Les ministres des Finances de l’UE se sont réunis le 10 mars 2015 pour un Conseil Ecofin notamment marqué par le compromis que les ministres ont pu trouver sur le projet de Fonds européen d’investissements stratégiques (EFSI ou FEIS), élément central du plan d’investissement proposé par la Commission Juncker dès son entrée en fonction.
Les ministres ont décidé d’un commun accord de déclassifier le mandat donné à la Commission pour négocier l’accord international sur les services connu sous le nom de TiSA. Le document en question a été immédiatement rendu public sur le site du Conseil.
Pour rappel, la commissaire en charge du commerce extérieur, Cecilia Malmström, avait demandé au Conseil de rendre ce document public à la fin du mois de janvier. Le 5 mars dernier, plusieurs commentaires publiés sur les réseaux sociaux et sur Internet avaient laissé entendre que le Coreper avait donné son feu vert à cette publication.
Cette décision "reflète l’intérêt public croissant pour cet accord plurilatéral actuellement négocié par 24 membres de l’OMC représentant 70 % du commerce mondial de services", indique le communiqué de presse diffusé par le Conseil sur ce sujet. Le Conseil s’était entendu sur le mandat de négociations donné à la Commission en mars 2013, juste avant le début des négociations.
Dans la foulée des discussions qu’avaient eues la veille les ministres des Finances de la zone euro, les ministres des Finances de l’UE se sont penchés sur les travaux de la Commission menés dans le cadre du semestre européen 2015. Fin février dernier, la Commission avait en effet présenté son "paquet d’hiver", un ensemble de documents faisant le point à la fois sur les procédures de déséquilibre macro-économique et sur le respect du Pacte de stabilité et de croissance. La Commission, qui se base sur la nouvelle interprétation qu’elle donne au PSC en termes de flexibilité, recommandait notamment de ne pas enclencher la procédure de déficit excessif pour la Belgique, l'Italie et la Finlande.
La Commission recommandait également qu'il soit accordé un délai à la France jusqu'à 2017 pour corriger son déficit excessif, une proposition suivie par les ministres des Finances de la zone euro le 9 mars 2015.
Les ministres des Finances de la zone euro sont allés dans le même sens, en décidant d’accorder à la France deux années supplémentaires, c’est-à-dire jusqu’en 2017, pour porter son déficit en-deçà du seuil de 3 % du PIB. Pour rappel, selon les prévisions économiques d’hiver de la Commission, le déficit budgétaire pourrait atteindre 4,3 % du PIB en 2014 et 4,1 % en 2015. Une décision que les ministres expliquent par les efforts budgétaires réalisés par la France depuis 2013, mais aussi par la faiblesse des conditions économiques.
Le Conseil appelle toutefois la France à mettre pleinement en œuvre les mesures adoptées pour 2015 et à fournir un effort budgétaire supplémentaire d’ici fin avril en prenant des mesures structurelles supplémentaires équivalant à 0,2 % du PIB. La France a jusqu’au 10 juin pour prendre des mesures, indique le Conseil.
Le Conseil a fixé comme objectif un déficit de 4 % du PIB en 2015, 3,4 % en 2016 et 2,8 % en 2017, ce qui va de pair avec une amélioration du solde budgétaire structurel de 0,5 % du PIB en 2015, 0,8 % en 2016 et 0,9 % en 2017. Pour atteindre cet objectif, précise le communiqué du Conseil, des mesures supplémentaires seront requises à hauteur de 0,2 % du PIB en 2015, 1,2 % en 2016 et 1, 3 % en 2017.
Cette décision n’a visiblement pas manqué de faire débat parmi les ministres, ainsi qu’il ressort des déclarations que le ministre Pierre Gramegna, qui représentait le Luxembourg, a pu faire à la sortie de la réunion. Le ministre a dit être intervenu dans la discussion car il juge "le moment important pour rendre des comptes sur la manière dont le Pacte de stabilité et de croissance doit être mis en œuvre". Il a souligné à ce titre qu’il fallait tout faire pour "éviter qu’une différence soit faite, que ce soit en perception ou en réalité, entre la façon dont sont appliquées les règles du Pacte de stabilité et de croissance entre grands et petits pays". "Certains en ont peur", a indiqué le ministre, qui a reconnu un peu plus tard qu’il existait "de nombreux précédents" de "la souplesse" accordée à la France, qui pourrait être demandée ensuite par d’autres. Pierre Gramegna relève toutefois aussi que les exigences auxquelles la France va devoir se conformer dans un délai très court sont élevées, et que les nouveaux objectifs qui sont fixés au pays sont à la fois "réalistes et exigeants". Le ministre n’a pas manqué de rappeler que ces mesures ont pour objectif d’avoir des finances publiques saines qui sont une base pour une meilleure croissance. "Le Pacte de stabilité et de croissance est un bon moyen de créer de la croissance quand il est intelligemment utilisé", affirme en effet Pierre Gramegna.
