Le Conseil Justice et Affaires intérieures (JAI) qui s’est tenu le 21 avril 2016 à Luxembourg a été entièrement consacré à des questions relatives aux affaires intérieures, notamment à la sécurité et aux migrations et aux mesures à mettre en œuvre pour réduire rapidement les conséquences négatives de la situation migratoire actuelle pour les personnes, pour protéger les frontières extérieures de l’UE, endiguer les flux de réfugiés, réduire l’immigration illégale et préserver l’intégrité de l’espace Schengen.
En premier lieu, les ministres ont discuté du paquet "frontières intelligentes" présenté par la Commission le 6 avril 2016, ce dans le prolongement de la réunion du 24 mars 2016 après les attentats de Bruxelles. Cette proposition a pour but d'accélérer, de faciliter et de renforcer les procédures de vérification aux frontières pour les ressortissants de pays tiers se rendant dans l'UE.
Au cours de sa conférence de presse, le ministre luxembourgeois de l’Immigration, Jean Asselborn, a évoqué l’intention de plusieurs pays, dont la France, d’étendre ce système à toutes les personnes qui entrent et sortent de l’UE, y compris donc aux citoyens de l’UE. Cette approche soulève des questions sur la protection des données et la durée de rétention de ces données, a souligné le ministre, qui n’est pas opposé à l’extension des contrôles aux citoyens de l’UE.
Les ministres ont aussi débattu de la mise en œuvre des conclusions du Conseil européen de mars ainsi que de la déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016. Il a été demandé aux Etats membres de d’accroître leurs efforts dans le domaine de la réinstallation de réfugiés syriens qui se trouvent actuellement en Turquie dans le cadre du principe "1 pour 1". De même, les Etats membres ont été invités à accélérer les relocalisations de demandeurs d’asile qui se trouvent actuellement en Grèce et en Italie en fonction des décisions du 14 septembre 2015 approuvées par majorité qualifiée le 22 septembre.
Le commissaire européen Dimitris Avramopoulos en charge des affaires intérieures, de la sécurité et des migrations, a évoqué un chiffre d’à peine plus de 1000 personnes relocalisées sur les 120 000 qui devraient l’être, alors que des dizaines de milliers de personnes ont échoué en Grèce et en Italie où la situation "ne s’améliore pas", car rien qu’en Italie, 25 000 personnes sont de nouveau arrivées depuis le début du mois d’avril, notamment par la route de la Méditerranée centrale. Il a rappelé que 70 % de ces personnes seraient susceptibles de se voir accorder la protection internationale.
Jean Asselborn a donné des précisions sur les efforts du Luxembourg dans ce contexte. Six agents luxembourgeois sont sur place pour renforcer Frontex et l’EASO et identifier les personnes qui seront relocalisées ou réinstallées au Luxembourg. En tout, 220 personnes, 120 personnes relocalisées de Grèce ou d’Italie, et 100 personnes réinstallées de Turquie, devraient venir au Luxembourg d’ici fin août.
Si l’accord entre l’UE et la Turquie a l’avantage d’assurer une entrée légale et sûre dans l’UE et pourrait permettre de mettre fin à l’entremise des passeurs, il a aussi un revers : la reconduite de personnes vers la Turquie, ce qui ne devrait se faire qu’en leur donnant des garanties. Jean Asselborn a évoqué le cas des nombreux Afghans qui ont échoué notamment à la frontière gréco-macédonienne à Idomeni et qui risquent d’être renvoyés de Grèce en Turquie, et puis par la Turquie en Afghanistan, alors qu’ils ont déjà passé la plus grande partie de leur vie en Iran et n’ont plus aucun lien véritable avec leur pays d’origine. Un autre problème est que l’on voudrait donner la priorité aux regroupements familiaux, et que cela pose des problèmes pratiques en Turquie. D’où la nécessité d’impliquer plus fortement l’UNHCR dans la mise en œuvre de l’accord pour que la dimension humaine soit respectée.
