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Migration et asile - Justice, liberté, sécurité et immigration
Les débuts de la mise en œuvre de l’accord UE-Turquie étaient à l’ordre du jour des députés de la Chambre et des parlementaires de la commission LIBE du Parlement européen
07-04-2016


Le ministre des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, est venu devant les députés de la commission des Affaires étrangères et européennes le 7 avril 2016, afin de faire le point avec eux sur l’accord UE-Turquie du 18 mars dernier.

La mise en œuvre de cet accord controversé a commencé le 4 avril dernier, avec la première opération de renvoi en Turquie de migrants arrivés irrégulièrement sur les îles grecques qui n’ont pas fait de demande d’asile ou dont la demande d’asile a été jugée infondée ou irrecevable. Dans la foulée, un premier groupe de demandeurs d’asile étaient réinstallés en Allemagne et aux Pays-Bas en vertu de cet accord basé sur le principe de "un pour un". A cette occasion, la Commission européenne avait publié un mémorandum détaillant le dispositif et sa mise en œuvre.

Le Luxembourg s’est engagé à accueillir 194 personnes qui seraient réinstallés de la Turquie vers le Luxembourg d’ici septembre 2017

Jean Asselborn à la Chambre le 7 avril 2016Jean Asselborn a rappelé les grandes lignes d’un accord qui n’est "pas parfait", mais que les Etats membres ont désormais l’obligation de mettre en œuvre, avant d’expliquer que le Luxembourg s’était engagé dans ce cadre à accueillir 194 personnes qui seraient réinstallés de la Turquie vers le Luxembourg d’ici septembre 2017.

Interrogé au micro des radios 100,7 et RTL Lëtzebuerg à la sortie de sa réunion avec les députés, le ministre a indiqué que le Luxembourg allait accueillir dans une première phase une cinquantaine de personnes au mois de mai.

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) va remettre le 11 avril prochain aux autorités une liste de 50 personnes susceptibles d’être réinstallées au Grand-Duché, a-t-il expliqué en insistant bien sur le fait que c’était l’UNHCR qui établissait cette liste et définissait qui parmi les réfugiés était prioritaire, et en rien les autorités turques. Le ministre avait déjà souligné l’importance de l’implication de l’UNHCR, garant d’une certaine neutralité dans le cadre du choix des personnes à réinstaller selon des critères de vulnérabilité définis par les Nations Unies.

Une première équipe constituée de personnes travaillant pour les services en charge de l’immigration est déjà en Turquie et sera rejointe dès le 17 avril par de nouveaux représentants des autorités luxembourgeoises, a précisé le ministre qui a fait état de contacts pris avec les équipes allemande et néerlandaise,  qui ont déjà accueilli des demandeurs d’asile dans le cadre de ce mécanisme.

Dans un communiqué diffusé sur le site de la Chambre, il est précisé que "ces personnes seront ensuite soumises à un entretien avec des agents des services de l’immigration et de la police judicaire luxembourgeois pour évaluer leur intégrité". Par souci de sécurité, il importe en effet de veiller à ce que ces personnes soient soumises aux mêmes procédures de vérification que n’importe quelle personne demandant l’asile directement au Luxembourg, a expliqué le ministre en évoquant la nécessité de contacts avec les services de renseignement et de recoupement avec les données contenues dans la base Eurodac.

La mise en œuvre de l’accord a fait l’objet de vives critiques et soulevé de nombreuses questions au sein de la commission LIBE du Parlement européen

Marteen Verwey devnt les eurodéputés de la commission LIBE le 7 avril 2016 (c) Union européenne / Parlement européenLe même jour, à peu près à la même heure, les eurodéputés de  la commission LIBE étaient réunis autour de Marteen Verwey, haut fonctionnaire de la Commission européenne qui a été nommé coordinateur spécial.

