Les eurodéputés de la commission de l’Environnement (ENVI) ont approuvé le 14 avril 2015 un compromis entre le Parlement européen et le Conseil sur la réforme des biocarburants qui vise à plafonner la production de biocarburants traditionnels. L’accord confirmé en deuxième lecture prévoit de limiter les biocarburants de première génération - produits à partir de cultures alimentaires - à 7 % de la consommation énergétique finale dans les transports d'ici 2020. La commission ENVI a donc adopté le plafond proposé par le Conseil dans sa position adoptée en décembre 2014, alors qu’elle avait elle-même plaidé pour une limite de 6 % dans sa position adoptée en février 2015.
La Commission avait quant à elle proposé 5 % en 2012. Pour rappel, ce texte proposait de modifier la directive sur la qualité des carburants 2009/30/CE et celle sur les énergies renouvelables 2009/28/CE. Cette dernière prévoit un objectif contraignant de 10 % d’énergies renouvelables, et pas uniquement de biocarburants, de la consommation finale d’ici 2020 dans le secteur des transports. La réforme des biocarburants vise à accélérer le passage à d'autres sources comme les agrocarburants de seconde et troisième génération, produits à partir de déchets, de paille ou encore d’algues, au détriment de la première génération qui entraîne une utilisation croissante de terres agricoles.
L’accord, dénoncé par le groupe des Verts, a été approuvé avec 51 pour, 12 douze contre et une abstention, a indiqué le Parlement européen dans un communiqué. "C'était un dossier très difficile et nous n'avons obtenu tout ce que nous voulions. Les États membres ont des capacités et des approches très différentes sur les biocarburants, certains étant prêts à aller de l'avant plus que d'autres", a déclaré le député en charge du dossier, Nils Torvalds (ALDE).
Selon l’accord, les États membres devront fixer un objectif national, au plus tard 18 mois après l'entrée en vigueur de la directive, pour les biocarburants avancés. Les États membres sont invités à fixer un objectif indicatif de 0,5 % pour les biocarburants avancés en veillant à prendre dûment en compte les garanties que ces biocarburants soient bien durables. Les États membres peuvent fixer un objectif inférieur pour certains motifs, tel qu'un potentiel limité pour la production, des contraintes techniques ou climatiques, ou l'existence de politiques nationales qui consacrent déjà un financement adapté à des mesures d'incitation en vue de renforcer l'efficacité énergétique et le transport électrique, note le Parlement européen.
La première génération d’agrocarburants est controversée pour ses coûts de production, son impact sur la sécurité alimentaire et les prix alimentaires ainsi que ses effets au niveau de la réduction des émissions de CO2. L’enjeu des discussions était la prise en compte des "changements indirects de l'affectation des sols" (CIAS ou, en anglais, ILUC), demandée par le Parlement européen depuis 2008, qui n’ont finalement pas été retenus, car des "désaccords très profonds existent", selon Nils Torvalds.
En effet, le recours aux terres agricoles pour la culture de biocarburants réduit la surface disponible pour les cultures alimentaires. Cela s'ajoute à la pression visant à libérer davantage de terres, par exemple par la déforestation, afin de cultiver plus de denrées alimentaires. La déforestation en soi augmente néanmoins les émissions de gaz à effet de serre, qui peuvent annuler une partie des effets bénéfiques issus de l'utilisation de biocarburants.
Le projet législatif prévoit que les fournisseurs de carburant feront rapport aux pays de l'UE et à la Commission du niveau estimé des émissions causées par la libération de plus de terres pour produire les cultures vivrières nécessaires au moment où les terres sont passées à la production de biocarburants, processus connu comme le changement indirect de l'affectation des sols (CIAS). La Commission signalera ensuite et publiera des données par rapport à ces émissions liées au CIAS. Plus tard, la Commission devrait aviser le Parlement européen et le Conseil, en se basant sur les meilleures données scientifiques disponibles, à propos de la possibilité d'inclure des facteurs d'émission CIAS parmi les critères de durabilité existants, indique le Parlement européen.
Le texte de l'accord sera soumis à un vote en plénière lors de la session plénière du 27 au 30 avril 2015. Les États membres devront adopter la législation d'ici 2017.
Le groupe PPE s’est félicité d’un compromis sur une "importante réforme" qui "soutiendra le développement de la génération des agrocarburants avancés sans entraver l’utilisation de l’éthanol et du biodiesel". L’eurodéputé Christofer Fjellner a évoqué une situation politique "extrêmement difficile" après le vote de position du Parlement européen en deuxième lecture qui a "mis en danger toute la réforme". "Sans cette réforme, le développement des énergies renouvelables aurait été repoussé de 5 à 10 ans", a-t-il conclu. Peter Liese s’est pour sa part félicité du fait que l’accord "offre une sécurité à long terme en matière de planification aux entreprises ayant investis dans des usines de biocarburants".
