Le 10 janvier 2013, Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe, est venu devant les députés de la commission Affaires économiques et monétaires (ECON) du Parlement européen dans le cadre du dialogue économique désormais formalisé et inclus dans le six-pack.
Comme l’a indiqué la présidente de la commission parlementaire, Sharon Bowles, le président de l’Eurogroupe sera désormais invité à se présenter deux fois par an au Parlement européen, en janvier et en septembre, ce à quoi s’est engagé Jean-Claude Juncker. C’est cependant au nom de son successeur qu’il s’y sera engagé puisque c’est la dernière fois que Jean-Claude Juncker venait discuter avec les eurodéputés en tant que président de l’Eurogroupe. Son mandat devrait s’achever, comme il le souhaite, dans les prochains mois, une fois que son successeur aura été formellement désigné. Ce qui devrait être fait lors de la prochaine réunion de l’Eurogroupe, prévue le 21 janvier 2013.
Tous les députés qui sont intervenus dans la discussion ont d’ailleurs salué l’action de Jean-Claude Juncker à la tête de l’Eurogroupe, le remerciant notamment, tous groupes politiques confondus, pour son engagement européen. Jean-Paul Gauzès (PPE) a ainsi salué en lui "un sage non conformiste". Le député autrichien Hans-Peter Martin (non-inscrit) l’a félicité particulièrement longuement, regrettant qu’il ait eu "le mauvais poste" pendant toutes ces années. A ses yeux en effet, l’Europe aurait une toute autre allure s’il avait assumé la présidence de la Commission ces dernières années, et il a émis l’espoir qu’il serait nommé président de la Commission en 2014. Jean-Claude Juncker a saisi l’occasion pour souligner que défendre l’Europe n’incombe pas qu’aux présidents de la Commission et du Conseil européen, mais aussi aux chefs d’Etat et de gouvernement. Lors d'un point presse qui a suivi la réunion, Jean-Claude Juncker a précisé qu'il resterait sur la scène européenne dans le cadre de ses fonctions nationales actuelles et qu'il serait plus libre que jamais de faire part de ses convictions personnelles sur l'Europe.
Pour autant, Jean-Claude Juncker a donné le ton dans ses premiers mots. "L’heure n’est pas à la nostalgie, l’heure est à l’action". Le président de l’Eurogroupe estime certes que 2012 a été une bonne année en termes de résultats, dans la mesure où des décisions qui vont loin ont pu être prises et où la zone euro a pu être stabilisée, contre les prédictions de nombreux observateurs. La mise en place de l’ESM, du plan de sauvetage de la Grèce, la signature du TSCG, la solution trouvée pour résoudre la crise bancaire espagnole sont autant d’éléments qui font que la situation est bien meilleure aujourd’hui qu’un an auparavant.
Mais le président de l’Eurogroupe n’en reste pas moins convaincu, comme il l’a précisé plus avant dans la discussion, que les années à venir seront difficiles, car il reste selon lui beaucoup à faire. "Je suis moins inquiet, mais pas complètement apaisé", a-t-il résumé.
Invité à préciser les chantiers qui restent en cours pendant la discussion, Jean-Claude Juncker a évoqué notamment la nécessité d’assurer la viabilité à long terme des systèmes de sécurité sociale et de retraite dans un contexte où la croissance est en berne.
Mais il a aussi plaidé pour qu’on invente une politique industrielle européenne dont il déplore l’inexistence. Citant l’exemple de l’acier, Jean-Claude Juncker a ainsi expliqué que si l’économie redémarre, il faudrait importer pour répondre aux besoins annuels de 200 millions de tonnes qu’on peut escompter, car la production est actuellement de l’ordre de 140 millions de tonnes en Europe.
Plus tard encore dans le débat, le président de l’Eurogroupe a insisté sur le besoin crucial de réglementation du secteur financier au niveau mondial comme européen. Dans ce domaine, "nous sommes en deçà" des nécessités, a commenté Jean-Claude Juncker qui a affiché son soutien au Parlement européen qui ne manque pas de pointer régulièrement les lacunes des réglementations.
