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Emploi et politique sociale
René Kneip, directeur de Caritas Accueil et Solidarité, constate la progression du nombre de nouveaux migrants européens exposés à l’exclusion sociale au Luxembourg
03-05-2013


Dans son édition du 3 mai 2013, le journal hebdomadaire Landd’Lëtzebuerger Land a publié une interview avec le directeur de Caritas Accueil et solidarité et ancien président, en 2010-11, de la Fédération Européenne des Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri (FEANTSA), René Kneip. Cet entretien mené par la journaliste Josée Hansen, était une manière de faire le bilan de l’action hivernale (Wanteraktioun) qui s’était terminée deux semaines plus tôt.

Le bilan de cette action hivernale permet de saisir l’ampleur de l’exclusion sociale auxquels sont exposés depuis quelques années de nouveaux migrants venus d’autres Etats membres de l’UE. En effet, alors que le reste de l’année, ces derniers n’ont pas le droit aux aides sociales et donc à être hébergés dans un centre d’urgence ou, encore moins, de bénéficier d’un accompagnement social, ils peuvent pendant l’action hivernale bénéficier du droit de dormir au chaud.

Face à ce phénomène observable sur tout le continent, "il y a ceux qui cherchent des réponses et il y a ceux qui font la sourde oreille", constate René Kneip

Durant l’hiver 2012-13, 649 personnes différentes furent ainsi accueillies dans les foyers du pays. Ce chiffre constitue le double de celui qui avait été observé en 2008-09. Comme le constate René Kneip, cette augmentation est le fait "essentiellement des migrants intra-européens : des Polonais, des Espagnols, des Portugais, beaucoup de Roumains et de ressortissants des Etats de l’ancien bloc de l’Est". René Kneip explique que "l’Europe leur garantit le droit de la libre circulation mais aucun autre droit, par exemple de revendiquer des aides sociales". Il reproche au gouvernement luxembourgeois de faire "comme si ces gens-là n’existaient pas". "C’est essentiellement une migration pour le travail, à la recherche d’un emploi, c’est pourquoi ces chiffres étaient particulièrement élevés en février-mars : les gens sont alors venus avec l’espoir de trouver un travail dans le bâtiment ou dans la restauration", explique-t-il, dans une démonstration similaire à celle qu’il avait faite en février 2012 pour attirer l’attention sur le sujet. Le Printemps arabe a lui aussi eu pour conséquences "des afflux de migrants du Maghreb et en provenance du Sud de l’Europe". 

L'Office social de la Nordstad (OSNOS), comme le rapporte un article publié par le Luxemburger Wort le 2 mai 2013, constate également dans le Nord du pays, un semblable afflux d’Européens du Sud dans le besoin, qui s’ajoute au phénomène de la forte exposition à la pauvreté des familles monoparentales.

Or, ce phénomène semblerait parti pour durer. René Kneip souligne que l’absence d’aide sociale n’effraie pas ces personnes mues par l’espoir de s’en sortir. "Il faut savoir que la volonté de ces gens-là est si forte qu’ils ne vont pas partir maintenant, même si on ferme les foyers d’urgence. Ils préfèrent encore dormir dehors !", dit-il.

Hébergés en hiver dans les foyers d’urgence, ces personnes dorment "un peu partout" à la belle saison, que ce soit "dans la rue, dans des camionnettes ou des voitures, sur des chantiers ou dans des maisons abandonnées", précise-t-il. On retrouverait également certains d’entre eux, en train de mendier dans la rue. "Regardez le nombre de gens qui font la manche en ce moment : ce ne sont pas uniquement des réseaux de Roms affrétés à partir de Mont-Saint-Martin (près de Longwy, n.d.l.r.), mais on y retrouve beaucoup de nos clients de l’action d’hiver", affirme en effet René Kneip.