Jean Asselborn a insisté sur le fait que la Turquie devra remplir en juin 2016 les 72 conditions pour obtenir la libéralisation du régime de visas. Il a évoqué les craintes qui circulent au Conseil que d’ici là, ces conditions ne soient pas remplies et que la Turquie suspende la mise en œuvre de l’accord ou le remette en question et "rouvre les digues". Pour le ministre, "il y a cependant une solution à cela, mais nous en parlerons plus tard".
Les ministres ont également eu une première discussion exploratoire sur la communication de la Commission concernant la réforme du régime d'asile européen commun et l'amélioration des voies d'entrée légale en Europe. Comme l’a dit Klaas Dijkhoff, le ministre en charge de la Migration des Pays-Bas au nom de la Présidence tournante du Conseil, "nous sommes tous d’accord que l’actuel système (Dublin II et III, ndlr) ne fonctionne pas, que le statu quo n’est pas une option et que nous avons besoin d’un meilleur système" qui "soit capable de faire face non pas à des flux migratoires faibles, mais très forts et qui pourrait même déboucher sur des flux plus bas que ceux que nous venons de vivre".
Jean Asselborn a néanmoins évoqué "ces pays qui ne veulent rien savoir d’une réforme de Dublin ni accueillir des réfugiés". Il a tenu à leurs égard des propos très durs : "C’est à se demander si certains pays savent encore ce que c’est d’être membre de ce club, je ne veux même pas parler d’union, car ils ne font preuve d’aucun sentiment d’appartenance à une communauté." Rappelant que c’était la Hongrie qui avait demandé l’organisation d’une conférence sur la route balkanique qui a finalement eu lieu à Luxembourg le 8 octobre 2015, il a évoqué un plan en 10 points présenté par ce pays lors du Conseil dont le ténor était selon lui que la question de la migration soit résolue en dehors des frontières de l’UE et que la décision d’accueillir sur son territoire des réfugiés relevait de la compétence nationale des Etats membres. Pour Jean Asselborn qui ne comprend pas comment des pays d’Europe centrale ont pu aller porter plainte auprès de la CJUE contre les décisions du 22 septembre, c’est une approche inacceptable, car les quotas pour les relocalisations et les réinstallations ont pour lui clairement force de loi.
Deux options ont été soumises par la Commission : soit Dublin est réformé et devient un système qui prévoit une répartition équitable des flux de migrants entre les Etats membres, soit l’on crée un mécanisme européen géré par l’EASO qui décide directement au niveau européen de la répartition des migrants. Pour Jean Asselborn, qui se base sur l’expérience faite sous Présidence luxembourgeoise, toutes ces options se heurteront à l’opposition des Etats membres qui ne veulent pas, par principe, de quotas. Mais si les choses continuent de la manière dont elles se déroulent actuellement, Jean Asselborn craint qu’"à trop tirer sur la corde, celle-ci risque de rompre et c’en sera fini de ce projet de paix qu’est l’Union".
Le Conseil a fait le point des travaux sur la proposition relative à un corps européen de garde-frontières pour laquelle il a adopté sa position le 6 avril 2016 au COREPER. Sans préjuger des négociations avec le Parlement, les ministres ont mis l’accent sur la nécessité de préparer la mise en œuvre des éléments prioritaires.
Les discussions ont sur ce volet porté sur l’échange d’informations et notamment sur l’alimentation et la consultation systématique des bases de données européennes et internationales. Le Vice-Premier ministre, ministre de la Sécurité intérieure, Étienne Schneider, qui a participé à la partie "Sécurité intérieure" du Conseil JAI, a souligné dans ce contexte la nécessité de développer une approche coordonnée et unie au niveau européen face au terrorisme. Partant du constat que l’Union dispose déjà d’une panoplie d’instruments efficaces, il a plaidé en faveur d’une meilleure utilisation du dispositif en place. Vu la sensibilité des sujets, la réunion s’est déroulée en séance restreinte.
Le Conseil a adopté sans débat, la directive sur les dossiers passagers (PNR) dans l'UE ainsi que la directive renforçant les droits des enfants dans le cadre des procédures pénales.