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Traités et Affaires institutionnelles
Discours sur l’état de l'Union 2016 au Parlement européen - Jean-Claude Juncker préconise une Europe qui protège, donne les moyens d'agir et défend
14-09-2016


juncker-pe-160914-etat-unionLe président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a prononcé le 14 septembre 2016 devant le Parlement européen à Strasbourg, son discours sur l’état de l’Union 2016, dans lequel il a fait le point des progrès accomplis durant l’année écoulée et présenté ses priorités pour l’année à venir. Il a expliqué comment la Commission allait relever les défis les plus pressants de l’Union européenne.

"Jamais encore, je n’avais vu …."

Pour Jean-Claude Juncker, qui avait constaté en 2015 que "l'état de notre Union n'était pas bon", l’UE de 2016 "traverse, du moins en partie, une crise existentielle". Et d’aligner sans ménagement les problèmes : "Jamais encore, je n'avais vu un terrain d'entente aussi réduit entre nos États membres. Un nombre aussi réduit de domaines dans lesquels ils acceptent de travailler ensemble. Jamais encore, je n'avais entendu autant de dirigeants ne parler que de leurs problèmes nationaux, et ne citer l'Europe qu'en passant, pour autant qu'ils la citent. Jamais encore, je n'avais vu des représentants des institutions de l'Union fixer des priorités aussi différentes, parfois en opposition directe avec les gouvernements et les parlements nationaux. C'est comme s'il n'y avait quasiment plus de point de rencontre entre l'Union et ses capitales nationales. Jamais encore, je n'avais vu des gouvernements nationaux aussi affaiblis par les forces populistes et paralysés par le risque de perdre les prochaines élections. Jamais encore, je n'avais vu une telle fragmentation, et aussi peu de convergence dans notre Union." Il parlera même "des tragiques divisions qui sont apparues entre l'Est et l'Ouest".

Il est donc temps pour lui de se reprendre et de réfléchir sur l'état de l'Union "avec réalisme et avec une grande honnêteté". Il y a pour lui d’abord les "problèmes non résolus en Europe" : "le chômage élevé et les profondes inégalités sociales, l'amoncellement des dettes publiques et l'énorme défi de l'intégration des réfugiés jusqu'aux menaces bien réelles pour notre sécurité intérieure et extérieure". Et surtout : "chaque État membre de l'Union est en proie aux crises incessantes de notre temps".

Il y a ensuite la manière dont "le monde entier nous regarde". L’UE n’a pas assez de réponses communes à offrir dans les forums mondiaux, estime le président de la Commission. L’on s’interroge si "l'Europe sera encore capable de conclure des accords commerciaux et de proposer au monde des normes économiques, sociales et environnementales", ou si elle connaîtra enfin une reprise économique, si elle restera à la pointe du combat en faveur des droits humains et des valeurs fondamentales, si elle parlera d’une seule voix quand l'intégrité territoriale d'un pays sera menacée, en violation du droit international, ou si elle disparaîtra-de la scène internationale en laissant à d'autres le soin de façonner le monde.

Finalement, "nous ne sommes pas les États-Unis d'Europe", explique le président. Son fonctionnement, dont la complexité ne peut être ignorée, se base sur différents niveaux de démocratie "qui sont d’importance égale", dont le Parlement européen, le Conseil, mais aussi les parlements nationaux, où le projet européen doit être défendu. C’est "en laissant de côté les conflits de compétences et les rivalités entre institutions" que "les dirigeants des institutions de l'Union et les gouvernements nationaux pourront redonner confiance aux citoyens européens dans notre projet commun".

Pour lui, "les Européens veulent des solutions concrètes aux problèmes très pertinents auxquels notre Union fait face", "des décisions communes qui soient appliquées rapidement et efficacement", mais aussi "que quelqu'un gouverne" et "réponde aux défis de notre temps". D’où sa proposition d’un "programme positif d'actions européennes concrètes, à réaliser dans les douze prochains mois". L’Europe que Jean-Claude Juncker préconise serait une Europe qui protège, qui préserve notre mode de vie européen, qui donne le pouvoir à nos citoyens, qui défend, à l'intérieur comme à l'extérieur, et une Europe qui prend ses responsabilités.