Le principal enjeu des discussions des ministres aura toutefois été le compromis trouvé le projet de Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS ou EFSI). C’est en effet en un délai record qu’un compromis a pu être trouvé pour définir la position du Conseil sur ce projet législatif qui est un élément central du plan d’investissement proposé par la Commission Juncker. Les négociations en trilogue pourront donc commencer dès que le Parlement européen aura adopté sa position, en vue d’un accord qui pourrait être trouvé dès juin. Le ministre des Finances letton, Janis Reirs, qui présidait cette réunion, s’est félicité d’un accord qui offrira "une base stable" en vue des négociations avec le Parlement européen.
Comme l’a souligné Janis Reirs, les ministres se sont entendus pour renforcer la structure de gouvernance du Fonds ainsi que l’indépendance des orientations d’investissement, ce qui va garantir, a-t-il expliqué, la confiance du secteur privé.
Dans leur position de négociations, les ministres insistent en effet sur la mise en place d’une structure de gouvernance duale fondée sur les travaux d’un comité de pilotage chargé de fixer les orientations en matière d'investissement d’une part, et d’un comité d’investissement qui aurait pour mission de sélectionner les projets qui recevront le soutien de l’EFSI.
Du point de vue du Conseil, le comité de pilotage, qui serait chargé d’adopter les orientations d’investissement, devrait être exclusivement composé de membres de la Commission et de la BEI pour éviter toute influence politique sur la sélection des projets. Les décisions devraient être prises par consensus, souhaitent encore les ministres.
Quant au comité d’investissement, le Conseil suggère qu’il soit composé de huit experts indépendants d’un directeur exécutif et qu’il prenne ses décisions à la majorité simple. Le Conseil souligne que tout projet soutenu par l’EFSI devrait avoir l’aval de la BEI.
En ce qui concerne les critères de sélection des projets, les ministres ont souligné l’importance de l’additionnalité, de la viabilité, de la valeur ajoutée européenne et de la mobilisation d’investissements privés, ainsi que l’a déclaré à la presse le ministre letton. Les ministres ont aussi défini les objectifs généraux de l’EFSI et établi la liste des secteurs à soutenir, tout en laissant la flexibilité prévue par la Commission dans sa proposition, a poursuivi Janis Reirs. Il importe selon lui que les projets soient sélectionnés sur la base de leur qualité, de leur éligibilité et des critères définis, et non pour des raisons politiques.
Enfin, troisième élément mis en avant par les ministres dans leur position de négociations, le rôle des banques ou institutions nationales de développement a été souligné, ainsi que l’a expliqué le ministre letton à la presse.
"Nous avons un bon plan (…) et nous devons en tirer le meilleur. Et c’est ce que nous allons faire", avait déclaré à son arrivée le ministre des Finances luxembourgeois, Pierre Gramegna. A la sortie du Conseil, il a exprimé sa satisfaction de voir un accord trouvé aussi rapidement.
Au cours du débat, le ministre luxembourgeois a plaidé pour que le Comité d’investissement, qui aura principalement pour mission de décider de l’utilisation de la garantie de l’Union pour le financement d’un projet, soit nommé "comité de garantie", en insistant sur la nécessité de clarifier le rôle de la BEI, qui a pour mission le choix des projets, et de la Commission, qui engage la garantie de l’Union.
Si Pierre Gramegna a jugé utile une décentralisation de la plateforme européenne de conseil en investissement pour assurer la participation des banques et institutions nationales et des investisseurs privés, il a aussi mis l’accent sur la nécessité d’en assurer la cohérence, un rôle qui incombe selon lui à la BEI.
Le ministre luxembourgeois a par ailleurs insisté sur la question du respect des règles sur les aides d’Etat, un sujet qui mérite l’attention, et dont il a expliqué l’enjeu à la sortie du Conseil : "La Commission doit interpréter les règles de façon pragmatique et assez rapide pour ne pas bloquer les projets". Un point sur lequel Jyrki Katainen, vice-président de la Commission, a donné des assurances en promettant que l'analyse de la Commission ne prendrait pas plus d'un mois.
Pierre Gramegna a enfin annoncé à ses collègues que, comme l’Allemagne, l’Espagne, la France et l’Italie l’ont annoncé jusqu’à maintenant, le Luxembourg était "en train d’étudier la possibilité de mettre à disposition des financements supplémentaires par l’intermédiaire de sa banque nationale de développement" (a priori la SNCI, ndlr). "J’y reviendrai dès que nous aurons une décision finale", indiquait-il à ses pairs. Un peu plus tard, le ministre était interrogé à la sortie de la réunion sur les déclarations du ministre de l’Economie, Etienne Schneider, qui avait déclaré le 2 mars 2015 que le gouvernement n’avait pas l’intention de contribuer à l’EFSI. Pour Pierre Gramegna, qui a souligné tout le bien que le gouvernement luxembourgeois pense du projet, les propos d’Etienne Schneider ont été "sur-interprétés". "Nous avons des investissements publics assez élevés au Luxembourg, mais nous serions heureux d’avoir plus d’investissements privés", a-t-il ajouté. Certes, le Luxembourg n’a pas les problèmes de liquidités que peuvent connaître certains des pays qui ont annoncé leur contribution à l’EFSI, mais pour autant, il a indiqué son intention "d’étudier la question" d’une contribution luxembourgeoise avec Etienne Schneider, en soulignant bien que le gouvernement n’avait pas encore pris de décision.