Le Comité économique et social (CES) a accueilli le 26 janvier 2015 la première réunion inaugurant le "dialogue social annuel sur le semestre européen", cycle annuel de concertation régulière entre le gouvernement et les partenaires sociaux représentatifs sur le plan national portant sur le semestre européen.
Ce fut l’occasion pour les parties prenantes de présenter leurs positions respectives, et le CES a pris soin, dans un souci de transparence, de les publier dans leur intégralité sur son site Internet.
Le prochain rendez-vous aura lieu le 30 mars prochain.
En attendant, Europaforum.lu résume dans deux autres articles distincts les positions du gouvernement, de l’UEL et, dans cet article, celle des syndicats CGFP, LCGB et OGBL.
OGBL, LCGB et CGFP se sont concertés en amont de cette rencontre pour rédiger une prise de position commune. Ce document conséquent, étayé et très politique présente le point de vue des syndicats sur les orientations de la politique économique de l’UE et, par conséquent sur celle choisie par le Luxembourg dans le cadre du semestre européen.
C’est essentiellement l’examen annuel de croissance que se sont attachés à commenter les syndicats dans cette note, mais l’analyse porte aussi sur le rapport sur le mécanisme d’alerte et sur l’avis concernant le plan budgétaire du Luxembourg, deux documents publiés le même jour par la Commission européenne pour le lancement du semestre européen 2015.
Le premier constat des syndicats est partagé par la Commission, à savoir que nous ne sommes "toujours pas sur une voie solide de sortie de la crise". Mais les syndicats dénoncent les réponses apportées. "De nombreuses réformes structurelles mises en œuvre ces dernières années, et qu’il faut continuer selon la Commission, font partie du problème, pas de la solution", dénoncent les syndicats qui voient les réformes qui ont "diminué les salaires et la protection sociale" comme "responsables de la conjoncture maussade".
"La somme des politiques poursuivies individuellement par les Etats membres n’est pas nécessairement égale aux résultats de l’ensemble de la zone euro", analysent les syndicats en soulignant que si tous les Etats membres appliquent en même temps l’austérité par la compression des salaires, "ils empirent la situation en sapant les exportations de chacun, ce qui constitue un danger systémique".
Pour les syndicats, la question qui se pose est donc de savoir s’il l’on persévère dans l’échec ou si l’on repense la politique et la méthode.
La politique choisie jusqu’ici a "mené à une récession à double creux", déplorent les syndicats qui relèvent que "la politique européenne très restrictive menée dans la zone euro s’est accompagnée d’une divergence notable de l’évolution du PIB par habitant aux Etats-Unis et dans la zone euro". "Tant la consommation privée que l’investissement ont connu la même évolution d’une trajectoire en double creux modelée par une stratégie de sortie européenne bien trop précoce", constatent-ils. Dans leur analyse des politiques menées, les syndicats se montrent aussi critiques vis-à-vis de l’action de la BCE, dont ils estiment que "les mesures prises depuis 2009 n’ont que très peu contribué à réinjecter des fonds dans l’économie réelle" : selon eux, les banques ont en effet utilisé les liquidités disponibles pour satisfaire leurs exigences de fonds propres plutôt que d’octroyer des crédits au secteur privé. S’appuyant sur l’examen annuel de croissance indépendant 2015, les syndicats considèrent que la politique menée jusqu’ici porte en elle plusieurs incompatibilités. Ils dénoncent "l’échec de la politique européenne de désinflation compétitive par le salaire et l’impôt".
Aussi, les syndicats proposent-ils d’autres options en vue d’une relance économique et sociale de l’Europe. "L’Europe a besoin d’investissement et de justes salaires, ainsi que d’une protection sociale décente", soulignent les syndicats qui mettent l’accent sur la nécessité de favoriser la demande intérieure. Ils plaident donc pour une politique économique et budgétaire anticyclique.