Ce dernier a relevé dans un premier temps que depuis l’entrée en vigueur de l’accord, le nombre d’arrivées sur les îles grecques avait diminué, passant de 676 personnes par jour dans les mois qui précédaient à 400 en moyenne, avec des chiffres avoisinant 70 personnes les derniers jours. Il s’est notamment félicité du fait que, depuis le 21 mars, personne n’avait perdu la vie en mer, contrairement aux 90 personnes qui ont péri dans la traversée entre le 1er janvier et le 21 mars. 202 personnes avaient été réadmises en Turquie à l’heure où il s’exprimait devant les parlementaires, et 74 personnes avaient été réinstallées depuis la Turquie dans trois Etats membres, a-t-il indiqué.

Selon lui, le grand défi est de veiller à ce que toutes les demandes d’asile soient traitées de manière individuelle, ce qu’impose la législation européenne et internationale. Sur les près de 400 experts requis pour venir prêter main forte aux agents de l’EASO afin de traiter les demandes d’asile, 32 experts étaient sur place, a indiqué le coordinateur.

Une autre préoccupation de la Commission porte sur les conditions d’accueil des réfugiés dans les hotspots qui sont surpeuplés, et Martin Verwey a assuré faire le maximum pour aider les autorités grecques à assurer les services de base, notamment du fait que certaines ONG ont décidé de cesser de les assurer au sein de centres fermés depuis l’entrée en vigueur de l’accord.

Face à lui, les eurodéputés ont dressé une longue liste de critiques et de questions très concrètes sur la mise en œuvre d’un accord qu’ils n’avaient pas manqué de dénoncer ou tout au moins de critiquer vivement.

"Depuis l'entrée en vigueur de cet accord, 95 % de ces personnes ont demandé l'asile en quelques jours", a affirmé l’eurodéputée grecque Elissavet Vozemberg-Vrionidi (PPE), un chiffre que le coordinateur de la Commission a contesté en évoquant plus de 4200 demandes d’asile introduites sur un total de plus de 6300 personnes sur place. "Les demandes de ces personnes peuvent être acceptées, mais ils peuvent aussi déposer un recours, ce qui signifie que ces personnes vont rester en Grèce", a souligné la parlementaire grecque qui a dénoncé un accord qui n’est "pas bien appliqué" et dont "les résultats ne sont pas satisfaisants".

Birgit Seppel, qui s’exprimait pour le groupe S&D, a rappelé que cet accord ne réduirait en rien le nombre de réfugiés, mais pourrait juste limiter le nombre de personnes parvenant à rejoindre l’UE. Elle a demandé des précisions sur les changements législatifs opérés en Turquie, et notamment sur le sort des personnes qui y sont réadmises et qui n’auraient pas la nationalité syrienne. De ce point de vue, les conditions de la mise en œuvre de cet accord ne sont pas remplies selon elle.

Timpthy Kirkhope (ECR) a rappelé qu’il n’était pas particulièrement satisfait par cet accord, en posant une longue liste de questions sur sa mise en œuvre pratique par les Etats membres ou encore sur les procédures d’évaluation des financements promis par l’UE. Il a lui aussi mis l’accent sur le statut des personnes réadmises en Turquie.

Cornelia Ernst (GUE) a insisté sur le respect de la Convention de Genève, s’inquiétant des critères selon lesquels seraient choisies les personnes qui vont bénéficier d’une réinstallation dans l’UE depuis la Turquie, mais aussi du sort des personnes réadmises en Turquie. Sa consoeur Barbara Spinelli a pour sa part demandé la suspension d’un accord qu’elle juge "honteux" dans la mesure où la Turquie ne remplit aucune garantie.

Une demande qui rejoint celle formulée par les Verts. Judith Sargentini a dénoncé les conditions inhumaines dans lesquelles les réfugiés se retrouvent détenus, ce qui mine selon elle la Convention de Genève. "Ces centres de déportation sont en désaccord avec les obligations internationales sur la protection des réfugiés et le droit européen", a-t-elle argué en mettant aussi en doute "la légitimité démocratique" d’un accord signé et mis en œuvre sans la moindre implication du Parlement européen. "Cet accord doit être suspendu sans délai", a-t-elle demandé.