Le TSCG, ou pacte budgétaire, que le Premier ministre luxembourgeois a confié n’aimer qu’en partie, vient tout juste d’entrer en vigueur, a rappelé Jean-Claude Juncker. Mais plusieurs pays doivent encore le ratifier, comme la Belgique, les Pays-Bas, mais aussi le Luxembourg. Or, a souligné Jean-Claude Juncker, même si cela ne remettra pas en cause l’entrée en vigueur de ce traité, ces ratifications ne sont pas assurées. Jean-Claude Juncker a évoqué le cas du Luxembourg, où les Verts ont annoncé qu’ils voteraient contre le projet de loi ratifiant ce texte qu’ils voient comme "un traité à l’allemande". Comme une majorité constitutionnelle est requise, les partis de la coalition gouvernementale auront toutefois besoin des voix de députés d’autres partis, il va falloir plaider pour avoir leur approbation, constate le Premier ministre qui ne partage par l’interprétation des écologistes. Ce qui ne lui plaît guère dans ce traité, c’est l’obligation de trouver ou d’inventer une autorité indépendante de contrôle au niveau national, ce qui relève à ses yeux non pas tant de l’impossible que de l’idiotie dans des petits pays comme le Luxembourg. "Mais nous y arriverons", a-t-il assuré.
Pour ce qui est de l’ESM qui est désormais en place, il reste à veiller à ce qu’il puisse remplir toutes les fonctions qui lui ont été attribuées, y compris la recapitalisation directe des banques une fois que le MSU sera mis en place. Jean-Claude Juncker a toutefois soulevé qu’il existe une "lourde interrogation sur l'héritage du passé", la question étant de déterminer si l’ESM serait en mesure de recapitaliser les banques à titre rétroactif ou s’il devrait se limiter à intervenir dans le cas de nouveaux problèmes qui surgiraient. Dans ce débat qui n’est pas résolu, Jean-Claude Juncker prend clairement parti : "je crois qu'il faut assurer une certaine rétroactivité au mécanisme, sinon il perdrait une bonne partie de son sens". Mais Jean-Claude Juncker ne perd pas de vue qu’un consensus est nécessaire au sein du conseil des gouverneurs et il a fait part de son espoir qu’une décision sera prise au cours du premier semestre 2013.
Autre grand dossier qui a marqué l’année 2012, le rapport des quatre présidents sur l’avenir de l’UEM qui a été endossé par Herman Van Rompuy. Jean-Claude Juncker n’avait pas caché sa déception à l’issue du Conseil européen de décembre ; il l’a à nouveau exprimée dans l’hémicycle, jugeant décevants les résultats d’un Conseil européen dont l’idée initiale était de présenter à la planète entière la feuille de route pour les années à venir. Le Conseil n’a permis d’apporter des réponses qu’à des questions de très court terme, regrette Jean-Claude Juncker qui déplore qu’il n’y ait pas eu d’accord sur l’orientation à suivre pour les décennies à venir. Herman Van Rompuy est certes chargé de présenter pour juin des idées sur la voie à suivre. Jean-Claude Juncker a d’ailleurs pointé le fait que le président de l’Eurogroupe n’est plus associé, comme précédemment, à ces travaux qui impliqueront le président du Conseil européen et celui de la Commission. Il n’en attend pour autant pas moins des idées "novatrices", et ce notamment en matière de concertation ex ante en matière de coordination des politiques économiques et monétaires. Le renforcement de cette coordination est un credo dont il a rappelé qu’il est sien depuis fort longtemps, comme en témoigne les propositions qu’il avait faites en 1997 et qui avaient alors été refusées par des pays qui sont désormais les premiers à se dire partisans de ce principe. L’idée est que toute réforme structurelle envisagée par un gouvernement soit présentée et discutée au sein de l’Eurogroupe afin d’en anticiper les éventuelles conséquences pour les autres pays de la zone euro. Jean-Claude Juncker est conscient que le sujet fera certainement l’objet de nombreuses déclarations solennelles. Mais il aura au moins le mérite d’être débattu.
