Les ministres européens en charge du Travail et de l’Emploi se sont réunis à Luxembourg, le 16 octobre 2014, à l’occasion d’un Conseil "Emploi, politique sociale, santé et consommateurs" (EPSCO) consacré notamment à un débat d'orientation sur l'examen à mi-parcours de la stratégie Europe 2020 dont les résultats s’avèrent jusqu’à présent mitigés. Le Conseil EPSCO a par ailleurs approuvé une orientation générale concernant une décision établissant une plateforme de prévention et de lutte contre le travail au noir.
Lors de sa réunion, le Conseil EPSCO a ainsi approuvé une orientation générale concernant une décision établissant une plateforme dans le but d'améliorer la coopération au niveau de l'UE afin de prévenir et de décourager plus efficacement le travail non déclaré. Cette orientation générale constituera la base sur laquelle le Conseil négociera avec le Parlement européen.
Selon les conclusions diffusées par le service de presse du Conseil, le projet prévoit une participation obligatoire de tous les États membres à la plateforme et comprend une liste non exhaustive des initiatives que la plateforme peut prendre, conformément à la proposition initiale de la Commission du 9 avril 2014.
"Parallèlement, l'orientation générale du Conseil garantit que les Etats membres resteraient compétents pour décider de leur niveau de participation aux initiatives de la plateforme. [Ces derniers] pourraient également décider des mesures à prendre au niveau national afin de donner effet aux résultats de ces initiatives, en fonction de leurs propres priorités et besoins pour ce qui est de prévenir et de décourager le travail non déclaré", lit-on dans les conclusions.
Le rapport de la Présidence italienne réalisé suite aux discussions préparatoires menées en amont du Conseil EPSCO, entre autres au sein du Comité des représentants permanents des Etats membres auprès de l’UE (COREPER), souligne cependant que le Parlement européen n'ayant pas encore rendu d'avis dans ce dossier, "la Commission maintient sa proposition initiale".
La Commission a en effet "émis une réserve spécifique sur le considérant 11 bis (nouveau) de l'orientation générale du Conseil [qui prévoit que les Etats membres restent compétents pour décider de leur niveau de participation aux initiatives approuvées par la plateforme en réunion plénière, ndlr], car elle estime que le bon fonctionnement de la plateforme pourrait être compromis si la participation des États membres ou d'un nombre trop important d'entre eux aux initiatives de la plateforme était insuffisante ou inexistante". Mais la Présidence de souligner encore que "si certaines délégations partagent cette préoccupation, de nombreuses autres […] ont souligné que tous les États membres soutiennent les objectifs de la plateforme".
La nature du travail non déclaré "vari[ant] d'un pays à un autre, au même titre que les mesures visant à lutter contre ce phénomène", explique le Conseil, concrètement, les tâches de la plateforme comporteraient notamment l'analyse des mesures stratégiques prises jusqu'ici, la mise en place de banques de connaissances répertoriant les différentes mesures et l'élaboration d'outils et de manuels pour la coopération entre Etats membres, rapportent encore les conclusions. La plateforme permettrait ainsi aux États membres de tirer des enseignements de leur expérience mutuelle et leur donnerait, au besoin, les moyens de conjuguer leurs efforts pour réduire le travail non déclaré.
La plateforme associerait par ailleurs les partenaires sociaux au niveau de l'UE, tant à l'échelon intersectoriel que dans les secteurs plus durement touchés par le travail non déclaré, et elle devrait coopérer avec les organisations internationales concernées, comme l'Organisation internationale du travail (OIT) et les agences décentralisées de l'UE, en particulier Eurofound et l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (OSHA).
Le président du Conseil, le ministre italien du Travail et des Politiques sociales Giuliano Poletti, a commenté la décision en se félicitant d’avoir pu dégager un tel accord durant la Présidence italienne. Le commissaire en charge de l’Emploi, des Affaires sociales et de l'Inclusion, László Andor, a pour sa part salué le fait que cette décision marque "un pas de plus vers la concrétisation de la plateforme", rapporte un communiqué diffusé par la Commission.
Selon le commissaire, le travail au noir, "qui prive les travailleurs d’une couverture sociale et de conditions de travail décentes, fausse la concurrence entre les entreprises et met en péril la pérennité des finances publiques, représente un défi majeur pour tous les États membres". Par conséquent, László Andor juge "essentiel qu’ils participent tous activement aux activités de la nouvelle plateforme, d’autant plus que le travail non déclaré n’est pas seulement un problème national, mais possède une dimension transfrontière. En unissant nos forces, nous serons mieux placés pour combattre ce fléau".
Pour sa part, le ministre luxembourgeois du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire, Nicolas Schmit, a souligné le soutien du Luxembourg à cette plateforme "qui est un peu le pendant de la directive Détachement des travailleurs révisée, la question du dumping social en Europe prenant de plus en plus d’importance".
