Principaux portails publics  |     | 

Entreprises et industrie - Commerce extérieur - Economie, finances et monnaie - Environnement
CETA – La Chambre des députés a adopté une motion invitant le gouvernement à signer l'accord
20-10-2016


chd-cetaLe 20 octobre 2016, la Chambre des députés a tenu un débat au sujet de l'accord économique et commercial global entre le Canada et l'UE (CETA), deux jours après que, faute de pleins pouvoirs donnés par la Région wallonne au gouvernement fédéral belge, le Conseil Affaires étrangères – Commerce a remis à plus tard l'accord unanime, nécessaire pour que l'UE signe l'accord avec le Canada.

La position du ministre des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn

Premier à prendre la parole, le ministre des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, a mis en avant toutes les garanties apportées par le CETA, depuis l'ajout d'une déclaration commune interprétative, comme il l'avait fait, le 10 octobre 2016, au cours d'une conférence de presse tenue à l'issue d'une entrevue avec la commission des affaires étrangères et européennes de la Chambre des députés.

Le ministre a souhaité apaiser les craintes des opposants au texte, renvoyant avec précision aux articles de l'accord permettant de vérifier ses propos. Il a rappelé que la déclaration conjointe, qui apporte de nouvelles garanties, sera adoptée en même temps que le CETA, et que ce dernier constituera ainsi un acte juridique formel de l'UE, publié dans le Journal officiel de l'UE. Le caractère contraignant de cette déclaration interprétative est par ailleurs confirmée par la Convention de Vienne sur le droit des traités, a-t-il dit.

Lors du Conseil Affaires étrangèes du 18 octobre, selon un document publié dans le cadre de ce débat, le ministre des Affaires étrangères et européennes avait énoncé les points que le Luxembourg voulait voir intégrés dans la déclaration conjointe : préciser, par la référence au code de conduite, l'indépendance et l'impartialité des juges dans le cadre de l'ICS ; réaffirmer l'engagement de protéger les services publics à tous les niveaux ainsi que préciser la possibilité de "renationaliser" les services publics ayant été privatisés, et "clarifier le fait que le principe de précautionne sera pas remis en question".

Devant les députés, il a mis en avant sept arguments qui devraient apaiser les esprits et ouvrir la voie à la signature de l'accord  : le tribunal permanent (ICS) est un tribunal public et transparent ; il n'y aura pas de baisse des standards environnementaux, sociaux et de protection des consommateurs ; il n'y a pas de pression en faveur d'une libéralisation des services publics ; le principe de développement durable est ancré dans l'accord et il n'y a pas de dumping environnemental possible ; l'impossibilité pour les sociétés boîtes à lettre canadiennes de porter plainte contre les Etats européens ; le maintien du droit de réguler ; la référence au principe de précaution.

Jean Asselborn a notamment souligné la présence dans le CETA du principe de l'égalité de traitement des investisseurs européens et canadiens. Ainsi, les investisseurs canadiens ne pourront pas contester des lois devant l'ICS. Il a par ailleurs aussi de nouveau mis en exergue le fait que les instances de coopération en matière de régulation ne prendront pas de décision politique.

Abordant l'application provisoire du traité, Jean Asselborn a expliqué que le Conseil du 18 octobre a adopté trois déclarations, suite notamment aux conditions posées par la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe, pour que l'Allemagne puisse voter l'accord. Ainsi, il a été clarifié que seuls les chapitres du CETA relevant de la compétence européenne pourront être provisoirement appliqués, et que cette application pourra être stoppée dès lors qu'un parlement ou un tribunal constitutionnel s'y opposent. De même, l'Allemagne peut arrêter unilatéralement l'application provisoire de l'accord. Enfin, le comité conjoint prévu dans le CETA ne peut, durant la période d'application provisoire, se saisir de questions qui touchent aux compétences nationales qu'à la condition que tous ces Etats aient donné leur accord.

Jean Asselborn a encore fait savoir qu'il n'était pas exclu que le CETA fasse l'objet de nouveaux ajustements possibles et que le Luxembourg participera au processus d'amélioration. Pour lui, en tout cas, le texte est "clair". Cet accord avec un partenaire stratégique important, permet de guider la globalisation "dans la bonne direction". "Soit nous co-décidons, soit nous regardons faire, et les autres décident pour nous", a-t-il dit. Un échec serait "mauvais", surtout pour un pays comme le Luxembourg dont 100 000 emplois dépendent du commerce international.

