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Entreprises et industrie - Concurrence - Fiscalité
La Commission européenne veut attendre la conclusion de ses enquêtes sur les rulings pour définir des lignes directrices en la matière, annonce Margrethe Vestager devant la commission spéciale TAXE du Parlement européen
05-05-2015


Margrethe Vestager © Parlement européenLa commissaire européenne en charge de la Concurrence, Margrethe Vestager, attend que les quatre enquêtes approfondies en cours sur les "tax rulings" (décisions fiscales anticipées ou rescrits fiscaux en français) lancées contre des multinationales en Irlande, aux Pays-Bas et au Luxembourg permettent à la Commission d’établir des lignes directrices précisant "dans le détail comment les choses peuvent être faites" à l’avenir pour être conformes aux règles de l'UE. C’est ce que la commissaire, qui a néanmoins repoussé toute décision dans ces dossiers au-delà du deuxième trimestre 2015 (donc peut-être sous Présidence luxembourgeoise, ndlr), a expliqué à l’occasion de son audition devant la commission spéciale TAXE du Parlement européen, le 5 mai 2015.

Devant les députés, la commissaire a ainsi reconnu que, pour ce qui relève des quatre enquêtes approfondies en cours sur des accords de rescrits fiscaux, "le délai ne sera[it] pas tenu", alors que la Commission s'était engagée à rendre ses conclusions à la fin du deuxième trimestre 2015. Sans commenter aucune de ces affaires sur le fond, la commissaire entre autres invoqué la complexité des vérifications à mener qu’il s’agit de réaliser sans précipitation. Par ailleurs, il s’agit pour la Commission de constituer des dossiers solides, la commissaire soulignant en effet qu’en cas de décision négative, elle savait déjà que l'affaire serait portée devant la Cour de justice de l'UE (CJUE) par les Pays-Bas et l'Irlande.

Enfin, l’objectif serait également de développer une bonne connaissance du problème. Margrethe Vestager a ainsi estimé qu’en se basant sur la connaissance acquise des enquêtes en cours, la Commission serait à l'avenir en mesure de rédiger des lignes directrices, à l'instar de celles pour les aides d'État à l'environnement, afin d'expliquer dans le détail de quelle manière les rulings peuvent être conçus pour être conformes aux règles de l'UE en matière d’aides d’Etat. Elle s’est d’ailleurs refusée à fixer un nouveau calendrier.

Devant les députés de la commission TAXE, la commissaire à la Concurrence a par ailleurs souligné l’importance que revêt à ses yeux le débat sur une transparence accrue en matière de fiscalité des entreprises, via entre autres le paquet sur la transparence proposé par la Commission européenne, qui devrait à l’avenir faciliter son travail. Elle a ainsi noté que sur les 65 cas de rulings accordés depuis 1991 par 15 pays (Portugal, Pays-Bas, Irlande, Finlande, Espagne, Luxembourg, Belgique, Suède, France, Allemagne, Royaume-Uni, Grèce, Italie, Malte et Hongrie) que la Commission européenne a transmis à la commission TAXE, seuls dix lui avaient été directement notifiés. Les cinq autres ont retenu l’attention de la Commission par d’autres biais, l’institution ayant la possibilité d’ouvrir une enquête notamment sur la base d'une plainte ou d'autres sources d’information, telles que la presse, a expliqué Margrethe Vestager.

La commissaire a par ailleurs confié que, depuis que la Commission européenne avait étendu à l’ensemble des Etats membres la collecte de renseignement sur les rulings accordés, trois pays (Estonie, République tchèque et Pologne) ne lui avaient toujours pas transmis toutes les informations réclamées. Ses services ont par conséquent été chargés de préparer les étapes nécessaires pour assurer que les trois Etats membres concernés répondent à ses requêtes, a-t-elle assuré.

