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Migration et asile - Justice, liberté, sécurité et immigration - Politique étrangère et de défense
Conseil européen – Les Etats membres rejettent l’approche obligatoire de la répartition de demandeurs d’asile voulue par la Commission à l’issue d’une première journée tendue consacrée à la migration
25-06-2015


Le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, et le Président français, François Hollande, lors du Conseil européen du 26 juin 2015. (@ European Union)Il aura fallu plusieurs heures de discussions pour que les chefs d'Etat et de gouvernement des Etats membres de l’Union européenne (UE), réunis en Conseil européen le soir du 25 juin 2015 à Bruxelles, s’accordent sur le principe de la relocalisation entre leur pays de 40 000 demandeurs d’asile en besoin de protection internationale ainsi que sur la réinstallation de 20 000 réfugiés actuellement abrités dans des pays tiers.

Les dirigeants ont cependant finalement préféré retenir une approche volontaire, et non obligatoire comme l’avait proposé la Commission européenne, mais sans préciser les modalités de cet accord ni chiffrer leur engagement, une tâche confiée aux ministres de l'Intérieur qui s’y consacreront lors d’une réunion informelle du Conseil JAI à Luxembourg le 9 et 10 juillet 2015.

Le contexte

Pour mémoire, après la répétition de naufrages dramatiques en Méditerranée qui ont coûté la vie à plusieurs centaines de migrants au début de l’année 2015 et la tenue, dans ce contexte, d’un Conseil européen extraordinaire consacré à cette thématique, la Commission européenne a proposé, le 13 mai 2015, son agenda en matière de migration. Celui-ci prévoit notamment plusieurs mesures qui ont suscité des réserves de la part de plusieurs Etats membres, en particulier deux mesures phares, à savoir la proposition d’un mécanisme temporaire de relocalisation dans les Etats membres des demandeurs d’asile arrivés sur le territoire de l’UE ainsi que la recommandation d’un mécanisme volontaire de réinstallation dans l’UE de réfugiés se trouvant en dehors du territoire européen.

Concrètement, le mécanisme de relocalisation proposé par la Commission vise à répartir, dans les Etats membres, les demandeurs d’asile arrivés en Italie ou en Grèce en vue de soulager ces deux pays confrontés à des arrivées massives. Il concernerait des ressortissants syriens et érythréens ayant besoin d’une protection internationale (40 000 personnes au total en deux ans, dont 24 000 arrivées en Italie et 16 000 en Grèce) et il aurait surtout dû s'appliquer de manière obligatoire selon la proposition de la Commission. Le mécanisme de réinstallation, pour sa part, vise à accueillir dans l’UE des personnes déplacées abritées dans des pays tiers et dont l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) a reconnu qu'elles ont manifestement besoin d'une protection internationale. Il fonctionnerait sur une base volontaire et devrait concerner 20 000 personnes en deux ans.

Les Etats membres rejettent une approche obligatoire de la répartition

Si le caractère obligatoire ou volontaire de la répartition semblait la question la plus épineuse dans le cadre de la discussion sur les migrations, le président du Conseil européen, Donald Tusk, avait confirmé dès son arrivée à la réunion l'absence de consensus parmi les Etats membres sur l'idée d'imposer une répartition des réfugiés en fonction d'une clef de répartition spécifique (PIB national, population, efforts en termes d'accueil et taux de chômage).

"Il n'y a pas d'accord entre les Etats pour des quotas obligatoires de migrants", a-t-il ainsi déclaré, "mais en même temps, un mécanisme volontaire ne peut être une excuse pour ne rien faire". Tout en disant "comprendre" ceux qui défendent l’idée d'un mécanisme basé sur le volontariat, il a estimé que celui-ci "ne pourra être crédible qu'à la condition que les Etats prennent des engagements crédibles et significatifs d'ici à la fin du mois de juillet" alors qu’une "solidarité sans sacrifices c'est de l'hypocrisie". Et d’avertir : "Maintenant, nous n’avons pas besoin de déclarations vides sur la solidarité, seulement des actes et des chiffres".

Finalement, c’est donc bien l’approche volontaire qui aura été retenue par les dirigeants européens, comme l’a indiqué Donald Tusk lors de la conférence de presse organisée à l’issue de la première journée du Conseil européen. "Les dirigeants ont convenu que 40 000 personnes dans le besoin seront relocalisées de la Grèce et de l'Italie vers d'autres États au cours des deux prochaines années", a-t-il ainsi déclaré, indiquant que "les ministres de l'Intérieur finaliseront le système d’ici à la fin juillet" et que "20 000 autres personnes seront réinstallées".

Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et le Président du Conseil européen, Donald Tusk, lors d'une conférence de presse du 26 juin 2015. (@ European Union)Donald Tusk a néanmoins tenu à insister sur le fait qu’il était "convaincu" qu'il n'y aurait pas de solidarité sur la relocalisation "tant que les migrants ne sont pas enregistrés correctement". "L'UE peut aider avec un soutien logistique et financier. Le respect de nos règles est un must. Si les règles ne sont pas respectées par tout le monde, Schengen sera menacé", a-t-il dit. Et alors que depuis le début de l'année, un tiers des demandes d'asile ont été enregistrées en Hongrie, "notre approche doit être globale du point de vue géographique", a poursuivi Donald Tusk.