"Une Europe qui préserve notre mode de vie"

Pour Jean-Claude Juncker, "l’Europe est synonyme de paix", de "70 ans de paix ininterrompue en Europe, dans un monde où l’on dénombre 40 conflits armés actifs, qui chaque année coûtent la vie à 170 000 personnes". Si les Européens s’affrontent sur des sujets de controverse, c’est "avec des mots", et "nous réglons nos conflits autour d’une table, pas dans des tranchées". Le mode de vie européen se vit autour des valeurs de liberté, de démocratie, de l’état de droit, autour de la libre circulation des travailleurs, de la lutte contre la discrimination et le racisme et de l’opposition ferme à la peine de mort, finalement autour de l’indépendance et de l’efficacité des systèmes judiciaires.

"Être européen, c’est aussi être ouvert et faire du commerce avec ses voisins, au lieu de leur faire la guerre. C’est faire partie du plus grand bloc commercial au monde, avec des accords commerciaux conclus ou en cours de négociation avec plus de 140 partenaires dans le monde", explique le président de la Commission, pour qui "plus de 30 millions d’emplois, soit 1 emploi sur 7 dans l’UE, dépendent maintenant de nos exportations vers le reste du monde". D’où son plaidoyer pour le CETA, l’accord commercial entre l’UE et le Canada, selon lui "le meilleur accord, et le plus progressiste, jamais négocié par l’UE" dont il souhaite la ratification "le plus rapidement possible".

Font également selon lui partie du mode de vie européen "le droit de voir ses données à caractère personnel protégées par une législation forte, une législation européenne", ou le fait d’être soumis à des règles équitables. Il donne pour exemples la règle de "recevoir le même salaire pour le même travail au même endroit". C’est pourquoi la Commission soutient la proposition de directive sur le détachement des travailleurs : "Le marché intérieur n’est pas un endroit où les travailleurs d’Europe de l’Est peuvent être exploités ou soumis à des normes sociales moins strictes. L’Europe n’est pas le Far West, c’est une économie sociale de marché."

La protection des consommateurs contre "des ententes entre grandes entreprises et de leurs pratiques abusives" et le principe que "chaque entreprise, quelle que soit sa taille, doit payer des impôts là où elle fait des bénéfices" entrent aussi en compte. Il s’agira aussi de renouer avec une culture de protection de nos travailleurs et de nos industries et de "défendre notre industrie sidérurgique". D’où un appel "à tous les États membres et à ce Parlement pour qu’ils soutiennent la Commission dans le renforcement de nos instruments de défense commerciale". "Nous ne devons pas être des partisans naïfs du libre-échange, mais être capables de réagir au dumping avec la même fermeté que les États-Unis", insiste Jean-Claude Juncker. La Commission agira aussi pour protéger le secteur agricole, "un élément essentiel de notre mode de vie européen", tout comme l’euro,  qui est resté fort au cours de la crise, qui a fait économiser 50 milliards d’euros en 2015 en paiements d’intérêts "que nos ministres des finances peuvent et sont censés investir dans l’économie", tout comme le pacte de stabilité et de croissance qui a fait passer les déficits publics de 6,3 % en 2009 à moins de 2 % actuellement.

"Une Europe qui donne les moyens d'agir"

Pour donner aux citoyens les moyens d'agir à l'ère du numérique, Jean-Claude Juncker veut réformer les marchés des télécommunications européens par un nouveau cadre juridique qui attire et qui permette les investissements dans la connectivité, ce qui pourrait conduire à la création d’au moins 1,3 million de nouveaux emplois en dix ans. La Commission veut également déployer pleinement la 5G, la cinquième génération de systèmes de communication mobile, dans toute l'Union européenne d'ici à 2025. Cela peut générer deux millions d'emplois supplémentaires dans l'UE. Elle veut également équiper chaque village et chaque ville d'Europe d'un accès internet sans fil gratuit autour des principaux centres de la vie publique d'ici à 2020.

La Commission veut ensuite donner les moyens d'agir aux artistes et aux créateurs européens et protéger leurs œuvres par une refonte des règles européennes du droit d'auteur.