Quant à de nouvelles enquêtes, la commissaire Vestager a confirmé que la Commission examinait s’il y avait lieu d’"ouvrir une enquête sur McDonald's", alors qu’une coalition de syndicats américains et européens avait dénoncé la stratégie d’évitement fiscal du géant américain de la restauration rapide dans un rapport diffusé en février 2015. Un rapport qui révélait notamment que la structure fiscale mise en place par McDonald's via le Luxembourg lui aurait permis d’éviter de payer plus d’un milliard d’euros en impôt sur les sociétés dans plusieurs pays européens entre 2009 et 2013. Appelée à enquêter sur ce cas précis par les syndicats, la Commission avait déjà estimé "qu'à l'instar des documents du Luxleaks, ce rapport pouvait être considéré comme une information de marché" sans préciser toutefois si elle avait commencé à récolter des informations sur le cas  McDonald's. L’annonce de la commissaire devant la commission spéciale TAXE n’apporte à cet égard guère de clarification.

Les réactions

Seul le groupe des socialistes et démocrates (S&D) au Parlement européen a réagi par voie de communiqué à l’issue de la réunion de la commission parlementaire. Dans ce texte, l’eurodéputé allemand Peter Simon, porte-parole du groupe au sein de la commission TAXE, estime qu’il "est enfin temps que la Commission utilise de manière plus large l'arme ultime des règles en matière d’aides d'État dans le domaine de la fiscalité qu’elle ne le faisait jusqu’à présent". Selon le député européen, "en fournissant des directives claires sur l'application du droit […], la Commission peut dire, une fois pour toutes et sans équivoque, que le traitement spécial en termes d'impôt pour certaines entreprises est illégal".

Peter Simon regrette néanmoins que la Commission refuse d’établir des lignes directrices en amont de la conclusion de ses enquêtes, jugeant ses arguments "difficiles à comprendre". "La responsabilité de la Commission européenne est de développer rapidement des lignes directrices. Lorsque de nouvelles décisions individuelles sont prises, les lignes directrices peuvent être mises à jour en conséquence et adaptées. Seul le fait d’agir immédiatement enverra un signal clair aux États membres, aux grandes entreprises internationales et aux cabinets de conseil que les aides d'État illégales seront considérées avec une tolérance zéro", dit ainsi l’eurodéputé.

Le contexte

Pour mémoire, le travail de la commission spéciale TAXE s’inscrit dans les suites des révélations journalistiques dites "Luxleaks", en novembre 2014. Celles-ci mettaient le Luxembourg en cause comme un moteur d’évasion fiscale pour de grandes multinationales en raison des "tax rulings" accordés par son administration, mais surtout, elles révélaient comment des entreprises exploitent la concurrence fiscale entre les pays pour réduire drastiquement leur contribution à l’impôt, parfois à moins de 1 % de leurs bénéfices.

Ces révélations ont par ailleurs donné une nouvelle ampleur à un débat sur la pratique des décisions fiscales anticipées qui était déjà vif dans l’UE : quatre enquêtes approfondies avaient été ouvertes dès juin 2014 par la Commission sur la compatibilité avec les règles de l'UE en matière d’aides d’État de certaines pratiques fiscales. Sont visés le Luxembourg, dans le cas duquel sont examinés les rulings conclus à l’égard de Fiat Finance and Trade et d’Amazon, tandis que sont vérifiés des accords similaires en Irlande (visant Apple) et aux Pays-Bas (vis-à-vis de Starbucks). En décembre 2014, la Commission a par ailleurs annoncé l’extension à l'ensemble des Etats membres de la collecte de renseignements sur les pratiques en matière de rulings, avant d’ouvrir, en février 2015, une enquête similaire sur le système belge des rulings.

C’est dans ce contexte que le Parlement européen a mis en place la commission spéciale TAXE sur les rescrits fiscaux en février 2015, celle-ci étant notamment chargée d’examiner les pratiques relatives aux rescrits fiscaux depuis 1991, de déterminer l'impact négatif de la planification fiscale agressive sur les finances publiques et de présenter des recommandations pour l'avenir. Parallèlement, la Commission européenne a proposé en mars 2015 un paquet de mesures sur la transparence fiscale dont la mesure phare est l’échange automatique des rulings entre administrations des Etats membres.