Principaux portails publics  |     | 

Economie, finances et monnaie - Traités et Affaires institutionnelles
Rencontres européennes - Jean-Marc Ferry : Défis et dilemmes de l’Europe politique
08-10-2011


Le philosophe Jean-Marc Ferry, auteur de nombreux ouvrages de référence qui abordent les fondements philosophiques de l’Europe, comme La République crépusculaire, est parti du constat que certains dirigeants européens nient le malaise européen et que "pendant très longtemps, les responsables européens ont fonctionné selon le principe du volontarisme pour propager leur foi". Pour Jean-Marc Ferry, c’est "une grave erreur" que de vouloir aller vers l’Etat fédéral, même si lui-même se situe plus près des fédéralistes que des souverainistes. Mais, insiste-t-il, "l’intégration européenne est une question particulièrement difficile". De sorte qu’il faut prendre au sérieux le malaise européen et ceux qui critiquent le processus d’intégration européenne, si l’on veut éviter que l’UE ne "se solde par un échec". Jean-Marc Ferry

Pour le philosophe, ce n’est pas un hasard si le traité de Maastricht, qui veut approfondir l’intégration, est discuté après 1989. La légitimation fondatrice du projet européen, c’est la paix. Or, avec 1989, celle-ci s’effondre. La mondialisation  est devenue plus que la paix le grand défi de l’UE dans un contexte qui est vécu comme une subversion des Etats par les marchés. Si le traité constitutionnel a échoué, si l’Europe a été entraînée dans la crise financière de 2007-2008, si la crise des dettes souveraines a pu éclater, c’est qu’il y a un problème politique qui est la crise de légitimation du processus européen.

L’UE ne doit plus seulement s’adapter à la mondialisation, mais passer par un rattrapage, avec la contrainte qu’à la base, le modèle social européen n’est pas un modèle antisocial. Ce rattrapage passe de manière idéale par "une prise de parole puissante dans les enceintes internationales". Et il devrait passer par la dévolution de plus de pouvoirs aux institutions européennes, ce qui entamerait le pouvoir des Etats souverains qui sont malgré tout le lieu de la légitimité démocratique. D’où la nécessité d’être à l’écoute des critiques souverainistes.

Selon Jean-Marc Ferry, l’UE doit, en tant que projet, affronter en son for trois défis : l’intégration politique, les rapports entre le séculier et le religieux et l’Union économique.

Le premier axe, l’intégration politique de l’Europe sera de type post-étatique, et il se réalisera donc selon un schéma différent de celui des Etats-nations. Elle devra se faire sans se substituer aux Etats-nations. Il faut donc arriver à élaborer des schémas horizontaux de transferts de souverainetés dans le sens de souverainetés partagées entre UE et Etats membres et éviter que sa crise de légitimité actuelle ne continue à faire de l’UE le "mauvais objet politique". Bref, l’intégration européenne devrait être plus structurante en termes de réalisation sociale distributive et d’unité politique sans pour autant détruire les Etats nations.

A la base de ce processus, Jean-Marc Ferry voit une structure juridique qui s’articule autour de trois niveaux du droit public : au niveau interne, le droit étatique qui articule les droits fondamentaux individuels, au niveau externe le droit des gens ou droit des peuples, et au niveau transnational, un droit cosmopolitique, et qui concerne les citoyens de l’UE.

L’UE actuelle réalise d’ores et déjà ce concept de manière embryonnaire dans son approche horizontale et froidement juridique d’une manière cosmopolitique où le droit des personnes est au centre. Une approche qui doit par ailleurs beaucoup à la théologie chrétienne médiévale de la personne. Pour réaliser un tel projet, il faut un processus d’apprentissage des partenaires, qui passe par la concertation, et non pas la subordination, par le partage et non pas le transfert de souverainetés.

Pour y arriver, il faut un nouvel ethos à l’Europe qui ne se développera pas selon les schémas d’intégration français, ni selon les schémas fédéraux allemands, ni selon ceux d’un éventuel Empire. Les relations particulières qui se sont nouées en Europe entre la responsabilité et la conviction, la raison et les croyances, le religieux et le politique, le public et le privé ont créé un espace post-séculier européen qui devra avoir un impact sur les relations entre les Etats membres.

Autre aspect important pour Jean-Marc Ferry : l’Union économique, dans le contexte d’un monde qui s’est décloisonné en 1989, où le néolibéralisme a formé les marchés internationaux et de nouvelles puissances industrielles ont émergé, et où jamais le pouvoir économique n’a été dans une telle position de force. Alors que les pouvoirs économiques se sont structurés au niveau global avec des pouvoirs cofinancés – OMC, FMI, etc. – les salariés ne disposent pas de dispositifs similaires. En d’autres termes, des structures comme le FMI ne connaissent pas de contre-pouvoir et risquent de perdre de vue leur propre intérêt général. Les processus de production se sont automatisés, les productions nationales se délocalisent, le capital est plus rémunéré que le travail, l’austérité entraîne la récession.

Pour ressouder l’Europe, le philosophe miserait sur un revenu de base permanent dans une zone européenne "bien construite". Pour lui, une telle option ne relève pas de l’humanisme social, mais d’un capitalisme lucide. Et il faudra accepter que le Sud de l’Europe fonctionne de manière différente. Un retour aux équilibres budgétaires est pour lui "folie". Soit l’Europe s’adapte à une comptabilité mondiale, soit elle développe une voie sociale originale qui ne soit pas néolibérale, car "l’amalgame UE égale néolibéralisme tue l’UE".

La gauche en Europe met en avant la demande, la droite l’offre. Mais, pour Jean-Marc Ferry, l’UE doit aller vers une société dotée de nouvelles structures de légitimité politique qui permettent des relances économiques basées sur une bonne coordination de type nouveau. L’UE sera post-étatique, se basera sur la co-souveraineté, misera éventuellement sur des majorités, écartera l’unanimité. Et si l’UE et la politique européenne sont en manque d’un sujet, elles l’auront avec l’unité des gouvernements de l’Europe pour une vraie Union économique, indispensable si l’on veut sauver une UE qui n’est pas un Etat, mais une formation basée sur la concertation.