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Le recours de l’ancien commissaire John Dalli, qui accusait le président Barroso d’avoir exigé son départ, a été rejeté par le Tribunal de l’UE qui a jugé qu’il a bien présenté sa démission de façon volontaire
12-05-2015


CJUEPar son arrêt rendu le 12 mai 2015 dans l’affaire T-562/12 Dalli contre Commission, le Tribunal de l’UE a rejeté le recours de l’ancien commissaire John Dalli concernant sa démission prétendument exigée par le président de la Commission européenne alors en exercice, José Manuel Barroso. Ainsi, selon les juges européens, John Dalli "a bien présenté sa démission de façon volontaire lors de la réunion avec le président Barroso le 16 octobre 2012".

Le contexte

Pour mémoire, John Dalli, de nationalité maltaise, avait été nommé membre de la Commission européenne pour la période allant du 10 février 2010 au 31 octobre 2014, chargé du portefeuille de la santé et de la protection des consommateurs. En 2012, une enquête a été ouverte à son encontre par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) pour trafic d’influence : alors que la directive européenne sur le tabac était en cours de révision, une entreprise du secteur du tabac, Swedish Match, aurait été approchée par un restaurateur maltais, Silvio Zammit, qui prétendait pouvoir user de ses relations avec John Dalli pour faire lever, dans l’UE, l'interdiction du snus (poudre de tabac humide principalement consommée en Norvège et en Suède) contre le paiement d’une somme de 60 millions d’euros.

Le rapport de l’OLAF concluait notamment que John Dalli avait participé à plusieurs réunions – non officielles et confidentielles – avec des représentants de l’industrie du tabac sans la participation et à l’insu des services compétents. Selon l’OLAF, l’image et la réputation de la Commission avait en conséquence été compromises auprès des producteurs de tabac et, potentiellement, de l’opinion publique, l’Office estimant que le comportement de M. Dalli pourrait dès lors être considéré comme un manquement à son devoir de se comporter dans le respect de la dignité et des obligations liées à sa fonction.

Le 16 octobre 2012, John Dalli a été convoqué par le président de la Commission, José Manuel Barroso. Selon l’ancien commissaire Dalli, le président Barroso, qui avait reçu les conclusions du rapport d’enquête de l’OLAF la veille, lui a demandé de présenter sa démission le jour-même. Mis devant le fait accompli et sans être autorisé à consulter le rapport de l’OLAF, John Dalli n’aurait pas eu d’autre choix que d’indiquer verbalement qu’il présenterait sa démission.

Dans la suite de la journée, John Dalli a refusé de signer la lettre de démission préparée à son intention. Le même jour, la Commission a publié un communiqué de presse pour annoncer la démission du commissaire avec effet immédiat. Le lendemain, le 17 octobre 2012, le directeur général de l’OLAF a indiqué, au cours d’une conférence de presse, que le processus décisionnel concernant la directive sur le tabac n’avait pas été affecté et qu’il n’était pas prouvé que John Dalli avait participé directement, en tant qu’instigateur, au trafic d’influence reproché. En revanche, l’OLAF soulignait que John Dalli était au courant qu’une personne utilisait son nom et ses fonctions pour se procurer des avantages financiers. L’OLAF reprochait au commissaire Dalli de n’avoir pris aucune mesure pour prévenir ces faits, s’en dissocier ou les signaler.

John Dalli, qui a toujours catégoriquement contesté les accusations portées contre lui, avait saisi le Tribunal de l’UE pour obtenir l’annulation de la prétendue décision orale par laquelle le président Barroso aurait exigé sa démission le 16 octobre 2012 ainsi que pour obtenir réparation du préjudice subi. La Commission de son côté contestait cette allégation et soutenait que John Dalli avait présenté sa démission de façon volontaire.

A noter que l’enquête menée par l’OLAF avait néanmoins fait l’objet de critiques de la part de son propre comité de supervision. Dans un rapport spécial au Parlement européen (rendu public le 6 juillet 2014 suite aux requêtes de l'ONG Corporate Observatory Europe en vertu de la législation européenne sur l’accès aux documents de l’UE) ledit comité jugeait ainsi très sévèrement le travail de l’Office dans cette affaire.

En février 2014, l’eurodéputé Vert José Bové, lors d’une conférence publique sur le lobbying au niveau européen et ses dérives, avait de son côté estimé qu’il s’agissait de "manipulations" de l’industrie qui craignait un durcissement des règles dans le cadre de la révision en cours de la directive tabac et qui, en "faisant tomber un commissaire", avait compris qu’elle pouvait retarder la mise en œuvre de cette directive.

