Le 22 avril 2013, le syndicat FNCTTFEL-Landesverband organisait une table de ronde au sujet de différents aspects de la politique de l'eau, dans le cadre du débat déclenché par la proposition de directive Concessions faite par la Commission européenne. La discussion aura ainsi abordé trois sujets : les risques et conséquences d'une privatisation, le prix, sujet particulièrement débattu au Luxembourg, et la qualité de l'eau.
Ouvrant les débats au sujet des risques de privatisation de l'approvisionnement en eau dans l'UE, l'eurodéputé écologiste, Claude Turmes, a souligné que la Commission européenne poussait en ce sens par deux moyens différents.
Il y aurait d'abord la proposition de directive Concessions, très contestée depuis des mois. Cette directive "serait un cheval de Troie pour la privatisation de l'eau", rappelle Claude Turmes. Avec une partie de la gauche, les Verts européens ont essayé en vain de sortir l'eau du champ d'application de la directive car elle "contraindrait les communes à inscrire l'eau" dans leurs appels d'offre. De nombreuses expériences auraient démontré que ce type de privatisation n'a pas augmenté la qualité de l'eau. Au contraire, en de pareils cas, "les entreprises ont pris l'argent mais n'ont pas investi". "La paie des anciens collaborateurs a baissé et celle des managers a augmenté" tandis que l'expérience française, avec l'affaire de la Lyonnaise des eaux, a démontré que la privatisation de l'eau crée de nouvelles sources de corruption du monde politique.
Si la majorité du Parlement européen considère que l'eau peut rester dans la proposition de directive, Claude Turmes se félicite de la pression exercée par la société civile et les syndicats tels la FNCTTFEL, à travers l'Initiative citoyenne européenne (ICE) Right2water. Cette dernière, garantit-il, a eu un impact "très positif " et rendu "attentifs " les eurodéputés.
"Le commissaire Barnier également, est en train de faire marche arrière", constate d'ailleurs Claude Turmes qui aimerait que le ministre luxembourgeois de l'Intérieur en fasse autant. L'écologiste se montre en effet dépité par la posture ministérielle, et notamment celle affichée lors du débat organisé le 9 avril 2013 à la Chambre des députés. Le ministre a alors déclaré que le gouvernement était opposé à la privatisation de l'approvisionnement en eau mais pas à la directive Concessions qui ne poursuivrait pas ce dernier but.
Pour contredire l'affirmation faite par le ministre que la Commission n'entend pas privatiser l'eau, l'eurodéputé invite ce dernier à la lecture de la réponse fournie par la Commission européenne le 26 septembre 2012, suite à une lettre ouverte envoyée par des ONG inquiètes d' injonctions à la privatisation de compagnies d'eau dans les pays en difficulté financière. La direction des Affaires économiques et monétaires avait répondu aux ONG que la privatisation des compagnies publiques "avait le potentiel d'augmenter l'efficacité de ces compagnies et par extension la compétitivité de l'économie en entier, en attirant les investissements directs étrangers". "La Commission croit que la privatisation des services publics, l'approvisionnement en eau inclus, peut être bénéfique pour la société si elle est mise en œuvre prudemment. A cette fin, la privatisation devrait prendre place une fois que le cadre règlementaire approprié a été préparé pour éviter les abus des monopoles privés. "
A la lecture de cette lettre au langage clair, Claude Turmes estime que le gouvernement luxembourgeois, en soutenant la directive Concessions, mène "une politique qui passe complètement à côté du sujet". A cette erreur d'interprétation du risque de privatisation, s'ajoute aussi un "manque de solidarité envers les Grecs, les Portugais et les Sarrois également", pense Claude Turmes. Dans le Land allemand, "les communes sont extrêmement concernées", et en tant que ministre de la Grande Région, Jean-Marie Halsdorf pourrait les soutenir.
Portugais et Grecs pour leur part font face au deuxième front de la privatisation de l'eau que mènerait la Commission européenne, cette fois dans le cadre de la troïka qu'elle forme avec le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne. Dans ce cas, "c'est de l'extorsion pure et simple" et même "une saloperie Sauerei", lâche Claude Turmes. Ainsi, les pays bénéficiaires d'aides financières se voient en échange contraints de privatiser leurs compagnies d'eau publiques. Ainsi, le Portugal a dû privatiser la plus grande d'entre elles, Aguas do Portugal, qui assure l'approvisionnement de 8 millions d'habitants. La Grèce a dû pratiquer de semblables ventes. Claude Turmes qu'il "faut faire pression pour revenir sur cette décision".