Les syndicats plaident de longue date pour une politique plus favorable aux investissements, car en voulant à tout prix réduire leur endettement, les Etats freinent de fait la demande intérieure. Or, si les investissements dans l’UE ont baissé de 15 %, dans certains Etats membres particulièrement touchés par la crise, la chute atteint 60 %. Les syndicats plaident donc pour un assouplissement du pacte de stabilité et de croissance, de façon à ce que les investissements des Etats membres ne poussent pas ces derniers à se voir soumis à une procédure de déficit excessif. Les syndicats plaident pour une nouvelle "règle d’or" qui "consisterait à ne pas prendre en compte l’endettement supplémentaire destiné à réaliser des investissements au niveau national", plutôt qu’un traitement de faveur pour l’argent versé par les Etats membres au futur Fonds européen pour les investissements stratégiques (EFSI).
Quant au plan Juncker, les syndicats le jugent "insuffisant". De leur point de vue, il faudrait en effet un effort d’investissement de 250 milliards d’euros par an sur dix ans. Et la part des investissements publics devrait être plus grande pour éviter de rendre le plan trop "tributaire de marchés financiers peu enthousiastes en ce moment". Par ailleurs, les syndicats insistent pour que les fonds levés soient investis dans l’économie, en particulier dans les pays les plus touchés par la crise. Ils craignent en effet que le plan ne soit une nouvelle occasion de mettre encore plus de liquidités à la disposition des banques. Il leur importe par ailleurs que le plan ne serve pas à faire un "recyclage de vieux projets", et que les investissements sociaux, importants pour préparer l’avenir, n’en soient pas exclus.
En matière d’investissement, "le Luxembourg a maintenu le cap", relèvent dans ce contexte les syndicats. La part des investissements publics dans les dépenses totales y est en effet en moyenne de 10 % sur la période 1995-2011, contre 5,3 % dans la zone euro. Pour autant, "une contribution substantielle à l’EFSI peut constituer des gains en termes d’images de marque, ce dont le pays a certainement besoin", observent les syndicats.
Les syndicats ont toutefois travaillé sur "l’éventualité d’un rétrécissement de la marge de manœuvre de l’Etat en matière budgétaire", et ils soulignent que dans un tel cas, il importe de privilégier les dépenses "créant une plus-value économique et sociale pour le pays". Ils ont identifié plusieurs priorités, à savoir :
Plus largement, les syndicats notent que dans le domaine économique et budgétaire, le Luxembourg "sort son épingle du jeu". Ils se réfèrent à cet égard à l’avis de la Commission sur le projet de budget 2015, ainsi qu’au rapport sur les déséquilibres économiques qui exempt cette année le Luxembourg d’une analyse approfondie.
En ce qui concerne la situation budgétaire du Luxembourg, les syndicats estiment qu’elle est "sereine". "Le Luxembourg n’est soumis à aucune exigence spécifique au-delà du maintien de son solde structurel au niveau de l’objectif à moyen terme en 2015", constatent les syndicats qui estiment de ce fait qu’il n’est pas légitime d’ajouter des mesures supplémentaires d’austérité. Ils soulignent que le budget 2015 est à l’équilibre avant que les mesures décidées n’aient produit d’effet. La "pression budgétaire européenne exercée de manière relativement peu nuancée s’applique mal au cas luxembourgeois et pousse à prendre des décisions dommageables", soulignent les syndicats.
Les syndicats notent une tendance notoire à l’échelle de l’UE quant au fait que ce sont les consommateurs finaux et les ménages qui endossent une part croissante des contributions fiscales. Or, de leur point de vue, "les systèmes fiscaux doivent devenir plus équitables et plus efficients et la fraude et l’évasion fiscales doivent être combattues avec résolution". Dans le cas luxembourgeois, les syndicats jugent qu’il n’est "pas concevable que le travail continue à être imposé alors que l’imposition sur les revenus des capitaux est de plus en plus allégée".
