De retour de sa tournée au Proche-Orient, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a accordé à l'hebdomadaire Le Jeudi un entretien publié dans son édition datée du 3 mars 2011.
Si le ministre dévoile au journaliste Michel Petit ses impressions sur les pays qu’il a visités et sur les événements qui ont bouleversé la région ces dernières semaines, il fait aussi le point sur la politique étrangère de l’UE.
Comme il l’a déclaré à Ankara, Jean Asselborn estime que, si l’Egypte doit choisir un régime séculier, elle pourrait prendre exemple sur la Turquie. Il estime au sujet de cette dernière que "ce serait une faute politique de bloquer les réformes à l'intérieur de la Turquie, réformes qui vont dans le bon sens", et "à cet égard", souligne une fois de plus le chef de la diplomatie luxembourgeoise, "les négociations avec I'UE restent importantes".
Plus généralement, le journaliste de l’hebdomadaire lui fait remarquer que "jusqu'à présent, Catherine Ashton, haut représentant européen pour les Affaires étrangères, semble particulièrement discrète sur les événements...". Jean Asselborn se refuse à commenter cette remarque, précisant seulement qu’avec le traité de Lisbonne, "la politique étrangère européenne voulait davantage de consistance" et constatant qu’il y a "énormément de progrès à faire".
Aux yeux du ministre luxembourgeois, "la politique étrangère reste une politique relevant des intérêts nationaux". "Cela existe toujours et subsistera aussi longtemps que les 27 pays", explique le ministre, ajoutant encore que "c'est le poids de l'histoire, surtout pour les plus grands pays". "On ne peut pas dire du jour au lendemain que seul prévaut l'intérêt européen", reconnaît ainsi Jean Asselborn, glissant cependant "peut-être en... 2050".
Quand Michel Petit lui demande si le défilé des ministres européens en Egypte n’est pas "l'indice d'une cacophonie", Jean Asselborn assure qu’il n’y a "rien de plus normal que les ministres se rendent dans ces pays" dans la mesure où "les 27 doivent montrer leur intérêt pour l'évolution".
Pour ce qui est de l’Union pour la Méditerranée (UPM) que d’aucuns souhaiteraient utiliser pour que l’UE vienne en aide aux pays concernés, Jean Asselborn fait part de ses réserves. "Mon expérience me montre que, avant cette UPM, les rapports avec les pays méditerranéens étaient moins institutionnalisés, moins complexes, plus spontanés", se souvient Jean Asselborn, constatant que "cela fonctionnait".
Pour lui, en fin de compte, "l'UPM n'a jamais vu le jour". "Parce que trop institutionnalisée, elle a tout tué", s’explique-t-il avant d’avancer qu’il faut "tout repenser". "Sarkozy n'avait rien compris de l'Europe. Et il voulait juste prendre pour partenaires les pays du pourtour méditerranéen", conclut le chef de la diplomatie luxembourgeoise.
"L'Europe doit-elle craindre l'immigration ?", demande alors Michel Petit au ministre. "Je n'ai pas vraiment de réponse", lui répond-il, ajoutant cependant qu’il faut "admettre que les capacités d'absorption et d'acceptabilité sont limitées" et que "l'Europe doit faire un effort".
Pour Jean Asselborn, il s'agira pour la suite "d'investir davantage dans la coopération et moins dans l'armement". A ses yeux en effet, "il y a un potentiel énorme, mais dispersé". "Les mentalités doivent changer", poursuit le ministre qui estime que "les événements actuels sont aussi un signal pour le monde riche, peut être même le dernier signal pour le monde riche". "La discrimination entre notre bien-être et leur pauvreté ne durera pas", prévient en effet Jean Asselborn qui pense que "la situation peut exploser à tout moment".
Pour la suite des événements en Egypte notamment, Jean Asselborn estime que "dans l'immédiat, il ne faut pas croire que tout va s'améliorer". Il prévient même que "la situation va empirer". "Au plan économique, rien de positif n'est prévisible, (sinon, peut-être, le retour du tourisme) sans l'aide complémentaire de l'UE ", estime le ministre luxembourgeois. "Les grandes institutions comme la BEI doivent donner des impulsions", assure-t-il, précisant toutefois que "ce ne sont pas les contribuables européens qui vont sauver les pays".
Pour ce qui est du gel des avoirs des dictateurs, Jean Asselborn précise qu’il en a été question au Luxembourg à propos de la Tunisie, de la Libye, de l'Egypte. "Mais il nous faut des données", explique-t-il, indiquant que "le ministre des Finances nous a dit n'avoir reçu aucune demande précise émanant de ces pays". Avant d’assurer que "nous sommes disposés à geler les avoirs dans la mesure où la procédure est légale, que les biens sont identifiés".