Le groupe S&D a pour sa part dénoncé dans un communiqué des "pressions du Conseil" ayant conduit à un objectif "en deçà" des revendications du groupe qui avait plaidé pour un plafond de 5 %. Pour Seb Dance, il s’agit du "meilleur accord possible au moment" vu le "manque de coopération au Conseil", une "opération de lobbying industriel fort" et des trilogues qui ressemblaient à des "mascarades". L’eurodéputé se félicite néanmoins que son groupe ait réussi à introduire dans le projet la prise en compte de la hiérarchie des déchets et les droits fonciers de la population indigène et qu’il y a aura une réévaluation dans cinq ans. Seb Dance a par ailleurs dénoncé le rejet du compromis par les Verts. Matthias Groote a critiqué pour sa part un résultat "peu ambitieux" dont "le Conseil est responsable", tout en jugeant qu’un rejet du compromis aurait rendu le Parlement européen encore plus faible et aurait nui à des investissements innovants dans les biocarburants.
Les Verts ont dénoncé dans un communiqué un compromis qui "n’est pas à la hauteur des enjeux" et un plafond "beaucoup trop élevé". Avec cette réglementation, "on perpétue les mêmes erreurs au détriment des forêts tropicales mais également des citoyens confrontés à la hausse des prix des aliments", a critiqué Michèle Rivasi pour qui les nouvelles règles auraient dû mettre "fin à la promotion des biocarburants qui exacerbent la dégradation climatique et ont un impact social négatif". Cette promotion aurait renforcé la destruction des forêts tropicales, a renchéri Martin Häusling, insistant sur le fait que les agrocarburants peuvent avoir un effet plus nuisible au climat que les carburants fossiles. Bas Eickhout a dénoncé "l’échec" d’inclure les facteurs d’émissions CIAS parmi les critères de durabilité existants ce qui soutiendra des agrocarburants "non durables".
L’industrie allemande des biocarburants (VDB) a salué le compromis, se félicitant du fait que les facteurs d’émissions CIAS ne soient pas inclus dans le projet législatif. Elmar Baumann, président du VDB, a critiqué les "incertitudes scientifiques" et les marges de fluctuation "immenses" dans les modèles de calcul du CIAS. "Le bilan des émissions de gaz à effet de serre du biodiesel et du bioéthanol sont excellents", a-t-il déclaré et souligné le "grand potentiel des biocarburants".
Pour ePURE, l'association représentant l'industrie européenne de l'éthanol renouvelable, cet accord est "loin d'être parfait" et "décevant", mais il permet au moins de redonner au marché des biocarburants un peu de la sécurité politique dont il a besoin. Si l'association salue le plafonnement à 7 % des biocarburants conventionnels, la reconnaissance des biocarburants à faible facteur CIAS et la porte ouverte aux biocarburants durables après 2020, ePURE estime que l'objectif principal de la réforme de promouvoir les biocarburants les plus performants a été perdu de vue. "L'absence d'objectifs contraignants pour les biocarburants avancés et l'utilisation de l'énergie renouvelable (l'éthanol) dans le carburant – deux mesures clés pour mieux différencier les meilleurs biocarburants et que le Parlement avait initialement soutenus à plusieurs reprises - sape les objectifs clés de cette réforme", a déclaré Robert Wright, secrétaire général de ePURE, dans un communiqué.
Les producteurs de biocarburants avaient critiqué la limitation de 6 % proposée initialement par le Parlement européen et plaidé pour un plafond de 8 %.
Le Bureau européen de l'environnement (BEE) se réjouit dans un communiqué que cet accord ramène de 10 % à 7 % la part d'agro-carburants "gaspilleurs de terres agricoles et d'eau" qui pourra être utilisée dans les transports. Il regrette toutefois que le texte permette une augmentation de la consommation de biocarburants par rapport au niveau actuel (5 %). "Une telle réforme était attendue de longue date. Les agro-carburants à partir de terres agricoles sont mauvais pour le climat, pour les peuples et pour l'environnement et il nous faut limiter leur part dans les renouvelables. La grande question qui se pose maintenant est de savoir si l'UE a appris de l'erreur qu'elle a commise en promouvant des agro-carburants en dépit des préoccupations qu'ils soulevaient quant à leur durabilité", déclare Faustine Defossez, experte en agriculture et bioénergie au BEE.
L'ONG Oxfam se réjouit que le Parlement et le Conseil aient "enfin décidé de mettre la pédale douce sur une politique des biocarburants néfaste qui a non seulement contribué à priver les populations pauvres de nourriture mais aussi à accélérer le changement climatique qu'ils prétendent combattre", souligne Marc-Oliver Herman, expert en politique des biocarburants. Mais pour l’ONG, le plafonnement de 7 % n'est qu'une première étape. "L'Europe doit éliminer complètement ces carburants pour qu'ils ne menacent plus la sécurité alimentaire et le climat", a dit l’expert d’Oxfam dans un communiqué.