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Rencontres européennes - Jean Portante : "Se penser en tant que continent ou faire voler en éclat la pensée, et donc le continent"
08-10-2011


Jean Portante a apporté dans ce colloque son regard d’écrivain, partant du constat du médecin de l’Europe, à savoir qu’elle est peureuse et malade pour la première fois depuis la conquête des Amériques. Certes, elle a souvent été malade depuis, mais peureuse, rarement.Jean Portante

L’Europe a longtemps dominé le monde, en a été le centre, pour le meilleur et pour le pire, nous dit Jean Portante. Le 20e siècle a sonné le glas de cette hégémonie. Un rêve d’Union, d’un destin commun, a donc été nécessaire. Mais aujourd’hui, ce rêve s’est évaporé.

L’abolition des frontières, l’harmonisation économique ont permis de mettre en commun toutes ces énergies en se basant sur une utopie, à savoir que le marché commun mènerait à une citoyenneté commune, à un destin commun. Mais aujourd’hui, constate l'écrivain, le repli, tout anachronique soit-il, est de mise. La mondialisation a avancé, cette ouverture mondiale inaugurant la fermeture de l’esprit.

Cet échec de l’utopie unitaire, Jean Portante l’explique par le premier regard réaliste porté sur la mappemonde : l’Europe, minuscule, n’est qu’une sorte d’appendice de l’Asie, de bouton sur la tête de l’Afrique. C’est en se voyant si petits que les Européens ont pris peurs, réveillant de vieux réflexes. Le repli identitaire est le plus pernicieux, la peur d’être noyé dans l’océan de la mondialisation devenant la maladie la plus grave de l’UE.

Pourtant, le concept d’identité culturelle est creux d’après l’écrivain. Ses promoteurs pensent qu’identité et territoire sont équivalents. Or, l’identité ne peut être limitée à un lieu. Ce serait sinon comme une bouteille dans laquelle il y aurait plus de liquide qu’elle ne peut en contenir. L’identité humaine, planétaire, est plus vaste qu’aucun territoire, c’est ce que l’on oublie, privant l’Europe de sa pensée.

Le terme identité à plusieurs champs sémantiques, rappelle Jean Portante. L’identité, liée à "égalité", s’oppose à "différence". Et en même temps, elle est ce qui permet de reconnaître une personne en toutes les autres, identité et altérité faisant alors un. L’identité est une affaire personnelle, et non collective. Dans un groupe comme l’UE, il y a donc des centaines de millions d’identités avec des traits, des valeurs, partagées.

Mais quelle est la nature de ce dénominateur commun que sont ces fameuses valeurs communes ? L’identité judéo-chrétienne souvent invoquée est la fois trop réductrice est trop large, démontre l'écrivain. Que fait-on en effet d’Homère et de Pythagore qui sont pourtant de grands personnages de notre bagage identitaire ? Sans compter qu’Europe est une nymphe phénicienne…Que serions-nous encore sans le patrimoine de l’Antiquité qui nous est revenu grâce aux traductions qu’en ont fait les écoles arables ? La liste est longue des exemples qui nous montrent que c’est à l’extérieur de l’Europe que s’est forgée une grande partie de notre identité, qu’il faudrait donc qualifier de judéo-gréco-romano-arabe-chrétienne, et c’est là oublier encore l’influence du monde germanique…

Cette identité, beaucoup plus vaste que le territoire qui la contient, est constituée de nos multiples bagages, y compris la genèse de l’univers. Est-ce là la plus grande des poupées russes qui constituent notre identité, la plus petite étant la plus locale ? En fait, elle est aussi à l’intérieur de la plus petite, et vice versa…Voilà qui n’a pas grand sens, car où finirait, où commencerait l’énumération de ces poupées russes ? Pour Jean Portante, l’identité d’un groupe n’existe pas, et à ce titre, l’identité européenne n’existe pas non plus.

La baleine, qui vit dans l’eau, nous fait croire qu’elle s’y sent à l’aise. Pourtant, elle garde en elle, souvenir de son séjour terrestre, son poumon. Cette migrante, en arrivant dans l’eau, s’est adaptée à ce nouveau milieu sans sacrifier pour autant la mémoire de son séjour provisoire sur terre. En elle vibre l’identité conjointe de la terre et de la mer. Toute humanité est migrante, porteuse d’une identité du voyage, conclut Jean Portante.

Les racines souvent invoquées ne s’emploient pas au singulier, ce qui signifie là encore que nous sommes essentiellement des gens du voyage. Anaïs Ninn n’évoquait-elle pas ses "racines portables" ? Or, on voudrait que nous soyons des arbres et faire de l’enracinement une arme d’exclusion, s'étonne l'écrivain. Le repli vers une identité plus étroite ne signifie rien d’autre qu’un retour à une intolérance que l’on croyait à jamais bannie de notre continent. Au nom de l’intolérance, on pointe l’autre du doigt.

Pour Jean Portante, cette gangrène politique est la conséquence la plus néfaste de la peur qui hante l’Europe. Mais les masses sont livrées à elles-mêmes parce que les Etats n’offrent plus de perspectives. Conséquence, une poussée de l’extrême-droite en Europe nourrie de l’idée que plus on est petit, plus on a de chances de s’en sortir, ce qui est une absurdité aux yeux de l’écrivain.

"Je ne prétends pas que l’Europe unie serait la solution à tous les problèmes, mais construire une Union à minima est tout aussi absurde qu’un repli sur les Etats nations, car un peu d’union, ce n’est pas d’union", conclut Jean Portante. L’alternative, c’est soit une Union, soit affrontements et entre-déchirements. Ou, en d’autres termes, "se penser en tant que continent ou faire voler en éclat la pensée, et donc le continent".