Pour Guillaume Duval, ingénieur de formation et rédacteur en chef de la revue Alternatives économiques, l’Europe a de l’avenir, mais à une condition : qu’elle arrive à sauver sa monnaie commune d’abord, et qu’elle parvienne au-delà à surmonter les limites de sa conception d’une "Europe marché". Tout dépendra donc de sa capacité à se doter d’un projet commun qui s’articulerait autour de sujets comme l’environnement et l’énergie.
Petite précision du journaliste, il n’éprouve pour sa part aucune nostalgie de l’époque où l’Europe dominait le monde et juge très bien que les inégalités se réduisent peu à peu. "Pourvu que ça dure", a lancé Guillaume Duval pour qui l’économie n’est pas un jeu à somme nulle : le mieux vivre des uns ne signifiant pas nécessairement que les autres vivent plus mal… Certes, la question de l’accès aux ressources est cruciale. Et d’ailleurs, la crise actuelle est à ses yeux, comme celle de 2008, une crise écologique : la hausse des prix des matières premières a en effet réduit le pouvoir d’achat des populations des pays riches.
Pour autant, même si elle ne dispose pas de matières premières, l’Europe n’est pas plus mal placée que d’autres pour affronter ces défis. La crise actuelle frappe l’ensemble des pays développés, mais les fondamentaux sont différents et, par rapport aux Etats-Unis, l’UE est mieux partie pour en sortir, estime Guillaume Duval.
L’endettement des ménages européens est moindre, leur épargne est plus abondante (peut-être même trop, reconnaît-il), et le rapport entre consommation et production est mieux équilibré en Europe qu’aux Etats-Unis. Même sur le plan de la dette publique, l’UE est mieux placée que ces derniers. Le journaliste estime que cette crise va peut-être marquer la fin d’un modèle américain et il voit même les Etats-Unis, où le niveau d’antagonisme est au plus fort selon lui, comme un facteur d’instabilité dans le monde.
Quant à la Chine, Guillaume Duval se dit sceptique au sujet de l’idée répandue selon laquelle, à l’issue d’une croissance économique maîtrisée au cours des trente dernières années, elle est partie pour dominer le monde. La Chine doit apprendre à consommer plus et à épargner moins, prescrit le rédacteur en chef d’Alternatives économiques, qui précise que cela ne sera pas si aisé dans un tel régime : les gagnants du système ont en effet bénéficié de la politique d’exportation du pays, et ils n’ont aucun intérêt à une réévaluation du yuan ou à une hausse des salaires. En bref, si le marché intérieur chinois se développe, ce sont d’autres personnes qui y gagneront… Le vieillissement massif qui attend la Chine dans les prochaines années risque par ailleurs de se faire sans structures pour s’occuper de toutes ces personnes âgées : les Chinois risquent bien d’être vieux avant d’être riches, estime Guillaume Duval.
Conclusion de Guillaume Duval : "quand on se regarde, on s’inquiète, quand on se compare, on se rassure". Vue de loin et vue comme un ensemble, l’Europe ne semble donc pas si mal…
Mais les problèmes qu’elle rencontre sont liés à des raisons anciennes, et notamment au fait qu’elle est conçue comme une "Europe marché". On est allé toujours plus loin dans l‘intégration pour ce qui est des biens et des services, mais le reste n’est pas venu, constate le journaliste. Pas même l’activité économique, déplore-t-il, expliquant que chaque Etat membre a eu intérêt à réduire le coût du travail ou encore à jouer sur une fiscalité attractive. Le problème, c’est que si chacun fait ça, tout le monde y perd. D’autant plus qu’il n’y pas de politique industrielle européenne. Le résultat c’est beaucoup de chômage, et une faible adhésion au projet européen.
La dissymétrie entre petits et grands pays est aussi un inconvénient de taille dans ce contexte, car il est en effet plus difficile pour un grand pays de compenser le coût de la compétitivité fiscale ou salariale que pour un petit pays. Pour Guillaume Duval, cette mécanique perverse explique la faible croissance structurelle, et déséquilibrée, en Europe. Un phénomène renforcé par les élargissements successifs qui ont fait entrer toujours plus de petits pays, alors que la structure politique reste dominée par le principe d’une voix par Etat. "Ça coince", observe le journaliste économique.