Pour mémoire, lors du sommet social Benelux du 13 février 2014, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Belgique avaient évoqué une mise en œuvre rapide, voire anticipée de la directive Détachement des travailleurs révisée, notamment en ce qui concerne l’application, pour les trois pays sur une base volontaire, du principe de la responsabilité solidaire et conjointe et de contrôles renforcés. Ils ont prévu des projets pilotes pour des inspections transfrontalières sur les chaînes de sous-traitance et les responsabilités conjointes, et un renforcement transfrontalier du système des amendes et sanctions administratives.
Le Conseil a par ailleurs tenu un débat d'orientation sur l'examen à mi-parcours de la stratégie Europe 2020, y compris concernant le Semestre européen, sur base d’une note de la Présidence italienne du Conseil et notamment des questions qu’elle a élaborées à l’intention des ministres.
Le débat a notamment reposé sur la communication adoptée en mars 2014 par la Commission et intitulée "État des lieux de la stratégie Europe 2020 pour une croissance intelligente, durable et inclusive", dans laquelle des enseignements préliminaires sont tirés des cinq premières années de mise en œuvre de la stratégie.
Comme le rappelait cette communication, les progrès accomplis en vue de la réalisation des objectifs de la stratégie Europe 2020 sont mitigés. Si, en matière d'éducation, de climat et d'énergie, l'UE se rapproche, du moins partiellement, des objectifs qu'elle s'est fixés, ce n'est pas le cas dans les domaines de l'emploi, de la recherche et développement, ni de la réduction de la pauvreté. La crise a mis un frein au processus de convergence observé au cours de la décennie précédente, c'est-à-dire depuis l'introduction de l'euro. Elle a également révélé une augmentation des inégalités dans la répartition des richesses et des revenus.
Dans un contexte où le taux de chômage reste à un niveau historiquement haut dans l'UE et où le nombre de personnes en situation de pauvreté ou d’exclusion n'a cessé de croître, le débat a permis aux ministres de réaffirmer leur volonté de ne pas de toucher aux objectifs de la stratégie Europe 2020 – qui ambitionne notamment d’assurer un emploi à 75 % de la population de l'UE âgée de 20 à 64 ans et réduire d'au moins 20 millions le nombre de personnes touchées ou menacées par la pauvreté et l'exclusion sociale d'ici à 2020. Néanmoins, les échanges auront avant tout porté sur la nécessité de réformes structurelles ainsi que sur les responsabilités individuelles des Etats membres en la matière.
Lors de son intervention, le ministre luxembourgeois du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire, Nicolas Schmit, a souligné l’importance de cette stratégie et rappelé que les Etats membres doivent poursuivre leurs efforts pour atteindre les objectifs fixés, notamment en termes de taux d’emploi et de réduction de la pauvreté – le Luxembourg étant en bonne voie pour atteindre sa cible en matière de taux d’emploi de 73 % de la population âgée de 20 à 64 ans à l’horizon 2020. Selon le ministre, la question est de savoir comment relancer, comment réajuster la stratégie avec ses grands objectifs économiques et sociaux, à savoir une croissance intelligente, durable et inclusive, a-t-il dit en marge du Conseil.
"C’est précisément parce que nous sommes de nouveau dans une situation économique difficile qu’il faut maintenant activer et renforcer les moyens pour atteindre ces objectifs", a estimé Nicolas Schmit, selon lequel "cohésion, justice sociale et compétitivité économique ne sont pas des objectifs qui s’opposent mais sont parfaitement réconciliables et peuvent même se soutenir mutuellement". Dans les pays où la cohésion sociale est forte, la performance économique l’est aussi, dit le ministre qui cite en exemple les pays scandinaves.
L’un des moteurs de cette relance consisterait en une hausse des investissements publics et privés adéquats considérés "absolument nécessaires en vue d’une croissance durable et équitable, d’une création d’emplois de qualité et d’une inclusion sociale renforcée", assure le ministre. "L’Europe a pris un retard terrible en la matière", poursuit Nicolas Schmit qui souligne que l’engagement de 300 milliards d’euros annoncé par le nouveau président de la Commission "doit être respecté", mais que surtout, il s’agit de "prioriser et de choisir judicieusement" les domaines auxquels ils devront être consacrés. "L’investissement dans le capital humain doit être central" a insisté le ministre qui juge qu’il s’agit globalement d’investir dans le savoir, les compétences et la connaissance.
La jeunesse (lutte contre le chômage, formation, transition entre mondes éducatif et professionnel, etc.) doit être au centre de ce travail. "A terme, le potentiel de croissance de l’Europe dépend de sa capacité à mobiliser sa jeunesse. Si une partie de sa jeunesse dépérit et se transforme en génération perdue, l’Europe perdra d’autant de potentiel de croissance. Il s’agira de mener un débat sur les moyens financiers que l’on va consacrer à cette politique, autour notamment de la Garantie pour la Jeunesse, mais pas uniquement", a-t-il considéré.
