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L'Institut Jacques Delors publie le rapport "Un nouvel élan pour l'Europe sociale", réalisé à la demande du ministère luxembourgeois du Travail, de l'Emploi et de l'Économie sociale et solidaire
04-02-2016


institut-delors-europe-socialeLe 4 février 2016, l’Institut Jacques Delors – Notre Europe a publié un rapport intitulé "Un nouvel élan pour l'Europe sociale", réalisé à la demande du ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire du Luxembourg.

"Après les pompiers, l’Europe attend les architectes", écrit Jacques Delors

"Ce rapport vise à susciter le débat pour progresser sur la voie d’une Europe sociale et définir un programme politique relatif à la coordination des politiques sociales en Europe", explique son auteur, David Rinaldi, en introduction. Le texte tente de déterminer "pourquoi" un nouvel élan pour l’Europe sociale est nécessaire et "comment" ce nouvel élan est possible. Dans ce but, son auteur  y explore les domaines où des progrès concrets sont "possibles ou plus urgents" parmi les trois piliers sur lesquels devraient reposer un nouvel élan pour l’Europe sociale selon le ministre Nicolas Schmit et les experts de la Fondation Delors.

Pour chacun de ces piliers, à savoir des investissements dans le capital humain, une mobilité équitable sur le marché du travail et la convergence socio-économique, il est notamment rendu compte des opinions et propositions partagées par les experts et décideurs politiques réunis à Luxembourg lors du séminaire "Un nouvel élan pour l’Europe sociale ?" co-organisé par l’Institut Jacques Delors et le ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire du Luxembourg, le 19 juin 2015. Ainsi, parmi les idées innovantes figure la proposition de créer une inspection du travail européenne chargée de faire appliquer la directive sur le détachement des travailleurs pour prévenir le risque de dumping social, qui fut l’une des principales recommandations du groupe d’experts intervenant lors du séminaire.

Dans la préface du livre, l’ancien président de la commission européenne, Jacques Delors, déclare venue l’heure de faire avancer l’UE, après une crise financière et budgétaire où il a fallu parer au plus pressé. "Après les pompiers, l’Europe attend les architectes", dit-il. "Si l’élaboration des politiques européennes compromet la cohésion et sacrifie des normes sociales, le projet européen n’a aucune chance de recueillir le soutien des citoyens européens", prévient-il aussi. "Déterminer comment concilier des objectifs sociaux et macroéconomiques est probablement le principal défi auquel il faut apporter une réponse définitive", écrit encore Jacques Delors qui félicite au passage le ministère luxembourgeois du Travail, de l’Emploi, de l’Économie sociale et de la Solidarité économique "pour ses efforts en vue de remettre à l’ordre du jour la discussion sur l’Europe sociale".

Nicolas Schmit souligne les multiples effets bénéfiques d’une Europe plus sociale

A la suite de la préface de Jacques Delors, et en amont de la reproduction du discours prononcé par la commissaire européenne en charge de l'Emploi, aux Affaires sociales, aux Compétences et à la Mobilité des travailleurs, Marianne Thyssen, lors du séminaire du 19 juin 2015, le ministre du Travail luxembourgeois, Nicolas Schmit signe un avant-propos. Il le commence en soulignant que la présidence luxembourgeoise avait fait de la relance d’une politique sociale active l’une des grandes priorités de son programme et que ce séminaire avait aidé à l’y préparer.

Nicolas Schmit constate que la lente reprise économique "ne résout pas les difficultés sociales qui se sont accumulées depuis le début de la crise". Et la réaction de l’Europe face à cette situation a été "faible". "Les divergences économiques et sociales entre les États membres se sont considérablement accentuées, menaçant la cohésion politique de l’Europe", juge-t-il. Les politiques d’assainissement budgétaire ont été mises en œuvre sans tenir compte des stabilisateurs sociaux.

Nicolas Schmit regrette que la "clause sociale horizontale" de l’article 9 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ait été complètement ignorée. Considérée dans sa préface par Jacques Delors comme "un élément fondamental de notre acquis", elle établit la nécessité d’intégrer des objectifs sociaux dans toutes les initiatives européennes, y compris, comme le recommande ce rapport, dans le semestre européen et le pacte de stabilité et de croissance.

Cet oubli est d’autant plus dommageable aux yeux de Nicolas Schmit que le renforcement de l’Europe sociale aurait aussi des effets bénéfiques sur d’autres grands défis auxquels est confrontée l’UE. "Si nous ne renforçons pas la dimension sociale de l’Union  européenne dans son ensemble, et de la zone euro en particulier, il sera plus difficile de surmonter des défis tels que ceux constitués par l’afflux massif de réfugiés, le changement climatique, le terrorisme mondial, mais également le changement technologique", écrit le ministre. "Renforcer le tissu social et l’assurance des citoyens dote les individus et les sociétés des compétences et de la confiance en soi nécessaires pour relever ces défis."