Quant à l’EFSI, le plan d'investissement pour l'Europe, doté de 315 milliards d'euros, et qui a mobilisé en un peu plus d’un an 116 milliards d'euros d'investissements, allant à plus de 200 000 petites entreprises et start-up dans toute l'Europe et créé autour de 100 000  nouveaux emplois, Jean-Claude Juncker propose  de doubler sa durée et de doubler sa capacité financière, pour qu’il fournisse un financement total d'au moins 500 milliards d'euros d'ici à 2020.

Pour sortir l’économie de sa dépendance des crédits bancaires, Jean-Claude Juncker propose d'accélérer les travaux concernant l'Union des marchés des capitaux censée offrir "des sources de financement alternatives et d'importance vitale pour aider les start-up à démarrer – "business angels", capital-risque, financement par le marché".

Par ailleurs, Jean-Claude Juncker a fait la proposition d’un plan d'investissement pour l'Afrique et les pays du voisinage "susceptible de mobiliser 44 milliards d'euros d'investissements" et dont le montant pourrait aller jusqu'à 88 milliards d'euros si les États membres y contribuaient, un plan qui complèterait l’aide au développement et permettrait de s’attaquer "à l'une des causes profondes de la migration".

L’UE veut aussi investir dans sa jeunesse, et même si "cette responsabilité incombe essentiellement aux gouvernements nationaux", elle "peut soutenir leurs efforts, avec la garantie pour la jeunesse de l'UE, avec les programmes Erasmus et Erasmus+.

Mais "l'Europe compte de nombreux jeunes qui souhaitent s'engager, contribuer utilement à la société et montrer leur solidarité", estime Jean-Claude Juncker, et c’est pourquoi il propose de créer un corps européen de solidarité au sein duquel "les jeunes de toute l'Union pourront proposer leur aide là où elle sera le plus utile, pour répondre aux situations de crise, comme la crise des réfugiés ou les récents tremblements de terre en Italie". Ce corps devrait être opérationnel avant la fin de l'année et voir les 100 000 premiers jeunes volontaires à l'œuvre d'ici 2020.

"Une Europe qui défend"

Pour Jean-Claude Juncker, L’Europe doit se défendre contre le terrorisme, tout en restant fidèle à aux valeurs de ses "sociétés démocratiques, plurielles, ouvertes et tolérantes". "Mais cette tolérance ne peut se faire au détriment de notre sécurité", met-il en avant. La sécurité est d’ores et déjà une priorité de la Commission depuis le début des attaques en janvier 2015 qui ont coûté depuis la vie à des centaines de personnes en Europe. Il s’agit maintenant de "savoir qui franchit nos frontières". Un premier volet de l’action de la Commission est la nouvelle agence européenne de gardes-frontières et de garde-côtes, "qui est en voie d'être formalisée par le Parlement et le Conseil, tout juste neuf mois après que la Commission a proposé sa création". Après le déploiement de 600 agents de Frontex en Grèce aux frontières avec la Turquie et de plus de 100 agents en Bulgarie, Jean-Claude Juncker voudrait que dès le mois d’octobre, au moins 200 gardes-frontières et 50 véhicules supplémentaires soient déployés aux frontières extérieures de la Bulgarie.

Il y a aura aussi un contrôle strict de tous les ressortissants de pays tiers admis pour un séjour de courte durée dans l’espace Schengen qui franchiront les frontières de Schengen. Chaque fois qu’ils entreront dans l'UE ou quitteront son territoire, il y aura un enregistrement de la date, du lieu et du motif.

Finalement, la Commission proposera d’ici au mois de novembre un système européen d’informations de voyage, à savoir un système automatisé visant à déterminer qui sera autorisé à voyager à destination de l’Europe. Les autorités sauront de cette manière qui voyage vers l'Europe avant même que cette personne n'arrive.

La sécurité des frontières implique également de donner la priorité à l’échange d’informations et de renseignements. À cette fin, la Commission renforcera Europol en lui donnant un meilleur accès aux bases de données et en lui octroyant des ressources supplémentaires.

