A l’occasion d’une réunion du Conseil "Agriculture et pêche" le 10 novembre 2014, les ministres de l’Agriculture de l’UE se sont penchés sur le mode de financement supplémentaire des mesures d’aide aux agriculteurs touchés par l’embargo russe, en considération de la première lettre rectificative de la Commission européenne au projet de budget général de 2015. Une grande majorité s’est opposée à cette proposition rectificatrice de la Commission. Les ministres de l’Agriculture se sont également prononcés sur les mesures de soutien aux jeunes agriculteurs prévues dans le cadre de la nouvelle politique agricole commune.
Un amendement de la Commission au projet de budget général de 2015 prévoit des revenus supplémentaires de 448 millions d’euros au budget de la politique agricole commune (PAC) qui seront essentiellement prélevés auprès des producteurs laitiers ayant dépassé leurs quotas. Dans le cadre du budget général de 2015, la Commission européenne a proposé de réorienter ces recettes supplémentaires disponibles vers le renforcement d’autres domaines de la politique de l’UE. Ainsi, ces montants additionnels ne seraient pas utilisés pour venir en aide aux producteurs affectés par l’embargo russe mais pour financer d’autres mesures prioritaires pour l’UE comme la lutte contre Ebola.
Les mesures de marché mises en place suite à l’embargo russe devraient quant à elles être financées par la réserve de crise agricole (433 millions d’euros obtenus par une réduction de 1,3% des paiements directs) prévue pour 2015, laissant celle-ci d’ores et déjà presque vide pour l’année à venir et réduisant ainsi la marge de manœuvre en cas d’éventuels événements en 2015 qui nécessitent à leur tour des mesures de soutien.
À l’initiative du ministre français Stéphane Le Foll, 21 ministres de l’Agriculture de l’UE (Autriche, Belgique, Bulgarie, Croatie, Chypre, République tchèque, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Pologne, Irlande, Lettonie, Slovénie, Lituanie, Luxembourg, Portugal, Roumanie, Slovaquie et Espagne) ont signé une déclaration commune annexée aux conclusions du Conseil afin de protester contre la lettre rectificative numéro 1 au budget 2015. Pour ces pays, les mesures destinées à atténuer les effets de l’embargo russe doivent être financées par les recettes supplémentaires du fonds agricole – i.e. le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) LIEN), qui constituent les deux instruments financiers de la politique agricole commune - et la réserve de crise doit "être préservée pour maintenir une capacité de réponse en 2015 en cas de crise plus profonde ou nouvelle".
Le ministre de l’agriculture allemand Christian Schmidt a estimé que la proposition de la Commission "n’a pas de sens politiquement parlant". "On ne peut laisser l’agriculture se tirer elle-même du marais.", a-t-il dit, en indiquant qu’il ne faut pas que les agriculteurs payent pour leur propre aide, ou que leur argent soit utilisé pour d’autres domaines politiques. Le ministre allemand a ainsi suggéré de venir en aide aux agriculteurs en faisant en sorte que les prélèvements auprès des producteurs laitiers ayant dépassé leurs quotas soient utilisés pour venir en aide aux agriculteurs et non pour d’autres domaines de la politique de l’UE.
Le ministre luxembourgeois de l’agriculture Fernand Etgen a déclaré qu’ "il est difficilement acceptable que les agriculteurs paient deux fois pour des mesures, voire trois fois si les fonds pour des mesures d’intervention futures sur les marchés ne seraient plus disponibles en 2015".
Les déclarations du ministre de l’agriculture français Stéphane Le Foll vont dans la même direction. "Il n’est pas possible d’accepter un système où au final les agriculteurs perdraient du fait des prix (qui baissent, ndlr), de l’embargo russe et d’une baisse des aides", a-t-il souligné.
Pour les Etats signataires de la déclaration, les problèmes actuels du secteur agricole ne sont pas dérivés d’une crise de marchés classique, mais de l’embargo russe qui lui découle des développements politiques internationaux, indépendants des choix de production des agriculteurs. Or, c’est un des secteurs où les tensions politiques internationales ont un impact direct sur les revenus.
A l’issue d’un débat le 6 novembre 2014 sur le projet de budget pour 2015, la commission de l’agriculture du Parlement européen avait elle aussi jugé inacceptable le recours à la réserve de crise agricole 2015 pour financer les mesures de soutien face à l’embargo russe. Les coordinateurs des quatre principaux groupes politiques de la commission de l’agriculture du Parlement européen avaient écrit, le 29 octobre 2014, au nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, pour lui demander de réviser la proposition visant à activer la réserve (en cas de crise agricole) pour financer les mesures prises pour atténuer les effets de l’embargo russe sur les produits agricoles de l’UE.
Dans leur déclaration, 19 délégations s’expriment aussi en faveur d’un monitoring rapproché de l’évolution des marchés. Afin d’assurer un suivi à cette problématique, la Présidence italienne formulera une lettre à destination du président du Conseil "Economie et Finance" Pier Carlo Padoan, en vue des négociations sur le budget qui auront lieu le 14 novembre 2014.
La lettre indique qu’un "nombre important" de ministres de l’Agriculture ont exprimé leurs préoccupations au sujet de la proposition de la Commission de réduire de 448 millions d’euros le budget agricole. "Cette décision va pénaliser fortement le secteur agricole et générer des conséquences lourdes pour les agriculteurs européens" qui doivent déjà affronter les problèmes découlant de l’embargo russe, est-il indiqué. Les ministres de l’agriculture demandent à ce que les fonds supplémentaires soient alloués au financement des mesures pour faire face à l’embargo russe, et que la réserve de crise agricole de 2015 soit préservée afin de parer à l’éventualité d’une nouvelle crise en 2015.
