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Commerce extérieur
Jean Asselborn réaffirme le soutien du gouvernement à l’accord TiSA sur les services et annonce que six Etats membres, dont le Luxembourg, vont proposer une réforme du mécanisme de règlement des différends investisseurs-Etat dans le cadre du TTIP
04-05-2015


Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, en conférence de presse le 4 mai 2015Le ministre des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, avait convié la presse à Luxembourg le 4 mai 2015 afin de faire le point sur l’Accord sur le commerce des services (ACS ou TiSA, pour "Trade in Services Agreement" en anglais) à l’issue du 12e tour de négociation qui s’est déroulé entre le 13 et le 17 avril 2015 à Genève.

Le ministre en a par ailleurs profité pour annoncer que le Luxembourg et cinq autres Etats membres vont proposer une réforme du mécanisme d’arbitrage prévu dans le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement  (TTIP) actuellement négocié entre l’Union européenne (UE) et les USA. Selon cette proposition qui sera soumise au Conseil Affaire étrangères réuni dans sa formation "Commerce extérieur" le 7 mai 2015, le très contesté mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etat (RDIE ou ISDS en anglais) serait remplacé par une cour d’arbitrage permanente composée de juges indépendants.

Le contexte de l’accord TiSA

Pour mémoire, la négociation de l’accord TiSA a été initiée par les USA et l’Australie en mars 2013, suite à l'impasse des négociations multilatérales du cycle de Doha à l’OMC pour ce qui est du commerce des services. Il est discuté par 23 membres de l'OMC, dont l’UE, qui représentent environ 68 % du commerce des services. Aucun des grands pays émergents membres des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) n’en fait cependant partie.

Son objectif est de libéraliser le commerce des services, c’est-à-dire accroître l’ouverture des marchés domestiques à la concurrence internationale et ainsi permettre aux fournisseurs d’un pays de proposer leurs services dans un autre. Le TiSA vise ainsi "à ouvrir les marchés et améliorer les règles dans des domaines tels que l’octroi de licences, les services financiers, les télécommunications, le commerce électronique, le transport maritime et les travailleurs qui se déplacent temporairement à l’étranger pour fournir des services", explique notamment la Commission européenne sur la page de son site dédiée à cet accord. La Commission a été chargée de négocier cet accord par un mandat du Conseil de l’UE octroyé en mars 2013.

Ces négociations suscitent néanmoins des inquiétudes, notamment au Luxembourg. Ainsi la Confédération générale de la fonction publique (CGFP), principal syndicat du secteur public, a-t-elle déjà fait part de ses craintes en août 2014 quant aux conséquences d’une accélération de la libéralisation des services publics. De son côté, le gouvernement luxembourgeois, en réponse à une question parlementaire en octobre 2014, avait confirmé son soutien à la conclusion de cet accord car, selon lui, il profiterait largement à l’économie luxembourgeoise très axée sur les services, alors qu’il ne contraindrait en rien les Etats membres à privatiser leurs services publics.

Le Parlement européen, pour sa part, tout en soulignant l'intérêt potentiel d'un tel accord dans sa résolution relative à l’ouverture des négociations adoptée en juillet 2013, priait néanmoins la Commission de "défendre les sensibilités européennes en ce qui concerne les services publics et les services d'intérêt général (au sens des traités de l'UE)". L’eurodéputée luxembourgeoise Viviane Reding, rapporteure  sur le projet TiSA au sein de la commission du Commerce international (INTA) du Parlement, s’est de son côté exprimée à plusieurs reprises pour tracer les lignes rouges des députés européens qui auront à entériner cet accord mais également souligner les avantages potentiels d’un tel accord pour l’UE et le Luxembourg.

