Le 8 avril 2013, la Faculté de Droit, d'Economie et de Finance de l'Université du Luxembourg invitait Klaus Regling, le directeur du mécanisme de stabilité européen, l'ESM, à répondre au cours d’une conférence à la question de savoir si la crise de l’euro est terminée. Evidemment non, a répondu Klaus Regling, et, pour en sortir, "il va falloir en faire plus".
Il liste les efforts pour vaincre la crise en quatre axes d’intervention : une consolidation budgétaire significative et des réformes structurelles au niveau national ; une meilleure coordination des politiques économiques au niveau de la zone euro ; un renforcement du système bancaire ; des mécanismes de stabilité financières comme l’EFSF et l’ESM. "Mais", a-t-il souligné, "ce n’est pas l’argent seul qui résoudra la crise".
Sur ces quatre grands axes, beaucoup a déjà été réalisé, estime Klaus Regling.
Le coût salarial unitaire des pays en crise (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne) a été réduit et se rapproche de celui de l’Allemagne qui est considéré comme une référence en termes de compétitivité. Deux tiers du chemin a d’ores et déjà été effectué. Seule l’Italie ne maîtrise pas cette question. La balance des paiements de ces pays a elle aussi tendance à s’équilibrer, pas seulement suite à une réduction des importations, mais aussi suite à une reprise et une hausse des exportations. Les efforts budgétaires de ces pays ont également fait de grands progrès, et cela vaut aussi pour la consolidation budgétaire dans l’ensemble de la zone euro, de sorte que celle-ci se trouve dans une situation plus favorable que les Etats-Unis, le Japon ou le Royaume-Uni. Une conséquence de cette évolution est la normalisation progressive des intérêts que les pays en crise doivent payer pour leurs emprunts d’Etat à long terme. "Les marchés tiennent maintenant compte des ajustements en cours", a conclu Klaus Regling sur ce volet.
Klaus Regling a mis l’accent sur les mesures de coordination qui ont été prises : renforcement du pacte de stabilité et de croissance, avec une limitation du déficit budgétaire à 3 % du PIB, au risque d’encourir des sanctions ; mise en œuvre du TSCG qui interdit un déficit structurel dépassant les 0,5 % du PIB ; procédure de déséquilibres macroéconomiques qui oblige les Etats à accepter les recommandations de la Commission pour les corriger, à moins de la désavouer par une majorité qualifiée ; semestre européen, qui permet à la Commission de scruter les budgets nationaux.
Depuis 2009, beaucoup de choses ont été réalisées pour renforcer le système bancaire, estime Klaus Regling. Les banques mettront bientôt en œuvre des règles de Bâle 3 (directive CRD IV) qui impliquent l’obligation pour les banques d’avoir des fonds propres plus élevés, tournant autour de 9 %, ce qui a d’ores et déjà conduit à un renforcement de ces fonds de l’ordre de 200 milliards d’euros.
Trois nouvelles autorités de surveillance des secteurs de la banque, des assurances et des marchés financiers ont été créées, l’EBA, l’EIOPEA et l’ESMA. Un Comité européen du risque systémique (CERS), chargé de détecter les risques macro-prudentiels pesant sur le système financier et de lancer le cas échéant l’alerte, a été créé. Ce cadre a permis de lancer les programmes d’aide aux pays en crise et de renflouer le système bancaire espagnol avec 41,3 milliards.
Néanmoins, il subsiste un problème important selon Klaus Regling : la renationalisation des marchés des capitaux de la zone euro, voire la "fragmentation" de ce marché. Ici, les progrès nécessaires n’ont pas été faits. Les taux d’emprunts au secteur privé divergent fortement selon les pays. Ceux des pays en crise sont autrement plus élevés que ceux des pays dont l’économie est saine à la base. Dans un contexte de marché unique, le coût du capital renforce par ricochet la pression sur le coût du travail et donc les salaires, explique Klaus Regling, ce qui a un impact sur la demande et donc sur la croissance du PIB.
Pour le chef de l’ESM, il est nécessaire de donner une priorité à l’union bancaire dans la zone euro et de confier le mécanisme de surveillance unique (MSU) à la BCE. Celle-ci scrutera directement à partir de mars 2014 tous les établissements qui disposent de plus de 30 milliards d’euros d’actifs, alors que les mécanismes de surveillance bancaire nationaux s’occuperont de la protection des consommateurs, du blanchiment de capitaux et des activités des banques de pays tiers.