L’ancien président de la Fédération Européenne des Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri souligne que ce phénomène n’est pas exclusivement observable au Grand-Duché mais est général en Europe. Il "se présente de manière identique partout sur le continent".  Par contre, "tous les pays ne réagissent pas de la même manière". Ainsi, "il y a ceux qui cherchent des réponses et il y a ceux qui font la sourde oreille, et là, ces gens atterrissent dans la rue". Le Luxembourg serait à ranger dans la deuxième catégorie. "Le gouvernement semble vouloir par force ignorer cette population de migrants pauvres, comme par peur qu’une épidémie de pauvreté se propage des pays pauvres vers les pays riches", constate-t-il.

La stratégie nationale développée dans le cadre du Programme national de réforme doit permettre "d’éviter que des personnes se retrouvent à la rue à la suite d’un événement malencontreux dans leur vie"

Pourtant, les travailleurs sociaux estiment que cette situation récente, complétée par le risque d’exclusion grandissant de résidents en raison de la crise, devrait mener à repenser l’intervention sociale. "Nous plaidons fortement pour une offre beaucoup plus diversifiée, adaptée à chaque population-cible", poursuit René Kneip. Ces migrants européens sont dans le même cas que des résidents du Luxembourg frappés par la crise, qui peuvent rapidement se retrouver en situation d’exclusion, après avoir perdu leur logement.

René Kneip conteste par ailleurs que les situations de précarité soient mélangées, car ce ne serait profitable à personne. Il faudrait ainsi "séparer les différentes populations-cibles durant la journée, c’est-à-dire ceux qui viennent d’arriver chez nous et qui ont une chance de s’en sortir assez vite avec le coup de pouce nécessaire, de ceux qui sont déjà beaucoup plus loin dans leur histoire et affichent une multitude de problématiques diverses."

Or, ce changement d’approche est déjà esquissé dans le cadre de la stratégie Europe 2020, qui a  notamment donné pour mission aux Etats membres de réduire le nombre de personnes exposées à la pauvreté. Le Luxembourg s’est donné un objectif comptable de 6000 individus à sortir d’ici là du risque de pauvreté et a également réfléchi à une nouvelle politique dont René Kneip est l’un des architectes. 

Ce dernier fonde beaucoup d’espoir sur l’adoption au niveau national d’une pratique inaugurée aux Etats-Unis, celle du "housing first" ("logement d’abord"). Il s’agit de prendre "les gens directement de la rue, souvent des sans abri de longue durée, et leur offr[ir] un logement fixe, individuel et libre, avec une offre d’encadrement adaptée à leurs besoins pour juguler les différents problèmes un à un." Le travail personnalisé au niveau local et non dans de grandes structures centrales "doit être la philosophie principale de la Stratégie nationale contre le sans-abrisme et l’exclusion liée au logement", explique-t-il encore.

Adoptée en janvier 2013 par le gouvernement et mentionnée dans le Programme national de réforme présentée le 24 avril 2013, la "stratégie nationale contre le sans-abrisme et l’exclusion liée au logement 2013-2020" repose ainsi sur le principe du "logement d’abord" et préconise une "approche globale de la personne sans-abri en prenant en compte ses besoins sociaux, psychologiques et médicaux", comme on le lit dans le PNR récemment transmis à la Commission européenne. "A terme, cette stratégie devrait avoir comme but d’éviter que des personnes se retrouvent à la rue à la suite d’un événement malencontreux dans leur vie", explique René Kneip dans le Lëtzerbuerger Land.

Un document baptisé "Exclusion sociale liée au logement et au sans-abrisme : d’un état des lieux vers une stratégie nationale" a servi à la définition de quatre objectifs, qui se déclinent en quatorze actions, à atteindre d’ici 2020 :

  • fournir des logements privatifs, stables et adaptés aux personnes qui sont des sans-abri de longue durée, aux personnes vivant dans des logements précaires et inadéquats et aux personnes sortant d’institutions ;
  • réagir de manière rapide et adéquate aux situations d’urgence ;
  • prévenir le sans-abrisme ;
  • consolider les mesures existantes et renforcer la gouvernance.