Plus tard dans le débat, concernant la qualité de l'eau, Claude Turmes a reproché au gouvernement d'avoir mis dix-neuf ans à transposer la directive Nitrates. Mais aussi de n'avoir rien fait pour la protection des sources. "Nous sommes loin derrière pour la protection des eaux superficielles. Et nous avons un grand besoin d'investissements dans les stations d'épuration", a-t-il dit.
Ancien président du Syndicat des villes et communes (SYVICOL) et bourgmestre socialiste de Mondercange, Dan Kersch doute de la sincérité du consensus affiché à la Chambre des députés par les différents groupes et tendances politiques contre la privatisation de l'approvisionnement en eau. Il voit une contradiction entre cette position et le rapport de force favorable à la directive que l'on retrouve au sein du Parlement européen. "La tradition au Luxembourg de conserver l'eau dans le secteur public est profondément ancrée dans les têtes", si bien qu'aucun parti politique ne pourrait se permettre de défendre la libéralisation, imagine-t-il.
Néanmoins, Dan Kersch est d'avis que le danger de la privatisation de l'approvisionnement en eau figure déjà dans la transposition de la directive-cadre sur l'eau de 2000. Alors que le principe du coût réel de l'eau n'était alors présenté par la Commission européenne uniquement comme une orientation possible, le ministre de l'Intérieur en a fait retenu le principe dans la transposition opérée par la loi du 19 décembre 2008. Or, le principe du coût réel, en augmentant le prix de l'eau, constituerait "une des préconditions à la libéralisation ". Le prix de l'eau augmenterait ainsi à un prix suffisamment élevé pour Que "ceux gens qui veulent gagner de l'argent se disent que ça vaut le coup ".
De même, la loi de 2008 a aussi rétréci davantage que ne le demandait la Commission, la marge de manœuvre politique des communes, de telle sorte que certaines n'ont pu introduire de prix échelonnés. Alors que Claude Turmes a défendu le principe du coût réel, tout en étant opposé à la privatisation, Dan Kersch concède que l'application du principe coût réel peut poursuivre les mêmes objectifs qu' un prix échelonné mais estime que ce "principe a été détourné au Luxembourg pour augmenter les prix ".
Pour Gary Diederich, conseiller communal Déi Lénk de Differdange, la directive Concessions est "un cheval de Troie " pour une privatisation qui transformerait une ressource en marchandise, bien que la directive-cadre Eau explique qu'il est impossible de la considérer ainsi. Ainsi, a-t-il rapporté que la privatisation de Agoas da Portugal avait contribué à la multiplication par quatre du prix de l'eau.
Il pense que le principe utilisateur payeur introduit par la loi de 2008 constitue un pas vers la privatisation et réduit donc la proposition de directive Concessions à un "nouvel élan " vers la privatisation. Par ailleurs, il relève l'hypocrisie gouvernementale qui défendrait le principe du coût réel mais sans vouloir toutefois l'appliquer tel quel à l'agriculture et à l'industrie.
Responsable du dossier de l'eau à la FNCTTFEL, Jeff Ries estime que la modération de la consommation d'eau et de la recherche de la qualité sont les sujets prioritaires à notre époque. Il fait remarquer que le marché de l'eau est un "marché gigantesque " qui offrirait "des milliards d'euros " s'il était privatisé. Ainsi, les risques de corruption seraient "énormes ", comme le laissent déjà présager la pression exercée sur les commissaires à Bruxelles mais aussi le lobbyisme mené par les intérêts privés au Parlement européen. La FNCTTFEL compte avant tout sur la mobilisation des citoyens à travers l'ICE Right2water, pour laquelle elle est le référent national, pour faire bouger la Commission à mener une "politique pour les citoyens et loin de la quête de profit ".
Michel Decker, membre d'ATTAC Luxembourg a pour sa part jugé l'action de la Commission européenne "idéologique , sans fondement ". "L'idée que le privé soit plus efficace que le public est une hypothèse erronée ", a-t-il dit.