La solidarité envers les Etats membres en première ligne n’a été citée qu’en dernier lieu par le président du Conseil européen qui a avant tout pris soin de souligner l'importance des mesures de retour et de réadmission des migrants illégaux. "Les dirigeants ont convenu d'accélérer les négociations de réadmission avec les pays tiers et à mettre pleinement en œuvre les règles de l'UE sur les retours", a-t-il dit, alors que "Frontex obtiendra plus de pouvoirs pour aider au retour des migrants illégaux". "Dans notre recherche d'un nouveau consensus européen sur les migrations, les décisions prises aujourd'hui sur la politique de retour sont une première étape", a-t-il encore assuré, insistant sur le fait que "les migrants qui ne disposent pas du droit d’entrer légalement dans l'UE doivent être renvoyés".

"Que nous mettions des heures à nous mettre d'accord prouve à l'évidence que l'UE n'est pas à la hauteur des ambitions qu'elle déclame", dit Jean-Claude Juncker

Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a de son côté estimé, lors de la même conférence de presse, que peu importait que l’approche soit volontaire ou non. "Nous nous sommes mis d’accord pour que 40 000 personnes soient relocalisées et que 20 000 personnes soient réinstallées, et il m’importe très peu que nous le fassions par une voie volontaire ou obligatoire, je m’intéresse aux 60 000, et pas aux 28", a-t-il précisé, notant que "nous partageons le même destin".

Le président de la Commission a d’ailleurs considéré à cet égard que "donner une perspective de vie à 60 000 personnes est un effort somme toute modeste". "Il s'agit de personnes", a-t-il insisté, déplorant encore la longueur des débats et le fait que les dirigeants se soient "vautr[és]" dans un débat "théologique" sur la méthode. "Que nous mettions des heures à nous mettre d'accord sur le système appliqué prouve à l'évidence que l'UE n'est pas à la hauteur des ambitions qu'elle déclame", a-t-il regretté. Jean-Claude Juncker a par ailleurs confirmé que la Commission comptait maintenir sa proposition en l’état. "La Commission va tout faire pour que la proposition législative que nous avons faite reste sur la table du législateur", a-t-il conclu.

"Ou vous êtes solidaires, ou vous ne nous faites pas perdre notre temps", dit Matteo Renzi

Le chef du gouvernement italien, Matteo Renzi, se serait d’ailleurs emporté lors des débats au sein du Conseil européen face à l’absence de consensus parmi les Etats membres sur le caractère obligatoire d’une relocalisation. Selon plusieurs agences de presse, l’Italien aurait ainsi lancé à ses homologues "Ou vous êtes solidaires, ou vous ne nous faites pas perdre notre temps". "Si vous voulez une base volontaire, si c'est ça votre idée de l'Europe, alors gardez-la pour vous. Nous nous débrouillerons seuls", aurait-il par ailleurs dit, ajoutant que s’il devait ne pas y avoir "d'accord sur le nombre de 40 000, alors vous n'êtes pas dignes de vous appeler Europe".

Interrogé par des journalistes à l’issue des débats, le chef du gouvernement italien a néanmoins tempéré ses propos, estimant que cet accord "constitu[ait] un premier pas vers une politique européenne". Selon lui, "les principes [du règlement de] Dublin font désormais partie du passé. Le présent, ce sont des valeurs communes". "S'il n'y avait pas eu de solidarité face à un si petit nombre, on se serait moqué de l'Europe", a-t-il encore souligné.

Le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, avait de son côté répété en amont du Conseil européen que "le gouvernement luxembourgeois [était] prêt à assumer sa responsabilité". "Dès lors qu’un système de quotas n’est pas mis en place, il faudra veiller à ce que chacun prenne ses responsabilités", avait-il ajouté.

"Si les quotas n'ont aucune chance d'aboutir, alors on doit songer à des alternatives et la solidarité volontaire en fait partie", avait encore dit le Premier ministre, selon ses propos repris par le Luxemburger Wort dans son édition du 26 juin 2015. "La solidarité c'est le véritable principe et il est inconcevable que tout le monde en soit conscient quand il arrive des catastrophes en Méditerranée et que les mêmes oublient ce principe dès le lendemain".

Interrogé par la presse à l’issue du Conseil européen, le Premier ministre a une nouvelle fois insisté sur la solidarité. "Il doit y avoir une solidarité, car il est inconcevable que deux Etats soient laissés seuls à devoir gérer le problème", a-t-il dit, notant encore que les négociations du jour n’avaient pas été "simples". "Ce ne sera pas facile, et pour le Luxembourg, il y aura du boulot sur la table", a-t-il présagé, en soulignant que la Présidence luxembourgeoise allait débuter "avec un dossier difficile dans lequel il s’agira de bâtir des ponts".