Le TiSA profiterait au Luxembourg qui vit largement du secteur des services, selon Jean Asselborn

Lors de la conférence de presse du 4 mai, le ministre des Affaires étrangères a réaffirmé la position du gouvernement luxembourgeois en faveur de cet accord qui serait selon lui bénéfique au Luxembourg. Notant que sont concernés par ces négociations les services financiers, les assurances, les transports maritimes, la poste ou l’énergie notamment, Jean Asselborn a rappelé que le pays "vivait en grande partie de ces services". Et de citer le domaine des télécommunications où est active l’entreprise SES, celui du transport maritime "où nous sommes également présents", le transport de fret aérien avec Cargolux ainsi que "naturellement" les services financiers. "Au moins il y a de barrières, au mieux c’est pour [ces entreprises] et donc au mieux c’est pour le pays", a ainsi dit le ministre.

Jean Asselborn a également cité des chiffres issus des services de recherche du Parlement européen qui a tenté de convertir en tarifs douaniers les barrières non-tarifaires imposées dans le commerce des services. Selon ceux-ci, alors que les barrières non-tarifaires dans l’UE se traduiraient en des droits de douane d’environ 6 %,  en Argentine ils atteindraient 30 % et en Inde, en Indonésie ou au Pakistan ils grimperaient jusqu’à près de 70 %. "Ces chiffres montrent qu’il est dans l’intérêt de l’UE de négocier en vue d’un démantèlement de ces barrières pour favoriser les prestataires de services européens et donc luxembourgeois sur le marché mondial et cela serait à notre grand avantage qu’un tel accord soit conclu", a poursuivi le ministre.

Jean Asselborn s’est par ailleurs voulu rassurant face aux critiques sur l’absence de transparence dans le contexte des négociations commerciales, notant que sur le TiSA, elle était désormais "à un niveau plus qu’acceptable". Après plusieurs appels en ce sens, notamment de la part de la commissaire européenne en charge du Commerce extérieur, Cécilia Malmström, le Conseil de l’UE a en effet autorisé la publication du mandat de négociation relatif au TiSA le 10 mars 2015, a-t-il ainsi rappelé. Par ailleurs, "la Commission est en contact permanent avec les Etats membres" et la communication avec le Parlement européen "est à un niveau élevé", a encore dit le ministre luxembourgeois. Le Parlement européen, justement, devra également entériner l’accord, de même que potentiellement les parlements nationaux, si l’accord une fois conclu est considéré mixte, dans le cas où il concernerait des compétences exclusives des Etats membres.

Quant aux autres critiques récurrentes, en particulier sur la privatisation des services publics qu’entraînerait potentiellement cet accord – et face auxquelles la Commission a réaffirmé son engagement de ne pas inclure ces services dans le TiSA –, Jean Asselborn s’est voulu catégorique : les services publics, l’audiovisuel ou l’exception culturelle "sont exclus" des négociations et "aucun pays ne pourra être contraint de privatiser en vertu du TiSA", a-t-il dit. Ainsi, "aucun pays ne pourra être forcé à déréglementer" dans les domaines de la santé, des services sociaux, de l’enseignement public ou de l’eau, a encore assuré le ministre.

Par ailleurs, la protection des données ne sera pas touchée par l’accord, de même que le droit du travail et tout particulièrement les droits syndicaux ou les systèmes de salaires minimums, a encore promis le ministre des Affaires étrangères. Quant au secteur financier, le gouvernement travaille de concert avec les organisations de l’industrie, ABBL et ALFI notamment, en vue de garantir le "level playing field" (des règles du jeu identiques) pour le secteur luxembourgeois.

Jean Asselborn a encore relevé que selon la Commission, des progrès substantiels avaient été engrangés lors des derniers tours de négociation, mais il a préféré ne pas se prononcer sur un calendrier. "Il n’y a pas de calendrier de fixé, la substance de l’accord est la priorité", a-t-il dit.

Six Etats membres, dont le Luxembourg, vont proposer un ISDS réformé

A l’occasion de sa conférence de presse, Jean Asselborn en a par ailleurs profité pour annoncer que le Luxembourg et cinq autres Etats membres vont proposer une réforme du mécanisme d’arbitrage prévu dans le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement  (TTIP) actuellement négocié entre l’UE et les USA. Selon cette proposition préparée par l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et le Luxembourg et qui sera soumise au Conseil Affaires étrangères réuni dans sa formation "Commerce extérieur" le 7 mai 2015, le très contesté mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etat (RDIE ou ISDS en anglais) serait remplacé par une cour d’arbitrage permanente composée de juges indépendants.