Les positions des différents groupes politiques

Disant partager les soucis des 4000 manifestants, qui ont défilé le 8 octobre contre le CETA et le TTIP à Luxembourg, inquiets au sujet du futur des standards européens en termes de santé, d'environnement, de travail, le député CSV, Laurent Mosar a souligné que le CETA n'était pas le TTIP et qu'il n'en était pas davantage "le cheval de Troie".

Le député a souligné que l'accord avait été nettement amélioré, grâce à l'engagement de la société civile et des gouvernements, dont le luxembourgeois. Désormais, le CETA est juridiquement plus précis, grâce au texte additionnel, tandis que son amélioration essentielle réside dans la création de l'ICS.

Le CETA n'est "pas une fin en soi", mais "un accord pour un commerce libre et loyal", qui offrira plus d'emploi et de bien-être, pense Laurent Mosar. "Qui ne peut pas arrêter la mondialisation mais veut participer à sa conception, a besoin d'un tel accord."  En l'absence d'un tel accord, il faudrait s'attendre à des conséquences négatives pour l'emploi et la croissance, mais aussi à ce que l'UE ne puisse plus conclure d'accords au niveau mondial et ne soit plus considérée "comme un partenaire crédible" et doive "retomber dans le bilatéralisme", ce qui serait "dramatique pour pays tourné vers les exportations comme Luxembourg", a-t-il jugé, déplorant que 27 Etats membres puissent être "pris en otages" par un parlement régional.

Marc Angel (LSAP) a rejeté l'image diffusée sur la place publique, qui voudrait qu'il y ait d'un côté la société civile et, de l'autre, des politiciens qui font ce qu'ils veulent. Main dans la main, la société civile et les politiciens auraient obtenu beaucoup dans la modification de l'accord originellement prévu, a-t-il dit, en soulignant notamment le remplacement du tribunal privé par l'ICS. "Cet accord constitue un pas important pour un commerce mondial plus juste", a-t-il poursuivi, en soulignant que la déclaration additionnelle "n'a pas la valeur d'une brochure de publicité" mais est contraignante.

Gusty Graas (DP) a déploré la "naissance compliquée" de l'accord. Il a souligné que son parti avait lui aussi tracé des lignes rouges à ne pas dépasser. Il ne devait pas y avoir de dilution des standards mais une convergence vers le haut, l'accord devait être mixte, l'application provisoire ne devait intervenir qu'après le vote du Parlement européen, il ne devait pas y avoir de juridiction privée chargée de régler les différends entre Etats et investisseurs et enfin le principe de précaution devait être protégé. Toutes ont été respectées dans la version finale de cet accord qui constitue "une chance pour l'économie". Gusty Graas a relativisé la taille de l'opposition au traité, les manifestations faisant de toute façon partie d'un Etat de droit, avant de faire siennes les paroles prononcées devant la Chambre des députés deux jours plus tôt par le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermanns, selon lequel le Canada partage les valeurs de l'UE.

chd-ceta-adamDans son discours, Claude Adam a justifié la position compliquée de son parti Déi Gréng, celle d'un parti membre de la coalition gouvernementale favorable au CETA mais qui a appelé à manifester le 8 octobre. "Nous n'avons pas juste dit non mais nous avons accompagné le texte de manière critique", a-t-il avancé. Déi Gréng reste ainsi dubitatif sur le CETA. "Malgré les améliorations, nous aurions voulu un autre accord", a expliqué Claude Adam. L'UE et le monde auraient besoin d'accords commerciaux, qui mettent en première place la protection de l'environnement, qui tiennent compte des objectifs climatiques, qui soient justes et reposent sur les principes fondamentaux, qui prennent au sérieux les objectifs de développement de l'ONU, et qui placent "l'humain au centre, devant  les intérêts des multinationales."

