Le 27 novembre 2013, la Commission Environnement, santé publique et sécurité alimentaire (ENVI) du Parlement européen a rejeté la proposition de directive modifiant la directive 2001/110/CE relative au miel présenté par la Commission européenne en septembre 2012. Elle est pour ce projet la commission qui s’occupe du fond du dossier et est donc compétente pour formuler le rapport soumis à la plénière.
La proposition de la Commission européenne fait suite au jugement de la Cour de justice de l’Union européenne de septembre 2011 (affaire C-442/09) dans l’affaire Bablok, du nom d’un apiculteur bavarois qui s’était plaint devant la justice allemande de la contamination du pollen qu’il produisait dans ses ruches par le maïs transgénique MON 810 d’un champ d’expérimentation sur des terrains appartenant à l’Etat de Bavière.
Dans son arrêt, la Cour de Justice de l’Union européenne a notamment statué que le pollen présent dans le miel devait être considéré comme un ingrédient du miel, au sens de la directive de l’article 6 de la directive 2000/13/CE relative au rapprochement des législations des États membres concernant l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires ainsi que la publicité faite à leur égard. Cela implique que l’étiquetage du miel, qui n’est dès lors pas un mono-ingrédient, devrait se présenter sous la forme d’une liste d’ingrédients. Dès lors, la référence pour le calcul du seuil d’étiquetage du pollen avec OGM, prévue par le règlement de 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés (LIEN), serait non pas la quantité de miel mais la quantité de pollen contenu dans le miel.
La Commission européenne proposait donc de modifier la "directive miel", afin de revenir à la situation qui primait avant cette jurisprudence de la CJUE, en définissant le pollen comme constituant spécifique du miel, plutôt que comme ingrédient du miel. Elle le justifiait en affirmant que "le pollen n'entre dans la ruche qu'à la suite de l'activité des abeilles" et qu’il "se trouve dans le miel, que l’apiculteur procède ou non à l'extraction du miel par centrifugation". Elle s’appuyait sur la définition du miel énoncée dans le Codex alimentaris de l’Organisation mondiale de la Santé.
La Commission précisait que ce retour à une situation antérieure s’opèrerait sans préjudice de l'application du règlement n° 1829/2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés au miel contenant du pollen génétiquement modifié. Néanmoins, selon ce règlement, l’étiquetage avec OGM n’est obligatoire qu’à partir d’une présence égale à 0,9 % du volume par ingrédient ou par produit, si ce dernier n’est constitué que d’un ingrédient. Or, selon les apiculteurs, le pollen n’atteint jamais ce seuil en rapport à la masse du miel. Il ne serait soumis à l’étiquetage OGM que s’il est considéré comme un ingrédient mais pas dans le cas contraire.
Dans l’avis favorable à la proposition de la Commission européenne qu’elle avait adoptée le 6 novembre 2013, la commission Agriculture (AGRI) du Parlement européen souligne clairement cet enjeu de cette modification de la directive relative au miel. En cas d’adoption, "la quantité de pollen génétiquement modifié autorisée pour l'application du seuil d'étiquetage de 0,9 % devra être calculée en pourcentage de la quantité totale du produit mono-ingrédient que constitue le miel, plutôt qu'en pourcentage de la quantité totale de pollen". En conséquence, "il est peu probable que la présence de pollen OGM dépasse le seuil autorisé dans le miel", puisqu’en pratique, "les valeurs sont de l'ordre de 0,005 à 0,05% (toutes ingrédients confondus, y compris le pollen) dans le miel".
La commission AGRI met en avant l’intérêt économique du secteur apicole pour justifier cette modification. Les règles découlant de la jurisprudence de la CJUE abimeraient l’image du produit. "Si le miel peut potentiellement être étiqueté comme contenant du pollen génétiquement modifié comme un ingrédient, cela affectera clairement la réputation du miel comme un produit naturel", lit-on dans le rapport. Ainsi, en désignant le pollen comme un ingrédient, "les consommateurs peuvent penser que le pollen est un produit distinct qui est ajouté au miel, alors que ce n'est pas le cas".
De plus, cette décision impliquerait des coûts supplémentaires, en raison des tests qu’il y aurait à réaliser pour obtenir les renseignements nécessaires pour l'étiquetage, lesquels tests resteraient d’ailleurs selon elle encore à inventer. Cette charge serait "davantage ressentie par les apiculteurs qui produisent à petite échelle" tandis qu’il serait possible que "certains apiculteurs amateurs n'arrêtent leur activité en conséquence".
Pour l’eurodéputée du Groupe des Verts/ALE et membre de la commission ENVI, Sandrine Bélier, les députés de sa commission, qui est en charge du rapport pour la plénière, ont par contre par leur vote, "privilégié les intérêts des apiculteurs, des abeilles et des consommateurs européens". Elle en veut pour cause que "le miel contaminé par les organismes génétiquement modifiés pourrait être de plus en plus présent sur les rayons des magasins du fait des importations de miel en provenance de pays ayant fait le choix de cultiver des OGM", lit-on dans le communiqué de presse diffusé à l’issue du vote. Elle cite les exemples de la Roumanie et de l'Espagne, qui sont deux des principaux États producteurs de miel de l'UE et qui cultivent du maïs génétiquement modifié. "Assurer un étiquetage du miel contenant du pollen contaminé permettra de garantir l'information sur la qualité et la liberté de choix des consommateurs européens", dit-elle.
En janvier 2013, vingt associations européennes d’apiculteurs ou proches de ces derniers, parmi lesquelles la Fédération des unions d'apiculteurs du Grand-Duché de Luxembourg (Lëtzebuerger Beienziichter) s’étaient élevées dans une prise de position commune, contre le projet de la Commission européenne. Cette proposition "ne règle pas le problème des OGM dans l’apiculture (…) mais elle règle bel et bien le problème de l’apiculture pour les producteurs d’OGM", prévenaient-ils. Ils estimaient que "la conséquence logique de cet arrêt aurait dû être l’édiction par les Etats membres de règles visant à protéger l’apiculture contre les contaminations par les OGM".
Ils rappelaient dans leur prise de position que l’innocuité des OGM n’est pas établie et que "l’utilisation des OGM est dans 99 % des cas associée à l’usage d’un pesticide et à un modèle d’agriculture non favorable au bien-être de l’abeille". Soulignant que "les consommateurs européens sont clairement opposés à la présence d’OGM dans leur nourriture", la contamination par les OGM a "des conséquences importantes sur la qualité marchande du miel et des autres produits de la ruche".
Ils affirmaient également que " le pollen est bel et bien un ingrédient du miel". Si sa présence est en partie naturelle car résultant du transport par les abeilles, elle est également liée à l’intervention de l’apiculteur lors de la centrifugation du miel, disaient-ils. Reprenant les termes de la CJUE, ils expliquaient que le pollen en est une "composante normale", mais "n’en demeure pas moins un ingrédient".
De surcroît, les apiculteurs rendaient attentifs à la seconde modification prévue par la proposition, à savoir le droit qu’aurait désormais la Commission de modifier seule les annexes de la "Directive miel" qui garantissent la qualité du miel et la protection des intérêts des apiculteurs européens. Ils redoutaient que la Commission puisse "remettre en cause le résultat de longues négociations" et s’aligner sur des normes internationales moins exigeantes, lesquelles "évoluent sous la pression du commerce et de l'industrie agroalimentaire".