de la Commission européenne, Michael Stabenow a été formel : "Je ne crois pas que Martin Schulz sera le prochain président de la Commission."

Guy Kemp : "Martin Schulz pourrait tout à fait être le candidat de la France et de l’Allemagne"

elections-pe-guy-kempPour le journaliste du Tageblatt, malgré les compétences supplémentaires acquises par le Parlement européen depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la gestion de la crise a mené à ce que de nombreuses décisions soient prises au niveau des gouvernements des Vingt-Huit sans contrôle démocratique du Parlement européen.

"Cela a beaucoup énervé les parlementaires européens mais finalement, ceux-ci n’ont pas pu faire grand-chose pour s’y opposer", assure-t-il. Néanmoins le Parlement européen a réalisé un travail important sur des sujets comme la régulation bancaire. "Il a ainsi montré sa compétence à travailler bien et rapidement, la plupart des projets législatifs qui lui étaient soumis sont passés en procédure de première lecture", poursuit Guy Kemp qui souligne aussi sa capacité à travailler avec la Commission et le Conseil dans les trilogues informels. Le Parlement a subi des défaites, comme sur la question de son rôle lors de rétablissements temporaires des contrôles aux frontières. Mais il a joué un rôle déterminant sur les dossiers SWIFT et PNR, ou dans le domaine de la protection des données.

L’accord trouvé sur le budget 2014, le premier dans le cadre du CFP 2014-2020, est pour Guy Kemp une chose positive, même si le vote définitif sur le CFP n’a pas encore eu lieu. Le Parlement européen s’est placé dans le jeu du financement de l’UE de manière telle qu’il dispose d’un bon levier pour pousser vers plus de ressources propres de l’UE et moins de dépendance des Etats membres. Les flexibilités qu’il a réussi à négocier permettront à des fonds non dépensés au cours d’une année de rester en partie dans le budget de l’UE l’année qui suit, ce qui pourrait à terme diminuer la contribution des Etats membres. En fait "le Parlement européen est la plus européenne des institutions de l’UE", juge Guy Kemp qui suit ses activités depuis presqu’une décennie.

Mais il n’est sûr que ces acquis influencent le déroulement du scrutin, même s’il fait sens d’en parler. Pour Guy Kemp, ce serait une bonne chose qu’il y ait néanmoins des débats entre candidats tête de liste et qu’il y ait aussi des candidats venant d’autres Etats membres sur les listes nationales.

Quant à la question de savoir si le candidat tête de liste de la liste victorieuse pourrait prétendre à la présidence de la Commission européenne, Guy Kemp souligne que l’article 17 ne dit rien dans ce sens, mais qu’il constitue "une tentative frileuse de donner plus de légitimité politique au président de la Commission". Mais l’article 17 est "flou, parce que l’on manquait de courage pour émettre un message plus clair". Déjà, en 2009, l’on a essayé selon le journaliste, de respecter avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne l’esprit de cet article. Le PPE avait gagné les élections. José Manuel Barroso, affilié au PPE, était le président sortant, et se retrouvait donc reconduit. D’automaticité, il n’y en aura pas, pense Guy Kemp, d’autant plus que tous les membres du Conseil européen auront leur mot à dire. Reste que Martin Schulz, qui mène pour son parti, le SPD, les négociations sur le nouveau gouvernement fédéral allemand pour les questions européennes, arrive fort bien à s’entendre avec la chancelière, et que Martin Schulz pourrait tout à fait être le candidat de la France et de l’Allemagne. Viviane Reding aurait de ce côté-là plus de problèmes avec le gouvernement luxembourgeois, alors que ce sont toujours les gouvernements qui désignent leur commissaire et que ce poste joue aussi un rôle dans les négociations de coalition.

Au cours de la discussion sur les prémices institutionnelles des élections européennes,  Michael Stabenow a esquissé ce qui a changé depuis un certain temps sur l’échiquier politique européen. Rappelant que José Manuel Barroso avait dû se soumettre deux fois au vote du Parlement européen entre septembre 2009 et janvier 2010, et ce à un moment où le PPE était à la tête d’une quinzaine de gouvernements de l’UE, il a pointé la situation actuelle où cela n’est plus le cas. Il ne suffira plus d’être le groupe politique le plus fort. Il faudra dorénavant arriver à former des majorités dans un Parlement européen qui sera nettement plus hétérogène. Il est tout à fait imaginable que le PPE et les sociaux-démocrates du S&D n’arrivent plus à former, comme cela a été l’habitude depuis plus de trente ans, à eux seuls une majorité. Une option de type Gambia – S&D, Verts et libéraux – est aussi difficile au sein du Parlement européen, car l’ALDE est un partenaire difficile, puisqu’on y trouve des grands fédéralistes comme Guy Verhofstadt, mais aussi des libéraux plus sceptiques.

Pour Nathalie Vandystadt, le fait que Martin Schulz se soit lancé à la conquête de la présidence de la Commission et avec une volonté claire de politiser le scrutin est une chose positive, car cela établit un lin plus clair entre les élections et la nomination du président de la Commission qui en émanerait.

S’il pense que ce sera difficile de faire émaner le président de la Commission de ces élections, Guy Kemp est lui aussi convaincu qu’il s’agit d’une "chance de pouvoir faire une vraie campagne électorale européenne".

