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Agriculture, Viticulture et Développement rural - Développement et aide humanitaire
Lors d'une conférence sur les prix agricoles en rapport avec la faim dans le monde, Jacques Berthelot pointe la politique européenne en matière d’agrocarburants et sa politique d’accords bilatéraux
17-11-2014 / 17-11-2014


Jacques Berthelot est un économiste agricole et ancien maître de conférences à l'École nationale supérieure agronomique de ToulouseInvité par plusieurs ONG luxembourgeoises à une conférence intitulée "Réguler les prix agricoles, pour que tous puissent manger !", l’économiste agricole Jaccques Berthelot est intervenu le 17 novembre 2014 afin d’exposer ses idées sur plus de régulation des prix agricoles. Il s’est surtout penché sur l’impact des agrocarburants et de la politique commerciale des grands acteurs économiques et de l’UE sur l’augmentation des prix agroalimentaires et sur l’appauvrissement croissant de nombreux pays en développement.

Contexte

La crise alimentaire mondiale de 2007-2008 provoquée par une forte hausse du prix des denrées alimentaires de base, a plongé dans état de crise plusieurs des régions les plus pauvres du monde, notamment l’Afrique subsaharienne. Ces régions ont de ce fait connu une instabilité politique de plus en plus grande, et dans plusieurs d’entre elles, des émeutes dites "émeutes de la faim" ont éclaté. La spéculation liée aux agrocarburants a souvent été désignée comme étant responsable de la flambée des prix agroalimentaires. C’est ce qu’a notamment mis en exergue un rapport de la Banque mondiale de juillet 2008. Actuellement, la volatilité du niveau des prix alimentaires demeure importante. Lors du sommet du G20 du 15 novembre 2014, les dirigeants se sont penchés sur la question. L’économiste Jacques Berthelot estime néanmoins que les actions entreprises par les dirigeants se limitent à des "déclarations enflammées".

Jacques Berthelot estime les agrocarburants promus dans l’UE et les Etats-Unis ont une lourde responsabilité dans la flambée des prix alimentaires

Selon Jacques Berthelot, une corrélation inverse existe entre le niveau des stocks et le niveau des prix. Ainsi, l’augmentation du niveau de stocks entraine une diminution des prix, car "l’acheteur ne se précipite" pas pour acquérir des produits agroalimentaires "disponibles". Or, d’après lui, la spéculation financière  vient perturber cette dynamique, spécialement celle liée aux agrocarburants. Il cite un rapport de 2011 du "New England Complex System Institute" qui montre que les principales causes de la hausse des prix sont la spéculation des investisseurs et la conversion de l'éthanol. Selon l’économiste, sans cet impact de l’éthanol sur les prix dans l’UE et aux Etats-Unis, "les stocks auraient bondi et les prix se seraient effondrés". Les céréales qui n’auraient pas été consacrées à la production d’éthanol se seraient ajoutées à la production. Pour lui, les agrocarburants promus dans l’UE et les Etats-Unis ont donc complètement dérégulé le marché des politiques agricoles.

Dans l’UE, la responsabilité principale ne revient pas aux agriculteurs qui, d’après Jacques Berthelot, vendent à des prix fixes, mais aux coopératives qui interviennent sur le marché. En citant une étude réalisée par Myriam Vander Stichele, il pointe du doigt l’insuffisance des moyens de l’UE pour aider les agriculteurs à supporter la volatilité des prix. Selon lui, il est grand temps de "discuter sur la place publique le bien-fondé de la régulation des prix agricoles", car "le système actuel ne profite ni aux producteurs ni aux consommateurs finaux".

Selon Jacques Berthelot, les prétentions du G20 et de l’UE de lutter contre la volatilité des prix "ne sont pas crédibles"

Selon l’économiste agricole, étant donné les hausses de revenus considérables en matière de céréales et oléagineux, l’engagement du G20 de lutter contre la volatilité des cours n’a aucune crédibilité. Il estime que les prix élevés des céréales et oléagineux sont si profitables aux pays exportateurs que ceux-ci "ne voudront pas les plafonner". Ceux-ci se limiteraient donc à lutter contre la volatilité annuelle des prix et non contre leur augmentation à long terme. Les principaux exportateurs de céréales, oléagineux et aliments de bétail, à savoir l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Cameroun, le Paraguay, la Russie, l’Ukraine, les Etats-Unis et l’Union européenne, n’auraient par conséquent pas l’intention de lutter contre l’inflation des prix agroalimentaires et contre l’éthanol, sachant que ceux-ci ont par ailleurs quadruplé leurs recettes  depuis l’an 2000. Dans l’UE, les subventions des produits agrocarburants sont selon lui "non négligeables", et ceci ne contribue pas à diminuer leur attractivité.

Jacques Berthelot dénonce aussi le fait que les intérêts défensifs des Etats en vue de protéger leur marché agricole et notamment de garantir leur sécurité alimentaire ne sont pas pris en considération par le G20 et par l’OMC (Organisation mondiale du commerce), tandis que le droit pour un Etat d’accéder au marché des autres semble être un droit absolu.

Or, Jacques Berthelot estime que la politique de taxation à l’exportation d’un pays, spécialement un pays en développement, doit permettre d’éviter la flambée des prix internes et qu’elle constitue une manière de "valoriser les produits avant de les exporter". Les Etats européens eux-mêmes auraient mené cette politique dans leurs colonies pour éviter que celles-ci n’exportent les matières premières dans d’autres pays, ce qui aurait provoqué une augmentation de leur prix.

La PAC et les APE sont pointés du doigt

Jacques Berthelot constate qu’en Afrique subsaharienne, l’insécurité alimentaire est la plus importante, et que celle-ci va de pair avec une augmentation des déficits de ces pays. Pour contrecarrer cette tendance, il estime que dans ceux-ci, une protection à l’importation est nécessaire afin de garantir des prix stables et des rémunérations moins aléatoires aux agriculteurs. Il estime en outre que pour les mêmes raisons, ces pays devraient avoir le droit de subventionner leurs agriculteurs. Or, "l’OMC et les accords bilatéraux, surtout les accords de partenariat économique (APE) conclus avec l’UE les obligent à réduire les droits de douane appliqués sur les produits en provenance de l’Union et leur dénient aujourd’hui ce droit (de subvention, ndlr). Or, estime-t-il, il s’agit ici d’une "nécessité pour les pays d’Afrique subsaharienne, d’autant plus que ces pays n’ont pas les moyens financiers de subventionner leurs agriculteurs"

Dans une interview donnée à l’hebdomadaire "WOXX", Jacques Berthelot explique que ces APE contribuent au surendettement des pays les moins développées, car "dans ces pays, avec un important secteur informel qui ne paie pas d'impôts ni sur le revenu ni sous forme de taxe sur la valeur ajoutée, les droits de douane - que ce soit à l'importation ou à l'exportation – représentent une grande part des recettes budgétaires totales."

Même si l’UE dit ne pas subventionner ses exportations agricoles dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), elle justifie ses subventions agricoles à l’intérieur en indiquant que les aides européennes sont "découplées", c’est-à-dire que les aides européennes allouées aux agriculteurs ne sont plus proportionnelles aux quantités produites. Or,  l’OMC aurait jugé à quatre reprises que les subventions de l’UE en interne auraient un effet de dumping. Pour Jacques Berthelot, la concurrence européenne et celle des plus gros exportateurs est en tout cas "déloyale".