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Traités et Affaires institutionnelles
Rencontres européennes - Philippe Poirier : La légitimation de la politique de l’UE passe par une prise en compte des nombreux clivages au sein des sociétés européennes
08-10-2011


Philippe Poirier, professeur et chercheur en sciences politiques à l’Université du Luxembourg, a posé la question de la refondation de la légitimité politique de l’Union européenne. Ses interrogations : Quelles sont les forces, les contradictions et les limites du régime politique contemporain de l’Union européenne ? Quel est l’état des opinions et des forces politiques vis-à-vis du régime politique de l’Union européenne ? Quelles améliorations peuvent être apportées pour le régime politique de l’Union européenne en lien avec à la mise en place d’une nouvelle gouvernance mondiale ? Philippe Poirier

Philippe Poirier distingue quatre principales origines intellectuelles du processus d’intégration européenne : Denis de Rougemont avec son approche très régionale et culturelle de l’intégration européenne ; Coudenhove-Karlergi, qui préconisait  "une Europe puissance" et une Europe basée sur des valeurs ; la méthode préconisée par Monnet qui est celle d’une mise en commun des moyens de production, un marché commun ainsi qu’une intégration européenne ; Churchill, qui a projeté une Europe du libre échange, de la coopération intergouvernementale et de la démocratie.

Philippe Poirier définit la gouvernance européenne comme relevant "de modes de production normative et d’allocation de valeurs par lesquels se définit l’autorité politique au niveau des institutions de l’Union européenne". La gouvernance européenne implique "la formation de politiques publiques appuyées sur différents modes de légitimation complémentaires ou alternatifs - délibératifs, procéduraux, normatifs ou communicationnels dont le centre sont les institutions européennes".

La méthode communautaire sous le feu des critiques

La méthode communautaire y joue un rôle constitutif en confiant le monopole du droit d’initiative à la Commission, en prônant le recours général au vote à la majorité qualifiée au Conseil, en donnant un rôle actif du Parlement européen dans le cadre de la codécision et en se basant sur l’uniformité d’interprétation du droit communautaire assurée par la Cour de justice de l’UE et la supériorité de celle-ci sur toutes autres cours.

Pourtant les problèmes de compréhension du fonctionnement de la méthode communautaire par les citoyens européens entraînent des problèmes de légitimité de l’UE et même d’angoisse selon Philippe Poirier. Il illustre cette incompréhension de la part des citoyens européens par l’exemple criant de la page internet de la Commission européenne qui explique le fonctionnement du processus de codécision et qui est selon les termes figurant sur le site de la Commission "une procédure législative ordinaire".

Ce manque de compréhension de la méthode communautaire a des conséquences sur l’opinion des citoyens européens par rapport à l’UE. Philipe Poirier rappelle le sondage Eurobaromètre d’août 2011 qui illustre cette montée de scepticisme vis-à-vis de l’Union de la part des citoyens des 27 Etats membres. L’image positive de l’Union européenne s’est en effet dégradée dans toute l’UE avec une moyenne européenne de 40 % de citoyens européens qui ont une image positive de l’Europe. Même dans les pays fondateurs tels que le Luxembourg (48 %) ou bien les Pays-Bas (38 %), les chiffres indiquent qu’une majorité des citoyens européens n’ont plus une image positive de l’Europe.

Pour expliquer ce phénomène, Philippe Poirier a tenté d’identifier les étapes du "dérèglement" et de la contestation de la méthode communautaire. Les premières contestations et les premiers doutes ont commencé à surgir dans les années 90 avec l’adoption du traité de Maastricht qui a créé une Union économique et monétaire (UEM). Cette étape franchie par la méthode communautaire a été le fruit d’une emprise des élites politiques et économique sur la politique européenne. Les conventions européennes sur la Charte des droits fondamentaux en 1999 et sur le traité établissant une constitution pour l’Europe ainsi que les campagnes référendaires sur le traité constitutionnel et le traité de Lisbonne ont été des éléments qui ont indéniablement alimenté la contestation de la méthode communautaire. Puis, la série de décisions de la Cour constitutionnelle allemande de Karslruhe a intensifié le dérèglement en ouvrant la voir à de nouvelles perspectives de contestations des décisions prises par des institutions européennes.  

Parmi ces contestations et critiques de la méthode communautaire, une série de questions émergent sur la transparence des processus décisionnels et consultatifs au sein de l’UE, sur le respect du pluralisme juridique et constitutionnel, sur le risque que la méthode communautaire soit partout remplacée par la méthode intergouvernementale, sur la nécessité de mettre en place des procédures référendaires et de démocratie participative dans le cadre de la ratification des traités, sur le respect de la diversité culturelle des Etats membres, sur le type de convergence des systèmes de protection sociale de tous les Etats membres par le haut ou par le bas, etc.

Répondre aux critiques de la méthode communautaire en tenant compte des clivages qui traversent la société européenne

Pour répondre à ces critiques, une redéfinition des relations et des politiques économiques, environnementales et sociales est nécessaire et elle doit prendre en compte le phénomène de la mondialisation, selon Philippe Poirier.