Déjà évoqué par le vice-chancelier allemand, Sigmar Gabriel dans la presse allemande le 3 mai 2015, le projet de proposition de réforme émane d’un groupe de travail composé par les six Etats membres, a indiqué le ministre luxembourgeois. Il consiste concrètement à la mise en place d’une cour d’arbitrage permanente dont la composition serait fixée très précisément : ainsi, elle serait formée "de juges indépendants", un tiers issus des USA, un autre tiers de l’UE et un dernier tiers qui ferait l’objet d’une décision commune. Parallèlement, une instance d’appel – dont l’absence dans les mécanismes ISDS actuels soulève de nombreuses critiques – serait également créée.

"Il existe également en Europe des Etats où l’indépendance de la justice n’est pas véritablement garantie, de même que dans le reste du monde, et les investisseurs qui mettent leur argent dans ces pays doivent avoir la garantie qu’il existe une cour pouvant statuer dans le cas d’un problème", a justifié Jean Asselborn. Si le ministre dit par ailleurs "comprendre la société civile" et qu’il n’est pas acceptable que ceux qui ont le plus de moyens fassent plier les Etats, il estime également que sans mécanisme de protection des investissements, il sera très difficile de conclure de tels accords commerciaux avec les partenaires de l’UE.

Le ministre a par ailleurs tenu à mettre en avant quelques chiffres qui permettraient selon lui de tempérer les craintes liées à l’ISDS. Ainsi, en avril 2015, un total de 14 procédures d’arbitrages avaient été lancées depuis 1987dans le cadre de l’ICSID (International Centre for Settlement of Investment Disputes) par des investisseurs originaires du Luxembourg, cela sur un total de 519 procédures, soit  2,7% de l’ensemble des arbitrages entamés. En y ajoutant les 7 procédures lancées dans d’autres enceintes, ce pourcentage monte à 3,45% (21 procédures sur un total de 608).

L’ISDS, un mécanisme polémique

Pour mémoire, les mécanismes ISDS visent à protéger les investisseurs étrangers d'un traitement inéquitable de la part d'un pays hôte en permettant le recours à des tribunaux d’arbitrages ad hoc pour régler les litiges potentiels. Le système fait polémique car nombre de syndicats et d’ONG redoutent qu’il permette à une multinationale qui s'estimerait lésée par une politique publique de poursuivre un Etat – comme le fait Vatenfall avec l’Allemagne, en vertu d’un autre traité, dans le contexte du retrait de la production nucléaire par ce pays –, ce qui pourrait avoir un effet dissuasif sur les Etats souhaitant réglementer en matière sociale, environnementale et sanitaire.

Confrontés à une inquiétude grandissante sur ce sujet, plusieurs Etats membres ont exprimé leur scepticisme quant à l’utilité d’un tel système. Ainsi, l’Allemagne a-t-elle estimé que les USA offraient une protection juridique suffisante aux investisseurs européens devant leurs tribunaux nationaux et vice-versa, suivie dans cette analyse par le Luxembourg. La Commission européenne rappelle pourtant régulièrement que ce sont bien les pays de l’UE qui lui ont demandé d’inclure l’ISDS dans le TTIP, tout en soulignant que l’UE a modernisé les règles relatives à ce mécanisme. Quatorze Etats membres ont d’ailleurs réitéré leur soutien à l’ISDS.

C’est dans ce contexte que la Commission avait décidé de geler, dès mars 2014, le chapitre sur la protection des investissements dans les négociations, le temps de mener une large consultation publique sur le sujet. Ses résultats, publiés en janvier 2015, ont confirmé "l’existence d’un énorme scepticisme par rapport à l’instrument ISDS", avait alors reconnu la Commission. En conséquence, la commissaire en charge du Commerce extérieur planche désormais sur une réforme du système pour tenir compte des préoccupations soulevées en la matière.