Nicolas Schmit définit ensuite les quatre piliers essentiels d’une Europe sociale :

  • Des normes sociales communes pour une convergence ascendante

Au "nouveau pilier de droits sociaux", qu’a annoncé le président de la Commission à l’occasion de l’adoption de son deuxième programme de travail annuel, le 27 octobre 2015, Nicolas Schmit préfère "une approche plus ambitieuse et plus claire" qui pourrait consister en l’adoption d’un "protocole social", tel que le préconise la Confédération européenne des syndicats. "Ce protocole aurait un caractère  juridiquement contraignant et serait au moins ratifié par les États membres souhaitant le faire." La coopération renforcée dans le domaine social devrait clarifier la relation entre les libertés économiques et les droits sociaux fondamentaux, en soulignant la primauté de ces derniers, pense Nicolas Schmit. Ainsi, le principe "à travail égal, salaire égal sur le même lieu de travail" devrait être inscrit dans ce protocole pour mettre aux abus dans le domaine du détachement des travailleurs.

La législation européenne devrait également disposer de normes communes pour faire face à de nouveaux risques sur le lieu de travail tels que des substances cancérigènes, le harcèlement ou le stress au travail. Une nouvelle stratégie visant à promouvoir  la santé et la sécurité en tenant compte des nouvelles formes de chômage et d’organisation du travail dues à la révolution numérique devrait être élaborée avec les partenaires sociaux, estime Nicolas Schmit, qui rappelle que sous présidence luxembourgeoise, le 5 octobre 2015, le conseil EPSCO a adopté des conclusions du Conseil sur un "nouveau programme pour la santé et la sécurité au travail en vue de favoriser de meilleures conditions de travail".

  • Une gouvernance socio-économique pour une Europe inclusive

Le fait que des déséquilibres sociaux constituent une menace économique et politique pour la durabilité de la zone euro n’est pas suffisamment pris en compte par une gouvernance "presque exclusivement axée sur des objectifs économiques et budgétaires", déplore le ministre. Or, ces déséquilibres devraient être gérés "avec la même fermeté" que les déséquilibres budgétaires et macroéconomiques.

Certes, quelques progrès ont été réalisés lors de la rationalisation du semestre européen en 2015, concède-t-il. Mais, pour la zone euro, une intégration économique et budgétaire renforcée devrait automatiquement donner lieu à une intégration sociale approfondie. "Le chômage, la pauvreté, l’inégalité, l’inadéquation des compétences, mais également un système de santé défaillant ou un système de retraite fragile sont des questions fondamentales dans le cadre d’un approfondissement de l’union monétaire européenne", estime Nicolas Schmit. A l’initiative de la présidence luxembourgeoise, le conseil EPSCO du 5 octobre 2015 a adopté des conclusions du Conseil pour une gouvernance favorisant une Europe plus inclusive.

  • Un programme en matière d’emploi et de compétences

Nicolas Schmit désigne le chômage des jeunes comme "l’un des principaux problèmes des Européens". Alors que la baisse du chômage est trop lente, il faudrait aller plus loin que la garantie pour la jeunesse, avec notamment l’idée d’un nouveau programme ERASMUS pour les jeunes au chômage et moins qualifiés. De même, il faudrait veiller à lutter contre des conditions de travail précaires qui touchent de nombreux jeunes. Le concept de flexicurité devrait ainsi être réintroduit dans l’élaboration des politiques européennes, "en accordant toute l’attention nécessaire au côté sécurité", par "des allocations chômage adaptées, mais surtout des programmes de reconversion efficaces, qui doivent être correctement financés".

L’Europe doit suivre pleinement la révolution numérique tout en faisant en sorte qu’elle soit compatible avec nos valeurs sociales et ne crée pas de nouvelles inégalités, ajoute-t-il. Cela nécessite d’adapter la législation du travail, mais surtout d’investir dans les compétences. Il serait ainsi utile d’organiser un groupe de travail composé d’experts et de partenaires sociaux pour traiter de tous les impacts notamment économiques, sociaux et culturels de ces transformations fondées sur l’intelligence artificielle.

  • Promouvoir les investissements sociaux

Pour le ministre luxembourgeois, la promotion des investissements sociaux devrait être considérée comme une priorité. Il déplore qu’elle n’ait pas été clairement déclarée comme telle par l’actuelle Commission européenne, qui n’a pas révisé le paquet "investissements sociaux" lancé le 20 mars 2013. "L’économie sociale devrait jouer un rôle beaucoup plus important par le biais de l’innovation sociale", dit-il. C’est pourquoi la présidence luxembourgeoise a donné la priorité à la promotion de ce secteur en créant un cadre européen et en facilitant l’accès à des ressources financières, ce qui a pour la première fois reçu le soutien du conseil EPSCO.

"L’Union européenne a (…) besoin d’une stratégie pour favoriser des sociétés plus égalitaires. Cette stratégie devrait faire partie d’un protocole social dont l’objectif serait d’ouvrir la voie à une véritable Union sociale européenne", rappelle Nicolas Schmit, à la fin de son texte avant de conclure : "S’il est important de renforcer la compétitivité de l’Europe, ses capacités d’innovation et sa stabilité économique, cela ne peut être fait sans donner un nouvel élan à l’Europe sociale maintenant ! Il faut prendre des mesures audacieuses pour reconnecter les citoyens avec les idéaux européens."