La montée des europhobes : son ampleur et ses limites

Pour Nathalie Vandystadt, c’est un article récent du Guardian titré "How Europe could face its own shutdown" et sous-titré "Just as the Tea Party has paralysed Congress, an alliance of populist anti-EU parties could force Europe into gridlock" qui illustre bien les craintes actuelles. La culture politique du Parlement européen est celle des compromis entre les grandes familles politiques, et ce en amont des plénières, dans les commissions de travail parlementaires. Les partis eurosceptiques ne veulent pas entrer dans ce jeu-là. De surcroît certains sont anti-islamiques, anti-immigrés et parfois racistes, même si tous ne sont pas dans ce cas. Le risque est néanmoins réduit qu’ils arrivent à former un grand groupe politique. Reste qu’ils pourraient être en mesure de bloquer des décisions. Par ailleurs, elle a dressé le constat que « le sentiment de rejet » augmente à l’égard de l’UE, qu’il "n’y a pas de véritable attachement à l’Europe », et que là, la politique avait « un travail à faire".

Michael Stabenow a mis de son côté en garde contre la tentation de se complaire dans des scénarios d’horreur. Les électeurs sauront séparer le grain de l’ivraie, comme les Allemands l’ont fait avec l’AFD qui a échoué à entrer au Bundestag, même si ce parti a joué un grand rôle au cours de la campagne. Mais il se trouve que "les grands partis ont réussi à lier le potentiel eurosceptique parmi l’électorat." Pour le journaliste allemand, l’idée que le Front national puisse rassembler en France ne serait-ce que la moitié des 24 % de voix que lui prédisent les sondages serait déjà "une défaite de la démocratie". Il faudra donc que les partis politiques pro-européens fassent clairement passer le message que le Parlement européen prend des décisions qui ont un effet direct sur la vie quotidienne des citoyens européens et qu’il est donc nécessaire d’appeler les électeurs à s’exprimer sur l’UE. Le risque existe néanmoins que jusqu’à un tiers des nouveaux élus au Parlement européen soient des eurosceptiques. Les partis politiques et les gouvernements qui sont en faveur de l’UE devront donc selon Michael Stabenow dire ouvertement qu’ils veulent plus d’intégration, et éviter, bien que ce ne soit pas très populaire de vouloir "plus d’Europe", de lancer des appâts aux relents eurosceptiques comme les redondantes critiques "contre le centralisme de Bruxelles".  

Guy Kemp a exprimé l’espoir que Michael Stabenow se voie confirmé dans ses prévisions plus positives. Les élections européennes et les élections fédérales allemandes sont pour lui difficilement comparables. "Lors des élections européennes, les électeurs se défoulent volontiers", constate-t-il. Et au Royaume Uni, les électeurs pourraient préférer les eurosceptiques originaux du UKIP à leur copie, les conservateurs. S’y ajoute que la crise a contribué à grossir les formations politiques en marge de l’échiquier au fur et à mesure où le sentiment de solidarité entre Européens a pris des coups.                          

Au cours de la discussion, il a été constaté que d’ores et déjà, plus de 100 partis ont des élus au Parlement européen, et que pourtant, il a été possible de regrouper le plus grand nombre dans 7 groupes politiques, alors que les conditions pour former un tel groupe sont très exigeantes. Il a aussi été constaté que le Parlement européen ne fonctionne pas avec des majorités stables comme les parlements nationaux, mais avec des majorités mixtes ou fluctuantes, selon la nature des dossiers et des intérêts nationaux. Guy Kemp a dans ce contexte rappelé que "ce n’est pas la Commission européenne qui est élue aux élections européennes, mais le Parlement européen, tout comme on n’élit pas au niveau national un gouvernement, mais un parlement national".

Les enjeux au Luxembourg : la fin d’une époque ?

Ce fut à Guy Kemp de résumer la situation. Tant que les dates des élections nationales et européennes ont coïncidé, et cela a été le cas depuis 1979, la campagne électorale nationale primait, la campagne européenne était faible. Autre constat : l’UE n’a pas été un vrai sujet lors de la récente campagne électorale pour les législatives luxembourgeoises du 20 octobre 2013. Cela devrait donc être rattrapé de manière intense dans les prochains mois. Se posent aussi d’autres questions. Au CSV, qui a trois élus, qui sera candidat n’est pas encore clair. Le LSAP devrait présenter selon Guy Kemp une toute nouvelle liste. Les Verts devraient être menés par Claude Turmes et les libéraux par Charles Goerens. Finalement, le journaliste du Tageblatt n’est pas convaincu que le CSV puisse de nouveau remporter trois sièges.

Michael Stabenow, qui suit aussi pour la FAZ les affaires politiques des pays du Benelux, "le rôle du Luxembourg, qui a toujours agi sur le terain européen avec de grands noms, est au seuil d’une césure". Avec la défaite de Jean-Claude Juncker, "cette époque touche à sa fin". Une autre époque qui touche selon lui à sa fin, ce sont les consultations entre pays du Benelux quand il s’agissait de pourvoir des postes, et que l’on veillait à ce que les trois grandes familles politiques traditionnelles – chrétiens-démocrates, sociaux-démocrates et libéraux - soient chacune dotée de postes importants dans l’UE. La divergence des évolutions politiques intérieures de ces trois pays a ici fait son œuvre.