Les premiers échanges informels entre les services de la Commission européenne et les Etats membres concernant la proposition relative à l’échange automatique d'informations (EAI) sur les rescrits fiscaux (ou "tax rulings" en anglais) n’ont pas permis d’identifier "d’hostilité" de la part des pays "mais quelques points de réticence", a reconnu le commissaire européen en charge de la Fiscalité, Pierre Moscovici, le 12 avril 2015.
Invité dans le cadre de l'émission Carrefour de l'Europe sur Radio France Internationale (RFI), le commissaire s’est ainsi dit confiant dans le fait que sa proposition, qui vise à introduire l’EAI obligatoire des rulings dès le 1er janvier 2016, avait un caractère "irrésistible" dans le contexte actuel. Cela vaut y compris pour le Luxembourg qui, "justement parce qu’il y a eu les attaques sur les Luxleaks, [a] à cœur d’être particulièrement exemplaire", a souligné Pierre Moscovici qui dit d’ailleurs s’attendre à ce que le Grand-Duché soit "un partenaire très proactif" en la matière alors que le pays prendra la Présidence du Conseil de l’UE au second semestre 2015.
Mais "le diable est dans le détail", a encore admis le commissaire européen qui, s’il dit ne pas craindre de rejet, assure qu’il n’acceptera pas non plus que sa proposition soit "affaiblie ou édulcorée". Pierre Moscovici a dès lors tracé "deux lignes rouges" : il s’agit d’une part d’assurer le caractère rétroactif de l’EAI pour les rulings toujours en vigueur accordés ces dix dernières années et, de l’autre, de garantir le rôle central et "décisif" de la Commission dans le système. Ces deux points avaient justement suscité des réserves de la part de certains Etats membres lors d'un premier échange au niveau des experts nationaux au Conseil, fin mars, comme le rapportait le Bulletin quotidien de l’Agence Europe daté du 2 avril 2015.
La proposition de la Commission prévoit en effet une obligation rétroactive de l’EAI sur les rulings. Si cette disposition n’avait pas été thématisée par le commissaire Moscovici lors de la présentation du paquet sur la transparence fiscale, le 18 mars 2015, et qu’elle n’est pas précisée dans la communication de la Commission dédiée à ce paquet, le texte de la proposition législative est clair : on y lit ainsi que l’obligation "est étendue aux décisions qui ont été délivrées au cours des dix années précédant la date à laquelle la proposition de directive prend effet et qui sont toujours valables à la date d’entrée en vigueur de la directive". Selon le commissaire, il serait en effet "trop facile" de mettre en place des règles qui ne vaudrait qu’à partir de maintenant en occultant les rulings existants, a-t-il justifié.
La proposition de directive octroie par ailleurs un rôle central à la Commission dans le contexte de l’EAI sur les rulings, toutes les décisions anticipatives devant non seulement être transmises aux autres Etats membres mais aussi à la Commission elle-même. "Il se peut que les États aient la tentation de dire 'on va faire ça entre nous'", a ainsi expliqué le commissaire, selon lequel il est au contraire "très important que la Commission joue un rôle au milieu, de garde-fou ou de régulateur". Sans ce contrôle, la Commission ne disposerait en effet d’aucun outil pour constater si l'échange, prévu sur une base trimestrielle, a bien lieu et, dans le cas contraire, de prendre les mesures adéquates, voire d’engager "des procédures d’infraction", a encore dit Pierre Moscovici. "Je crois franchement qu’il ne faut pas laisser les Etats entre eux, ce ne serait pas bon", a-t-il ajouté.
S’il devait malgré tout persister des oppositions de la part des Etats membres, le commissaire souligne que ce sera à ces pays de s’en expliquer, notamment face aux journalistes. "Si certains pays veulent s’opposer, les médias et l’opinion demanderont pourquoi", a ainsi appuyé Pierre Moscovici, précisant que de son côté, la Commission utilisera le "name and shame" à l’égard des Etats membres réticents (qui consiste à les dénoncer publiquement). "Vous n’êtes pas d’accord ? Pourquoi ? Vous avez quelque-chose à cacher ?", demandera ainsi la Commission.
Lors de l’entretien, Pierre Moscovici a encore justifié la démarche de la Commission axée sur la transparence plutôt que l’interdiction des rulings, qui n’aurait selon lui pas obtenu le soutien des Etats membres. "Je ne pense pas qu’il faille éliminer la concurrence [fiscale, ndlr], c’est sain, c’est une bonne chose, en revanche il faut éliminer la concurrence déloyale et les utilisations perverties" du système, a ainsi souligné le commissaire européen, qui assure que "de la transparence naît une dose d’harmonisation". L’unanimité étant requise au Conseil de l’UE en matière de fiscalité, "si on veut agir pour 2020, on propose une mesure d’harmonisation fiscale, si on veut agir pour 2016, il faut proposer la transparence", a encore justifié Pierre Moscovici.
Le commissaire a d’ailleurs réitéré dans ce contexte son opinion personnelle selon laquelle "la transparence doit être de mise jusqu'au bout" et qu’il souhaitait faire de l’EAI sur les rulings "un standard mondial". Pierre Moscovici s’est encore dit en faveur de l’extension des obligations de transparence aux entreprises, via par exemple la publication de leur comptabilité des entreprises transnationales pays par pays, une proposition étant attendue en juin 2015, a rappelé le commissaire. Mais de préciser qu’il ne s’agit pas de nuire à leur compétitivité, une préoccupation loin d'être "stupide" qui justifie la tenue d’études d’impact, a-t-il encore noté sans toutefois apporter davantage de détails.
Pour mémoire, le "paquet sur la transparence fiscale" adopté le 18 mars 2015 par la Commission s’inscrit dans le cadre du programme de travail adopté par la nouveau collège des commissaires en décembre 2014 qui prévoit de développer "une approche fiscale plus équitable" dans l’UE, conformément aux orientations politiques de son président, Jean-Claude Juncker.
Il s’inscrit par ailleurs plus largement dans le contexte des quatre enquêtes approfondies ouvertes dès juin 2014 par la Commission sur la compatibilité de certaines pratiques fiscales – notamment les "rulings" – en vigueur dans certains États membres dans le cadre de la planification fiscale agressive pratiquée par les multinationales avec les règles de l'UE en matière d’aides d’État. Sont visés le Luxembourg, dans le cas duquel la Commission se penche sur les rulings conclus à l’égard de Fiat Finance and Trade et d’Amazon, tandis qu’elle examine des accords similaires en Irlande (visant Apple) et aux Pays-Bas (vis-à-vis de Starbucks).
Enfin, la proposition fait également suite aux révélations dites "Luxleaks" par un consortium international de journalistes d’investigation en novembre 2014. Cette enquête avait alors mis le Luxembourg en cause comme un moteur d’évasion fiscale pour de grandes multinationales (à cause des "tax rulings" accordés par l’administration), mais surtout, elle avait mis en lumière la manière dont certaines entreprises exploitaient la concurrence fiscale entre les pays de l'UE pour réduire drastiquement leur contribution à l’impôt, parfois sous la barre de 1 % de leurs bénéfices.