Mais "une Europe qui protège doit aussi défendre nos intérêts au-delà de nos frontières", estime Jean-Claude Juncker. Il faudra rester unis pour "une force incontournable" et ne pas être naïfs : "La puissance douce ne suffit pas dans un voisinage de plus en plus dangereux."

L’UE doit revenir à la table où les conflits du monde sont réglés, Federica Mogherini, la haute représentante "doit devenir notre ministre européenne des affaires étrangères, celle qui rassemblera tous les corps diplomatiques, tant des petits que des grands pays, pour pouvoir peser dans les négociations internationales". D’où la nécessité de développer une stratégie européenne pour la Syrie.

Jean-Claude Juncker prône également un renforcement de la politique de défense de l’UE. Il plaide pour une structure permanente qui permette de gérer au sein d’un siège unique les opérations militaires et civiles dans lesquelles l’UE est engagée. Il suggère "des ressources militaires communes qui, dans certains cas, appartiendraient à l’Union, et, bien entendu, en pleine complémentarité avec l’OTAN".La Commission proposera, avant la fin de l’année, la création d'un Fonds européen de la défense, pour stimuler activement la recherche et l'innovation. Et l conclut sur ce chapitre: "Le traité de Lisbonne permet aux États membres qui le souhaitent de mettre en commun leurs capacités de défense sous la forme d’une coopération structurée permanente. Je pense que l'heure est venue de faire usage de cette possibilité. Et j’espère que notre réunion à 27 à Bratislava dans quelques jours, constituera le premier pas politique dans cette direction."

"Une Europe qui prend ses responsabilités"

Appelant les responsables politiques à prendre leurs responsabilités dans la construction de "cette Europe qui protège", Jean-Claude Juncker leur a demandé d’en finir "avec cette vieille rengaine selon laquelle le succès est national, et l'échec européen, sans quoi notre projet commun ne survivra pas". Il demande à "chacun des 27 dirigeants en route vers Bratislava à réfléchir à trois raisons pour lesquelles nous avons besoin de l'Union européenne. Trois choses à défendre pour lesquelles ils sont prêts à prendre leurs responsabilités. Et qu'ils sont prêts à réaliser rapidement."

Il a également appelé les Etats membres à ratifier l’accord de Paris, au risque de faire perdre sa crédibilité et son influence à l’UE qui s’est posée en leader mondial de l'action en faveur du climat. A ses commissaires, il a demandé "d'être prêts à débattre, dans les quinze jours qui viennent, de l'état de notre Union au sein des Parlements nationaux des pays que chacun d'entre eux connaît le mieux", car "l'Europe ne peut se construire qu'avec les États membres, jamais contre eux".

Il a évoqué le dossier du glyphosate, où le Parlement et le Conseil, incapables d’aboutir à une décision, ont forcé la Commission à prendre une décision. "Nous allons changer ces règles – car ce n'est pas cela la démocratie", a-t-il lancé, ajoutant : "La Commission doit prendre la responsabilité d'être politique, et pas technocrate."

Président d’une Commission politique qui doit "aussi corriger les erreurs technocratiques dès qu'elles se produisent", Jean-Claude Juncker n’a pas manqué d’aborder le dossier des frais d’itinérance, dans le cadre duquel il a fait retirer le 8 septembre un projet "correct sur le plan technique" publié le 5 septembre,  mais qui "ne correspondait pas aux promesses qui avaient été faites" par la Commission, le Parlement et le Conseil : celle "de supprimer les frais d'itinérance pour les téléphones mobiles". Cette promesse sera tenue, "et dès la semaine prochaine vous verrez un nouveau projet, bien meilleur".

Quant au pacte de stabilité et de croissance, il faut selon lui le mettre en œuvre "avec bon sens", voir les raisons de la dette d’un pays, "soutenir les efforts de réforme en cours, au lieu de les punir".

Finalement, il estime que tous les responsables politiques devraient répondre de leurs actes devant les électeurs. "C'est pourquoi nous allons proposer de changer la règle absurde obligeant les commissaires à renoncer à leurs fonctions s'ils veulent se présenter aux élections européennes. (…) Si nous voulons une Commission qui réponde aux attentes du monde réel, nous devrions encourager les commissaires à prendre rendez-vous comme il se doit avec la démocratie. Et non pas l'empêcher."