Dans ce contexte, afin de savoir si l’ancien commissaire Dalli avait ou non démissionné verbalement lors de la réunion, et ce, de façon volontaire, le Tribunal avait ordonné sa comparution personnelle le 7 juillet 2014. Il a également entendu comme témoins, lors d’une audience qui s’est tenue le même jour, le président Barroso, une première pour un président de la Commission en exercice, son chef de cabinet, Johannes Laitenberger et le chef du service juridique de la Commission, Luis Romero Requena, tous deux témoins de la démission orale de John Dalli. Il avait aussi entendu Joanna Darmanin, l’ancienne chef du cabinet de M. Dalli, et Frédéric Vincent, son ancien porte-parole.

L’arrêt du Tribunal de l’UE

Dans son arrêt rendu le 12 mai 2015, le Tribunal constate, sur la base des témoignages qu’il a entendu et des éléments de preuve récoltés, "qu’il est établi à suffisance de droit que M. Dalli a présenté verbalement sa démission au cours de la réunion qu’il a eue avec le président Barroso dans l’après-midi du 16 octobre 2012" et "qu’il a confirmé verbalement cette démission en présence de MM. Laitenberger et Romero Requena".

Les juges européens estiment dans leur prononcé que cette conclusion est corroborée par différents éléments, à savoir :

  • la déclaration faite au Parlement maltais par le Premier ministre maltais Lawrence Gonzi, issu de la même formation politique que M. Dalli, lors de la session plénière du 16 octobre 2012 ; M. Gonzi a notamment déclaré qu’il avait reçu, dans la même journée, un appel téléphonique de M. Dalli, au cours duquel celui-ci lui avait expliqué qu’il contesterait toutes les allégations portées contre lui, mais qu’il avait décidé de démissionner afin de mieux pouvoir se défendre ;
  • l’interview accordée par M. Dalli à une radio maltaise le soir du 16 octobre 2012, dans laquelle il a présenté son départ de la Commission comme un choix politique volontaire, déclarant notamment "Je ne reste pas là où on ne veut pas de moi" lorsque le journaliste a suggéré que le président Barroso l’avait forcé à démissionner ;
  • l’absence de réfutation par M. Dalli du communiqué de presse publié par la Commission aux environs de 17h00 le soir du 16 octobre 2012, dont il a pourtant eu connaissance et qui faisait état de sa démission ;
  • l’absence de déclaration officielle par M. Dalli, en particulier dans son propre communiqué de presse publié dans la soirée du 16 octobre 2012, aux fins de contester sa démission annoncée par la Commission ;
  • le caractère limité des annotations manuscrites apportées par M. Dalli au projet de lettre de démission. Le Tribunal relève en effet à cet égard que lorsqu’un projet de lettre de démission a été remis à John Dalli après la fin de la réunion du 16 octobre 2012 par Luis Romero Requena, M. Dalli a biffé certains passages de cette lettre, sans toutefois changer la partie de celle-ci concernant sa démission ;
  • le compte rendu de la réunion établi par M. Romero Requena le 18 octobre 2012, soit avant la première contestation du fait ou de la légalité de sa démission par M. Dalli, duquel il ressort que M. Dalli, "[…] tout en niant de manière catégorique les accusations portées à son encontre, a indiqué que, afin de pouvoir défendre sa réputation, il donnait sa démission en tant que membre de la Commission européenne avec effet immédiat".

Dans son arrêt du 12 mai, le Tribunal constate ensuite que "M. Dalli a présenté sa démission de façon volontaire et sans que celle-ci ait fait l’objet d’une demande formelle du président Barroso", comme l’affirmait l’ancien commissaire.

À cet égard, les juges européens relèvent que, à un stade précoce de la réunion, le président Barroso s’était résolu, face à l’absence d’explications complètes et satisfaisantes apportées par M. Dalli en réponse aux conclusions de l’OLAF, à voir celui-ci quitter la Commission et qu’il était déterminé au besoin à faire usage, à cette fin, du pouvoir qu’il tenait de l’article du TUE de demander sa démission. Dans le même temps, le président Barroso restait disposé, dans l’intérêt même de M. Dalli, à faire à celui-ci ce qu’il estimait être la "faveur politique" de pouvoir présenter sa démission de façon volontaire, sans demande formelle de sa part.

Dans ce contexte, le Tribunal considère que la circonstance que le président Barroso ait fait valoir auprès de M. Dalli, de façon de plus en plus pressante au vu des réticences et hésitations de ce dernier, qu’il serait plus honorable pour lui de démissionner de son plein gré, plutôt que d’être invité à le faire, ne suffit pas pour établir l’existence de la prétendue décision attaquée. En effet, aussi longtemps qu’une demande de démission au titre de l’article du TUE n’était pas clairement formulée, il ne résultait des propos du président Barroso, aussi appuyés qu’ils aient pu être, aucune demande en ce sens qui eût pu affecter les intérêts de M. Dalli en modifiant, de façon caractérisée, sa situation juridique.

L’existence de cette demande, qui constitue l’acte attaqué par la voie de la présente demande en annulation, n’ayant pas été établie, le Tribunal rejette le recours comme irrecevable. Par conséquent, le Tribunal rejette également la demande d’indemnisation de M. Dalli.