Les syndicats plaident pour "la mise à l’arrêt de la politique salariale concurrentielle et déflationniste", en dénonçant comme "contreproductive et hasardeuse" la "stratégie de nivellement par le bas des salaires européens afin d’axer la croissance sur les exportations". Ils sont en faveur de réformes structurelles permettant de lutter contre le dumping social et la précarisation du travail et demandent l’introduction de normes juridiques et de critères contraignants de convergence sociale.
Pour ce qui est des réformes structurelles que devraient mettre en œuvre le Luxembourg, les syndicats soulignent qu’elles doivent viser avant tout l’amélioration des performances sociales.
Ils mettent avant tout l’accent sur la politique salariale. Dans son examen annuel de croissance, la Commission pointe en effet "l’adaptation des salaires réels à l’évolution de la productivité" parmi les réformes à mettre en œuvre, un domaine dans lequel la Commission souligne que "le rôle des partenaires sociaux est crucial". Or, contrairement à la lecture que peut faire le patronat de l’examen annuel de croissance à cet égard, les syndicats soulignent que "le rôle de salaires équitables comme moteur de croissance doit enfin être reconnu". De leur point de vue, "la pratique et la portée de la négociation collective doivent être favorisées comme doit l’être un salaire minimum négocié collectivement ou un salaire minimum légal". Au Luxembourg, les syndicats constatent que l’évolution des salaires avoisine "la déflation salariale" au cours des dernières années. Ils insistent sur le fait que le coût du travail est loin d’être excessif au Luxembourg, et ce notamment car les coûts indirects y sont très faibles, rendant "les cotisations sociales très compétitives" au Grand-Duché. "En comparaison européenne, la part salariale est bien au-dessous de celle de nos voisins et principaux partenaires économiques", soulignent enfin les syndicats qui estiment que le coût du travail n’hypothèque en rien la compétitivité économique. Une des principales revendications des syndicats est ainsi une revalorisation structurelle du salaire minimum légal.
En ce qui concerne la réforme des retraites, un sujet sur lequel le Luxembourg s’est vu adresser des recommandations de la part de la Commission européenne à l’occasion des précédents semestres européens, les syndicats se réfèrent à une publication récente de l’OCDE qui "reconnaît que la réforme récente du Luxembourg augmente la viabilité financière du système des pensions luxembourgeois et diminue les futurs taux de remplacement (… de sorte qu’’ils) ne s’écarteront plus beaucoup des taux moyens des pays de l’OCDE". Les syndicats rejettent les attaques continues contre le système de pension par répartition (…) en le présentant comme une dette implicite monstrueuse". Les syndicats relèvent que le Luxembourg a un des taux de risque de pauvreté des personnes âgées les plus faibles et pointe le fait que "toute dégradation de nos régimes publics de pensions aura comme effet une augmentation de la pauvreté des personnes âgées". Par ailleurs, les syndicats ne perdent pas de vue que le taux de chômage augmente avec l’âge dans toute l’UE. Ils jugent donc plus opportun de résorber les taux de chômage des jeunes et des personnes âgées plutôt que d’introduire des mesures visant à repousser l’âge de départ en retraite.
En ce qui concerne la modernisation des systèmes de protection sociale, les syndicats pointent le fait qu’au Luxembourg, le taux de risque de pauvreté des demandeurs d’emploi dépasse désormais la barre des 50 %, et ce notamment du fait que le chômage de longue durée a beaucoup augmenté, ce qui implique que de moins en moins de chômeurs sont indemnisés. Ce phénomène touche proportionnellement plus les travailleurs âgés, et les syndicats plaident pour "une politique de gestion des âges". Pour les syndicats, une hausse des cotisations sociales ne doit plus être taboue.
Dans la liste des réformes à mener en priorité, les syndicats ajoutent aussi une révision des dispositions légales en matière de licenciements économiques et de maintien dans l’emploi, la mise en place d’une législation sur les faillites et un renforcement du volet préventif du droit du travail.