Finalement, la stabilité financière pourra être sauvegardée avec la création de deux mécanismes que sont l’EFSF et l’ESM. Ceux-ci peuvent fournir une assistance financière en prêtant aux Etats, en achetant des titres sur les marchés primaires et secondaires, en recapitalisant les banques par des prêts aux gouvernements, tout cela sur base de conditionnalités bien précises, et se financer par l’émission d’obligations ou d’autres titres.
La différence entre les deux mécanismes est que l’EFSF a été créé dans l’urgence sous le coup des crises grecque, portugaise et irlandaise comme une société de droit luxembourgeois à durée limitée au 30 juin 2013, avec une capacité de prêt de 440 milliards d’euros basée sur les garanties des Etats signataires. L’ESM par contre, basé sur un accord intergouvernemental des Etats membres de la zone euro, est de durée illimitée et a une capacité de prêt de 500 milliards basée sur une souscription de son capital par les Etats membres. L’ESM reprendra les engagements de l’EFSF. 192 milliards d’aides ont été engagés pour les pays à programme – Grèce, Irlande, Portugal - dont 144 milliards ont déjà été déboursés. 43,1 milliards d’euros ont été déboursés pour renflouer les banques espagnoles, et 58 milliards sont encore prévus à cet effet. 10 milliards sont prévus pour aider les banques chypriotes. Parallèlement, la BCE peut acheter en cas de demande et de manière illimitée des titres de dettes sur les marchés secondaires. Mais elle ne l’a pas encore fait. La seule annonce de cette possibilité a d’ores et déjà contribué à calmer les marchés.
Le vrai problème est néanmoins, après le rétablissement de la stabilité financière, tout autre aux yeux de Klaus Regling : il s’agit de savoir comment avoir de nouveau plus de croissance et plus d’emploi. "Les incertitudes se réduisent, ce qui stimule déjà la croissance", constate-t-il, mais il en faut plus. C’est dans ce contexte qu’il place le paquet croissance et emploi, l’acte sur le marché unique, mais aussi les prévisions de la Commission sur la croissance et ses recommandations macroéconomiques, tout comme l’augmentation de capital de la Banque européenne d’investissement (BEI) de 10 milliards pour permettre la levée de 60 milliards d’investissements pour des projets relevant d’une croissance durable.
Des progrès ont donc été faits pour sortir d’une crise due aux manques d’ajustements compétitifs dans les Etats membres renforcée par une crise globale, pense le directeur de l’ESM. Tout dépend maintenant des efforts faits dans les Etats membres. Mais Klaus Regling se veut réaliste.
A cause de son recul démographique, l’Europe ne connaîtra plus la croissance qu’elle a connue avant la crise. Les Etats membres de l’UE devront miser sur les gains de productivité pour compenser cette faiblesse, et cela passera nécessairement par des investissements dans les infrastructures, la R&D et l’éducation. Or, ceux-ci sont en partie freinés par les ajustements budgétaires qui tempèrent l’investissement public. Klaus Regling reconnaît aussi que les populations souffrent des mesures d’ajustement, mais elles doivent être prises maintenant de manière plus draconienne, faute d’avoir été prises avant.
Klaus Regling est par ailleurs d’avis que les dettes contractées par la Grèce et les autres pays soutenus par l’EFSF et l’ESM sont des dettes qui pourront être remboursées, chaque prêt étant conditionnée à la soutenabilité du risque encouru, quitte à ce que cette soutenabilité ait été obtenue par des mises à contribution de créanciers privés, comme en Grèce, ou de déposants privés, comme à Chypre.
En gros, selon Klaus Regling, l’Europe sortira donc renforcée de la présente crise. Elle s’est dotée de nouveaux mécanismes de stabilité et d’évaluation des risques qui lui permettront normalement d’éviter que les crises qui marquent la fin d’un cycle économique - et ces cycles sont "un phénomène économique normal" - ne deviennent "excessives" à l’image de la crise présente qui est "la plus grave depuis 80 ans". Elle pourra surtout profiter de "la monnaie la plus stable du système monétaire international et la plus convaincante pour les marchés", tout comme de la banque centrale "la plus crédible". L’idée que l’euro puisse disparaître est désormais pour lui une "idée minoritaire sur les marchés internationaux". Restent les risques de fragmentation du marché des capitaux au sein de la zone euro et le fait que les ajustements nécessaires fragilisent des systèmes politiques faibles comme celui de la Grèce dont la population a beaucoup souffert. Pour l’Italie par contre, Klaus Regling s’est montré optimiste à l’idée qu’elle trouvera une solution pour se sortir de l’impasse actuelle.