Jean-Claude Juncker a insisté, comme il le fait régulièrement, sur l’importance qu’il accorde à la dimension sociale, enfant pauvre de l’UEM selon lui, dont il ne vaudrait pas qu’elle disparaisse des discussions, bien qu’elle soit mentionnée dans les conclusions du Conseil européen de décembre. Jean-Claude Juncker a plaidé pour un accord sur le principe d’un socle de droits sociaux minimums des travailleurs, citant notamment l’introduction du principe d’un salaire minimum légal. Il craint sinon que le projet ne perde l’adhésion des couches "laborieuses".
Au cours de la discussion, Jean-Claude Juncker a aussi évoqué un autre objet de déception lié à ce Conseil européen, à savoir le fait que l’idée de doter la zone euro d’une capacité budgétaire qui était présente dans le rapport des quatre présidents a disparu des conclusions. Il a expliqué être partisan de la mise en place d’un mécanisme d’absorption de choc, autrement dit d’un instrument de solidarité qui serait propre à la zone euro pour faire face à des chocs vécus ou prévisibles qui peuvent mettre à mal un Etat membre de la zone euro.
Jean-Claude Juncker n’a pas manqué de revenir sur la méthode qu’il a choisie pour diriger les travaux de l’Eurogroupe. Il la définit comme un mix de méthode inclusive et de méthode communautaire. Il s’agit dans tous les cas de garder tout le monde à bord dans le cadre des discussions qui impliquent les Etats membres de la zone euro, et en veillant bien aussi à ne pas faire des autres membres de l’UE les enfants perdus de l’Europe. Le souci de faire en sorte que chacun puisse s’exprimer qui caractérise sa méthode, Jean-Claude Juncker reconnaît qu’il a pour défaut de nécessiter beaucoup de temps. Pour autant, le président de l’Eurogroupe n’en démord pas : l’Euro est notre monnaie commune et tout le monde a donc le droit, le pouvoir et le devoir de s’exprimer. Certes il reconnaît que l’on pourrait passer moins de temps dans les réunions de l’Eurogroupe. Mais il ne répond pas des résultats si l’on devait ne plus écouter tout le monde dans l’enceinte de l’Eurogroupe.
Interpellé au cours de la discussion par le libéral Wolf Klinz sur le risque de voir se creuser le fossé entre pays de la zone euro et membres de l’UE qui n’ont pas l’euro pour monnaie, Jean-Claude Juncker a insisté sur le fait qu’il a toujours voulu éviter que le fossé ne se creuse. Pour autant, il note aussi que parmi les pays de l’UE qui ne sont pas membres de la zone euro, il convient de faire la distinction entre ceux qui se sont engagés à la rejoindre et ceux qui, comme le Danemark ou le Royaume-Uni, ont fait le choix de l’opt-out. Jean-Claude Juncker plaide pour une approche différenciée. Mais il appelle à ne pas ériger de nouveaux murs en Europe. Pour Jean-Claude Juncker, il n’y a pas lieu de faire de distinction entre un Nord vertueux et un Sud qui le serait moins : les premiers n’ont pas toujours été si vertueux, et il ne faut pas négliger les efforts des seconds. Et il invite par ailleurs la zone euro à se rapprocher de la méthode communautaire et à sortir de la méthode intergouvernementale qui implique à ses yeux chaos institutionnel et conceptuel.
Invité à tirer un bilan de son mandat à la tête de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker s’y est refusé, arguant que s’il devait le faire spontanément, il risquerait d’être trop négatif dans la mesure où ce sont nécessairement les décisions erronées, trop tardives ou encore les projets inaboutis qui lui viennent tout de suite à l’esprit. S’il s’est refusé aussi à donner des conseils publiquement à son successeur, il a glissé une remarque qui pourrait lui être utile : à savoir que l’on a tendance à sous-estimer la complexité de l’Europe. Aussi, il a conclu en indiquant qu’il faut pouvoir aimer l’autre pour pouvoir se rendre justice.