Pour Guillaume Duval, l’Euro a marqué une rupture très favorable, introduisant un outil central de souveraineté sur le terrain économique qui a permis de supprimer l’instrument de compétitivité qu’était pour certains un taux d’intérêt plus faible. Mais d’autres déséquilibres sont apparus. Ainsi, le fait qu’il y ait un taux d’intérêt commun mais des taux d’inflation différents a fait que certains pays, comme la Grèce et l’Espagne, ont eu un taux d’intérêt réel négatif. S’endetter a donc un temps signifié s’enrichir pour ces pays, ce qui explique l’accumulation de dette privée qui débouche aujourd’hui sur la crise de la dette publique.
Pour Guillaume Duval, il faudrait, à court terme annuler une partie des dettes irlandaise, grecque et portugaise, qui représentent à elles trois 7 % du PIB. Ce ne serait pas insurmontable, même si à force d’attendre, le risque que cela touche l’Espagne et l’Italie (dont la dette représente 19 % du PIB européen !) se fait plus grand.
Au-delà de ce sauvetage nécessaire, il convient de trouver les moyens structurels de résoudre ce problème, juge Guillaume Duval qui déplore que ce sujet ne soit en rien présent dans les débats actuels. Le vrai problème, c’est de maîtriser la hausse de la dette privée, résume-t-il, et la BCE n’a d’ailleurs pas joué son rôle en la matière puisqu’à aucun moment elle n’a tiré la sonnette d’alarme.
Guillaume Duval juge que l’on n’applique pas les bonnes politiques économiques. L’Allemagne, convaincue du succès de sa politique non coopérative d’austérité, voudrait que son exemple soit suivi, mais, alors que, selon Guillaume Duval, si tout le monde fait comme elle, on est mort ! Du point de vue des Allemands, cette politique d’austérité est certes compréhensible, mais elle n’est pas moins "stupide" et contraire aux intérêts des Européens.
D’après Guillaume Duval, les investisseurs craignent un recul de l’activité dans la zone euro, et les Etats se trompent donc quand ils disent que les marchés veulent de l’austérité. Les attentes des investisseurs sont simples : c’est que la dette soit remboursée, ce qui signifie qu’il faut certes "arrêter les bêtises" mais qu’il ne faut pas pour autant mettre tous les Etats en récession !
La construction européenne est sans précédent, rappelle Guillaume Duval qui souligne à quel point on y construit des choses formidables qui, à l’image de l’EFSF, auraient été impensables il y a encore peu. Et ce fonds va d’ailleurs jouer à son avis un rôle central dans le futur de l’UE (si elle survit, ajoute-t-il), même si sa construction sur une base intergouvernementale, sans le contrôle du Parlement européen, risque de se heurter à la difficulté qu’il y a parfois à trouver l’unanimité. La question qui se pose, sur ce point, Guillaume Duval rejoint les intervenants précédents, c’est donc de savoir ce qu’on veut faire ensemble.
D’aucuns prônent une Europe sociale. "Je n’y crois pas", lance Guillaume Duval qui fait observer que les systèmes sociaux sont ancrés dans des cadres nationaux qui ne sauraient être transférés à l’échelle européenne. Ce qui importe, c’est que l’UE cesse d’être antisociale dans son développement économique, c’est-à-dire qu’elle mette donc fin au dumping fiscal et salarial. Mais il faudrait aussi qu’elle reconnaisse les services publics en tant que tels.
Pour Guillaume Duval, l’Europe doit plutôt miser sur l’environnement, un domaine dans lequel l’ancrage national est loin d’être aussi fort. C’est un domaine dans lequel on peut faire accepter de faire plus d’Europe, et ce y compris en Allemagne. L’impact industriel serait fort, et cela aurait un effet redistributif majeur qui suffirait à justifier l’intégration européenne sur les plans politique et économique.