Déi gréng gardent également de "grandes préoccupations" au sujet de la nécessité de l'ICS et veulent que soit édicté un code de conduite "strict" pour les juges, comme le réclame la motion adoptée par la Chambre des députés. Claude Adam a par ailleurs nourri l'espoir d'une amélioration, et notamment du caractère contraignant de la déclaration. Il a jugé à ce titre que les demandes de la région wallonne, opposée au CETA, recoupaient les attentes du Luxembourg. A noter d'ailleurs que le jour même, l'eurodéputé Déi Gréng, Claude Turmes, adressait avec 87 autres eurodéputés des groupes Verts-ALE, GUE-NGL, S&D, PPE et EFFD, une lettre de soutien au Parlement wallon et au Parlement de la Fédération de Wallonie-Bruxelles qui salue leur "courage politique".

Fernand Kartheiser (ADR) a dénoncé la limitation de la souveraineté des parlements nationaux, dans la mesure où ils ne sont consultés que pour la partie mixte du traité. Le parti s'oppose à une application provisoire des parties relevant de la compétence européenne.

Marc Baum (déi Lénk) a rappelé que l'histoire des accords libéraux n'a pas commencé avec le CETA et le TTIP, mais dans les années 90, avec l'accord AMI, auquel un responsable socialiste, le premier ministre français d'alors, Lionel Jospin, avait mis fin. Les critiques justifiées dans les années 90 sont encore d'actualité, d'autant plus que le vocabulaire n'a pas changé dans les accords, pense-t-il. Marc Baum se réfère à des avis juridiques "des deux côtés de l'Atlantique" pour dire que la valeur juridique de la déclaration additionnelle est nulle ou presque. Après cet ajout, l'accord CETA ressemble à "une bombe avec un smiley dessus". Il s'est étonné de l'engouement autour de la garantie apportée aux Etats du droit de réguler. "S'il doit être constaté et déclaré que l'Etat a encore le droit de réguler, cela en dit long sur le contenu du texte", a-t-il dit.

Marc Baum a été aussi d'avis que, capables de saisir l'ICS pour s'opposer aux lois européennes, les investisseurs étrangers seraient avantagés par rapport aux locaux. Il a souligné également que l'accord CETA n'irait pas dans le sens d'une politique de lutte contre le changement climatique et de l'accord de Paris puisqu'il signifie une augmentation du transport de marchandises d'un bout à l'autre du monde. Doutant des retombées en termes de croissance et d'emploi d'un tel accord, il déplore que le gouvernement n'ait jamais conduit d'analyse d'impact d'un accord dont il croit qu'il contribuera surtout à une concentration plus importante du pouvoir économique. "La richesse du Luxembourg vient en partie de son ouverture, certes, mais aussi de la mobilisation des syndicats et de la société civile", a-t-il dit, rangeant son parti aux côtés de ces derniers. Pour conclure, il a souligné que pour des millions de citoyens de l'UE et hors UE, la décision wallonne constitue "un espoir contre la machinerie ultralibérale". 

En conclusion des débats, le ministre des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, a notamment réagi à la prise de position du député Déi Lénk, Marc Baum.  Il a souligné qu'il n'était pas possible d'attaquer des lois devant l'ICS, et a dénoncé que l'on "fasse peur aux gens avec choses qui ne sont pas vraies".

Une motion qui appelle le gouvernement "à soutenir au sein du Conseil de l'UE toute démarche visant des clarifications et autres améliorations supplémentaires"

Une motion qui invite le gouvernement à signer l'accord, désignant le CETA comme un modèle pour les futurs accords commerciaux et qui demande que le principe de précaution et le caractère contraignant de la déclaration additionnelle soient respectés, a été adoptée par les trois partis au pouvoir (DP, LSAP et Déi Gréng), et le principal parti d'opposition (CSV), avec un total de 55 voix pour et 5 voix contre.

La motion invite notamment le gouvernement à "veiller à ce que les parlements nationaux aient le pouvoir de décision en ce qui concerne la ratification de la partie mixte de l'accord et plus particulièrement la question sensible du système juridictionnel de l'AECG/CETA" et, ainsi, "que le SCI/ICS ne soit pas appliqué provisoirement". Ils l'appellent également "à soutenir au sein du Conseil de l'UE toute démarche visant des clarifications et autres améliorations supplémentaires", et à "s'engager pleinement dans les travaux sur le code de conduite contraignant pour les membres du tribunal permanent des investissements".