Parmi les sujets soulevés par les eurodéputés, la question des programmes d’ajustement qui sont mis en œuvre dans les pays sous programme est revenue de façon récurrente. Elisa Ferreira (S&D) a ainsi fait part de ses interrogations quant au rythme et aux conditions de processus de consolidation qui ont des conséquences bien plus graves qu’escomptés en termes de perte de dynamique économique et de chômage. Jean-Claude Juncker a confié qu’il était lui-même plein d’interrogations sur le rythme de l’ajustement. "Nous sous-estimons l’énorme tragédie du chômage qui nous écrase", a-t-il indiqué, appelant à mettre en place des politiques plus actives en termes de marchés de l’emploi.
Le président de l’Eurogroupe a aussi indiqué faire partie de l’école minoritaire qui plaide au sein de l’Eurogroupe pour que les pays sous programme d’aide bénéficient d’un système de récompense lorsque le processus d’ajustement est accompli, ce qui pourrait inclure un réajustement des conditions. Invité à préciser sa pensée, Jean-Claude Juncker a préféré laisser à son successeur le soin de définir quels pourraient être les moyens de récompenser les efforts réalisés. Mais il a toutefois insisté sur le fait qu’il convient de ne pas donner l’impression que l’Europe ne fait que punir.
Lorsque la députée de la Gauche unitaire européenne Marisa Matias l’a interpellé sur des mesures suggérées par des instances qui n’ont aucune légitimité démocratique, Jean-Claude Juncker a dit partager ses interrogations sur la qualité démocratique de ceux qui nous suggèrent des mesures, à savoir le FMI, la BCE, mais aussi la Commission ou, dans une moindre mesure, l’OCDE. Pour autant, le président de l’Eurogroupe a aussi tenu à souligner que lorsque les ministres des Finances ont pris des décisions concernant les programmes d’ajustement des pays sous programme, ils ne sont jamais entrés dans le détail des mesures prises par leurs gouvernements. Ce qu’il regrette, car il est bien conscient que les mesures prises en Grèce visent les plus faibles. Il souhaiterait pour sa part, au nom du principe de solidarité, que l’on fasse supporter les conséquences de la crise à ceux qui sont les plus forts, a-t-il encore indiqué un peu plus tard dans la discussion.
Plusieurs parlementaires ont évoqué la question des genres dans la discussion, faisant référence au cas d’Yves Mersch qui vient d’entrer en fonction au sein du directoire de la BCE malgré un avis négatif du Parlement européen qui a tenu à exprimer par la sorte sa préoccupation quant au fait que pas une femme ne siège dans cet organe. Jean-Claude Juncker a dit avoir salué les préoccupations du Parlement européen, ce qu’a d’ailleurs confirmé Sharon Bowles. Pour ce qui est de savoir si une femme serait nommée à la tête du mécanisme de supervision unique que va introduire le MSU, Jean-Claude Juncker a assuré que ce serait le cas, et qu’elle serait française.
L’eurodéputé écologiste Sven Giegold a interpellé Jean-Claude Juncker sur le dossier de la fiscalité de l’épargne, estimant que le Premier ministre luxembourgeois ferait un beau cadeau de départ en faisant en sorte que les négociations sur la refonte de cette directive soient débloquées. Jean-Claude Juncker s’est montré incisif dans sa réponse, glissant au passage que le dossier relève des compétences du Conseil Ecofin, et non de l’Eurogroupe, mais insistant surtout sur le rôle joué par le Luxembourg dans différents dossiers relevant de la fiscalité. Il a cité à cet égard nombre d’initiatives qui ont été lancées sous présidences luxembourgeoises, relevant que bien souvent, les grands pays se sont montrés plus fautifs que les petits en matière fiscale. "Le Luxembourg va vous surprendre positivement en matière fiscale", a annoncé Jean-Claude Juncker à ce sujet.