La question de la gouvernance économique actuelle, jugée peu satisfaisante par le ministre, est un autre sujet d’importance. "Nous voulons que le volet social y soit mieux intégré, il faut un meilleur équilibre entre le Conseil ECOFIN et le Conseil EPSCO. S’il y a besoin de renforcer la gouvernance économique, c’est que l’on juge à juste titre que les mauvais choix macroéconomiques ou budgétaires ont des conséquences pour tous les autres partenaires", rappelle Nicolas Schmit. "Mais nous pensons aussi que les mauvais choix, les dérives en termes de pauvreté, de sous-emploi, de chômage ou de désintégration des systèmes sociaux ont, au même titre, des conséquences pour les autres Etats membres".
Le ministre Schmit plaide ainsi pour un Pacte social sur le modèle du Pacte budgétaire. À ce titre l’impact social des réformes et mesures envisagées devra être analysé en amont de leur mise en œuvre et un dialogue social de qualité doit avoir lieu au niveau national et européen. Les parlements nationaux, les partenaires sociaux et la société civile doivent être plus impliqués dans le processus du Semestre européen et plus précisément lors de la préparation des recommandations spécifiques par pays. Les indicateurs sociaux du Semestre européen devraient ainsi être contraignants, sur le modèle de ses indicateurs économiques.
Limiter les réformes structurelles à la flexibilisation du marché du travail serait un tort selon le ministre qui "ne conteste pas le besoin dans certains cas de faciliter son accès en assouplissant un certain nombre de règles qui finalement excluent notamment les jeunes du marché". "Les réformes structurelles vont bien plus loin, elles impliquent le système éducatif, le meilleur ciblage des politiques sociales, la lutte contre les inégalités des chances et la bureaucratie", a encore plaidé le ministre. "Si nous n’arrivons pas à faire passer ce message, nous ne pourrons pas compter sur le soutien de nos populations".
Le débat au Conseil a par ailleurs été alimenté par une contribution commune du Comité de l'emploi et du Comité de la protection sociale à ce sujet. Le Comité de la protection sociale a également rédigé un rapport sur les réformes de la politique sociale mises en œuvre pour une Europe équitable et compétitive, qui contient ses messages clés que la Commission européenne est invitée à prendre en compte lors des travaux préparatoires à l'examen annuel de la croissance 2015.
"Nous avons eu une discussion fructueuse, analysant à la fois les limites et l'efficacité des outils existants, en vue d'identifier les mesures jugées nécessaires pour donner un nouvel élan à la stratégie révisée et aborder les multiples défis auxquels nous seront confrontés dans les années à venir", a estimé le président du Conseil, Giuliano Poletti, à l’issue de la réunion.
Alors que la directive relative au congé parental est bloquée depuis plus de trois ans faute d’une position commune entre Etats membres, les ministres ont débattu lors du déjeuner sur le sujet "congé parental et de maternité: un moyen de concilier travail, famille et vie privée".
Pour mémoire, le projet de révision de la directive qui date de 1992 a été proposé par la Commission européenne en 2008 et prévoyait d’étendre le congé maternité de 14 à 18 semaines. Le Parlement européen avait adopté dès octobre 2010 sa position qui allait plus loin, en prévoyant un congé maternité minimal de 20 semaines. Les Etats membres qui étaient censés discuter sur le projet législatif n’ont pas trouvé de consensus et n’ont pas adopté de position.
Vu le blocage, la Commission européenne a envisagé de le retirer, dans le cadre de son programme REFIT d'allégement administratif et législatif, selon un communiqué du 18 juin 2014: "La Commission considère comme une bonne pratique de gestion législative le fait de retirer des propositions bloquées en phase législative afin de permettre un nouveau départ ou de trouver d'autres moyens d'atteindre l'objectif législatif visé".
Une volonté de la Commission qui "inquiète" le Luxembourg. "L’ancienne commissaire en charge du dossier, Viviane Reding, a proposé de retirer la proposition dans le cadre du programme de dérégulation REFIT, donc on court le risque que cette directive passe à la trappe", a indiqué Nicolas Schmit en marge du Conseil, qui souligne que seules deux délégations y seraient favorables. "Ce serait un mauvais signal: d’un côté on veut renforcer le volet social et l’idée d’égalité hommes-femmes, on veut encourager un taux d’emploi supérieur pour les femmes et de l’autre on donnerait le message qu’on va classer définitivement un projet de directive comme celui sur la protection de la maternité".
Le ministre souligne néanmoins que cette directive doit être considérée dans un contexte plus large que l’aspect de la protection de la santé de la femme et de l’enfant, de sorte qu’il "est important d’assurer des droits à ce niveau-là à l’échelle de l’UE". Ainsi, l’aspect économique (taux d’emploi) et celui de l’égalité (notamment le congé parental pour les hommes) doivent être pris en compte, dit le ministre qui plaide pour un système offrant davantage de flexibilité. "Mais il est important d’avoir un cadre qui définit un certain nombre de standards et de règles européennes. Que dans ce cadre de règles minimales les Etats membres disposent d’une certaine flexibilité, nous sommes pour", a-t-il indiqué.