Le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et l’Royaume-Uni n’ont pas signé cette lettre. Le Royaume-Uni a néanmoins indiqué qu’elle soutenait dans le principe la démarche des autres pays et a recommandé d’utiliser les fonds du superprélèvement laitier pour financer les mesures liées à l’embargo russe. Le Royaume-Uni a indiqué que seul le Conseil ECOFIN est compétent pour ce sujet et non le Conseil Agriculture.
Le nouveau commissaire européen à l’Agriculture, Phil Hogan, est intervenu devant les ministres et a souligné l’importance de "bien cibler" les mesures de la PAC dans un contexte où le budget est serré. Selon lui, les mesures adoptées pour atténuer les effets de l’embargo russe sont "légitimes". Pour le commissaire, la décision revient à présent au Conseil et au Parlement européen, qui, à l’issue de la période de conciliation qui expire le 17 novembre 2014, devront s’être mis d’accord sur le budget de 2015.
Dans un communiqué de presse du 10 novembre 2014, le principal lobby agricole européen Copa-Cogeca a salué "les discussions des ministres de l’Agriculture de l’UE comme un pas dans la bonne direction, dans la mesure où elles mettent en exergue de sérieuses préoccupations en ce qui concerne les éventuelles coupes dans les dépenses agricoles de 2015". Il a souligné l’importance d’allouer des ressources suffisantes dans le cadre du budget 2015 de l’UE au financement de "cette crise sans précédent" qui touche "très durement" le secteur agricole européen.
Sur base d’un document de la Présidence italienne, les ministres de l’Agriculture se sont également penchés sur les mesures de soutien destinées aux jeunes agriculteurs, prévues dans le cadre de la nouvelle politique agricole commune au sein des articles 50 et 51 du règlement 1307/2013. Ces mesures de soutien s’inscrivent dans premier pilier de la PAC et permettent aux Etats membres qui le souhaitent d’accorder aux jeunes agriculteurs un bonus de 25 % de paiements directs sur une surface limitée pendant les cinq premières années suivant leur établissement.
Plusieurs pays de l'UE ont évoqué pendant la réunion du Conseil les difficultés que doivent encore affronter les jeunes agriculteurs dans le cadre de la nouvelle politique agricole commune (PAC). Ont été cités des barrières économiques comme les revenus inférieurs comparés à d'autres secteurs économique ; des barrières de marché comme les difficultés en matière d'accès au crédit et d'accès aux terres agricoles ; des faiblesses relatives aux transferts en matière d'innovation et un déficit d'échanges d'information et d'expérience professionnelle sur les différentes réalités à travers l'UE.
La Présidence italienne du Conseil de l'UE a proposé un document pour surmonter ces barrières à travers une facilitation de l’accès au crédit en coopération avec la Banque européenne d’investissement, de l’accès aux facteurs de production, notamment à la terre et de l’accès à la connaissance et à l'innovation. Les ministres de l’Agriculture de sept pays, dont la Slovénie, la Belgique, l’Autriche, l’Irlande, la Grèce et le Portugal, ont soutenu ces suggestions. L'Autriche a néanmoins tenu à nuancer qu'elle n'était pas d'accord avec les idées en matière d'aide à l'acquisition de terres agricoles qui risquent d'augmenter le prix des terres.
Le Luxembourg ne figure pas sur cette liste, car il estime que, même si les problématiques soulevées par le document sont des obstacles réels, il faudrait aussi approfondir d'autres aspects tels que la simplification des procédures et la simplification des réglementations afin que les agriculteurs puissent avant tout se focaliser sur leur tâche principale, celle de cultiver.
La Commission a confirmé qu'elle suivait de près cette question pour éviter d'éventuelles conséquences négatives sur la production européenne agro-alimentaire, en particulier sur le marché du vin, découlant de la délégation par l'ICANN des premiers domaines de premier niveau associés à des noms de domaine génériques (par exemple, .vin, .wine.).
Pour mémoire, le conseil d’administration de l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann) a décidé le 20 juin 2011 de l’ouverture de nouveaux domaines numériques. Aux extensions par pays (le .fr .uk, etc.), aux extensions fonctionnelles (les .org, les .com, etc.), s’ajoutent de nouvelles extensions : par ville (le .paris a été inauguré récemment), par marque et par thématique. Un nouveau domaine sera dédié au vin, le .wine et .vin. Pour obtenir la gestion de ce domaine numérique et pouvoir ensuite vendre des noms de domaine en .vin (ex : Champagne.vin,), il fallait déposer un dossier auprès de l’Icann. Or, aucun des acteurs européens des vins et spiritueux n’a déposé de dossier. Par conséquent, la gestion .wine du .vin pourrait être attribuée à des entreprises qui n’ont rien à voir avec ce secteur. Donuts, une entreprise américaine spécialisée dans la gestion des noms de domaine, est le seul candidat à la gestion du .vin.
Toute cette entreprise avait provoqué une mobilisation générale des acteurs du vin européens, de plusieurs acteurs politiques européens, du gouvernement français et de l’ancienne commissaire européenne chargée de la stratégie numérique, Neelie Kroes. Les acteurs du vin sont sur les barricades, car l’Icann ne prévoit pas d’accès réservé à un nom de domaine en vertu de l’Histoire ou de la labellisation en appellation d’origine contrôlée (AOC). Ils dénonçaient les risques qui pèsent sur le consommateur (tromperie avec la vente sur des sites comportant des noms d’appellation de vins n'ayant aucun lien avec la région, détournement de notoriété avec utilisation des noms de grands vins, contrefaçon etc) et sur les opérateurs du secteur (racket avec rachat de noms de domaine). Le débat plus large qui est posé est celui du respect de la propriété intellectuelle sur Internet.