Reste que l’image de l’UE a subi de fortes entames. Si le Parlement européen s’en tire encore assez bien, la Commission européenne a une mauvaise image, et ce sont surtout les politiques économiques et sociales européennes qui bénéficient auprès de l’opinion publique de la perception la plus dégradée. Par contre, la paix en Europe et la politique de sécurité et de défense sont bien vues par l’opinion publique européenne, ce qui pourrait constituer selon Philippe Poirier un indice très intéressant pour l’orientation des futures politiques européennes. Viennent ensuite et les initiatives universitaires et environnementales de l’UE.

D’autre part, Philippe Poirier a mis en exergue les clivages qui traversent la société européenne. Il y les anciens clivages comme celui entre Etat et Eglise, société industrielle et  société agraire, centre et périphérie, possédants et possédés.

Et il y a des clivages actuels, comme celui entre Etat providence et Etat subsidiaire, entre républicanisme et communautarisme, entre Etat-nation et méthode communautaire, entre humanisme chrétien et libertarisme, etc… Et puis il y a les clivages entre identité et citoyenneté européenne. Ici, il y a ceux qui sont partisans d’une citoyenneté européenne porteuse en soi des identités multiples auxquelles se réfère tout individu, ceux qui sont pour une citoyenneté au niveau des États membres elle aussi porteuse en soi des identités multiples auxquelles se réfère tout individu, ensuite les tenants d’un républicanisme au seul niveau de l’UE et enfin les partisans d’une citoyenneté au seul niveau des États-membres.

Un autre type de clivage est celui qui porte sur les territoires et l’État, où l’on trouve les partisans d’un ordre constitutionnel unique et de l’État-providence, ceux de l’État-nation et de l’État-providence, ceux de l’État nation et du principe de subsidiarité et libéral, ceux du principe de subsidiarité et libéral et du dépassement de l’État-nation. A quoi s’ajoute encore le rapport à la mondialisation qui divise.

Les partis politiques européens se définissent par rapport à ces clivages. Mais en même temps, par l’adoption de structures fédérales, ils ne permettent pas que les citoyens s’identifient vraiment à eux. Ils bénéficient d’une légitimité grâce aux Traités de Masstricht (article 138A) et de Nice. Malgré cette légitimité dans les textes, ils restent néanmoins inconnus de la majorité des Européens selon Philippe Poirier. Entre 1979 et 2009, le bipartisme original formé par les conservateurs regroupés dans le PPE et les sociaux –démocrates du PSE a été relayé par un multipartisme, notamment après le revirement pro-européen des Verts européens, puis avec l’émergence des partis et groupes eurosceptiques mouvants, qui n’augmentent pas fondamentalement, mais se sont enracinés électoralement.

Les remèdes selon Philippe Poirier

Pour conclure son intervention, Philippe Poirier a évoqué les possibilités d’une amélioration du régime politique européen qui se traduirait par différentes étapes.

Il propose dans un premier temps une amélioration de la hiérarchisation et des relations interinstitutionnelles qui se traduirait par un rééquilibrage et une clarification des compétences, des relations coopératives entre les différentes Cours en Europe et une amélioration des processus décisionnels tels que la codécision ou les rapports interparlementaires.

Il faudrait ensuite une amélioration des acteurs des politiques publiques au Parlement européen et dans les parlements nationaux en termes de qualité, d’efficacité et de contrôle.

Un point fondamental est l’amélioration du régime politique par une plus grande interaction avec la société civile qui se traduirait par une meilleure communication politique, une amélioration de la vie politique par l’européanisation des partis politiques et des principes éthiques et l’amélioration des processus participatifs et consultatifs.

Enfin, il faudrait selon Philippe Poirier améliorer les processus décisionnels à multiples niveaux par des initiatives législatives, une européanisation et une internalisation des législations et par un contrôle renforcé des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Pour Philippe Poirier, les grands défis législatifs et politiques du futur au niveau européen sont l’éthique et les sciences de la vie, en donnant par exemple une valeur contraignante à la Charte des droits fondamentaux et à la CEDH, l’économie et la fiscalité avec la création d’agences de notation et d’organisations internationales de coopération économique et la formation d’une "Europe puissance" avec notamment des sièges uniques dans les instances internationales ou encore la délimitation d’objectifs stratégiques internationaux

Pour conclure, Philippe Poirier est d’avis que la re-légitimation politique de l’Europe devra passer par la nécessité d’assurer le devenir économique des Européens. Pour lui, le temps est venu de prendre conscience des clivages qui traversent les sociétés européennes, trop souvent disjoints des politiques menées au nom de l’UE et par l’UE. Une redéfinition du régime politique de l’UE est nécessaire et devra s’opérer par une hiérarchisation des pouvoirs et une européanisation des instruments de contrôle démocratique. Aussi l’Europe devra-telle se projeter comme une puissance économique, militaire et stratégique au niveau mondial en clarifiant ses relations d’une part avec les Etats-Unis, et d’autre part avec les Etats du bassin méditerranéen. Cette projection nécessite évidemment la création d’un véritable agenda stratégique.