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Environnement - Santé
Perturbateurs endocriniens – A peine présentées, les propositions de la Commission provoquent la déception de la plupart des parties prenantes
16-06-2016


perturbateurs endocriniensTrès attendues, les propositions de la Commission européenne présentées le 15 juin 2016 visant à établir des critères permettant d'identifier les perturbateurs endocriniens n’ont semblé satisfaire aucune des parties prenantes. La déception est en effet le maître-mot des réactions suscitées par cette proposition, que ce soit de la part de l’industrie ou des organisations de défense de l’environnement et de la santé. Au Parlement européen, les premières réactions laissent présager des débats animés.

La déception de l’industrie

Du côté de l’industrie, l’Association européenne pour la protection des cultures (ECPA), qui compte parmi ses membres BASF, Bayer, Dow AgroSciences, Syngenta ou Monsanto, se montre très déçue et déplore notamment l'absence du critère de puissance, qui tient compte de la relation entre la dose et l'exposition. Elle n'est pas non plus satisfaite des nouvelles dispositions en matière de dérogation. "Une réglementation par dérogation n'est ni acceptable, ni prévisible. L'extension des dérogations met en exergue les faiblesses de critères", ajoute l'organisation, qui affirme que ces nouveaux critères pourraient mener à l'interdiction de produits présentant les mêmes propriétés que des produits quotidiens comme le café.

"Après six ans d’efforts, enrichis par les avis de l’EFSA, d’experts scientifiques et de diverses parties prenantes, ces critères ne sont rien de plus que la définition de l’OMS/IPCS, formulée il y a dix ans", déplore encore l’organisation qui considère "cette définition comme un point de départ raisonnable", mais estime qu’elle n’est "pas en soi adaptée à un usage législatif".

Du côté du Conseil européen des Fédérations de l’Industrie chimique (CEFIC), les attentes sont les mêmes : il convient de tenir compte du critère de puissance pour pouvoir réussir à assurer une sécurité renforcée, tout en permettant l’innovation. En d’autres termes, pour son directeur, Marco Mensink, cette réaffirmation de la définition de l’OMS n’est "pas suffisante".

Pour le directeur de PlasticsEurope, Karl-H. Foerster, il manque toujours "des critères de travail acceptés par tous qui permettraient de faire la distinction entre une substance préoccupante pour les autorités réglementaires et les substances peu ou pas préoccupantes", ainsi qu’il l’a exprimé dans un communiqué conjoint de ces trois organisations.

Le Copa-Cogeca, réunion du Comité des organisations professionnelles agricoles (COPA) et de la Confédération Générale des Coopératives Agricoles de l’Union européenne (COGECA), a pour sa part plaidé pour une approche basée sur les risques, et non sur l’approche basée sur la dangerosité choisie par la Commission européenne. L’organisation s’inquiète aussi de voir la procédure accélérée au détriment de la qualité de l’évaluation d’impact, notamment en ce qui concerne les aspects socio-économiques. Le secrétaire général de l’organisation, Pekka Pesonen, a ainsi notamment mis l’accent sur les risques de voir les agriculteurs européens devoir faire face à un désavantage concurrentiel dans la mesure où de nombreux produits qui risquent d’être interdits dans l’UE continueront d"être présents dans des produits importés.

Les réactions médusées des ONG

Les organisations de défense de l'environnement, de la santé publique et des consommateurs – qui défendaient une approche par catégorie incluant des perturbateurs potentiels - ne sont pas davantage satisfaites.

"L'Europe manque sa chance de mettre un terme aux perturbations endocriniennes", estime ainsi l'Alliance pour l'environnement et la santé (HEAL) dans un communiqué de presse. "La loi prévoit que les critères identifient et interdisent les perturbateurs endocriniens qui 'peuvent provoquer des effets secondaires', pas seulement 'ceux qui ont un lien de cause à effet prouvé'", indique l'organisation, qui se dit "stupéfaite" des nouveaux critères. Lisette Van Vliet met notamment en cause une "charge de la preuve" trop élevée pour que les perturbateurs endocriniens soient interdits avant de provoquer de nombreux dégâts sur la santé. La spécialiste de l’ONG déplore aussi le fait que ce texte risque de paralyser l’usage des connaissances existantes et futures des effets des perturbateurs endocriniens sur les animaux, alors que celles-ci devraient servir à prévenir les effets sur la santé humaine. Cela revient selon elle à utiliser les humains comme on se servait autrefois des canaris dans les mines de charbon, ce qu’elle juge "complètement inacceptable" ; cela vide la loi de toute protection de la santé et va à l’encontre de décennies de bonnes pratiques reconnues en matière de détection précoce et de prévention des effets nocifs des produits chimiques, dénonce-t-elle. L’Alliance plaide ainsi pour un classement des produits chimiques en différentes catégories de perturbateurs endocriniens, à savoir "avérés", "suspectés" et "potentiels", à l’aune du système utilisé pour les cancérigènes.

L'organisation de lutte contre les pesticides, PAN-Europe, qui se montre particulièrement remontée contre cette proposition, affirme que les nouvelles propositions risquent de n'entraîner aucune interdiction des pesticides actuels.

 L’ONG Générations futures dit craindre le pire". "En effet, il faudra un niveau de preuve extrêmement élevé pour obtenir le classement PE (perturbateur endocrinien) et ouvrent la voie à de nombreuses dérogations, ces deux points nous laissant craindre que la santé humaine ne sera pas convenablement protégée de ces substances dangereuses", dénonce l’ONG dans un communiqué.

"Pour mémoire le Règlement adopté en 2009 prévoyait d’exclure les substances PE pouvant avoir un effet néfaste sur l’Homme et non, comme dans cette proposition, ayant un effet avéré! La différence est que si avant nous avions assez de données sur l’animal, l’on considérait que cela suffisait pour exclure les pesticides suspectés PE, ici il faudra en plus des données certaines pour l’Homme!", souligne  l’organisation. "Cette approche sous estimera dramatiquement le risque pour l’homme en ignorant de multiples données obtenues sur l’animal ! On est là aux antipodes du principe de précaution", dénonce Générations futures qui souligne aussi que des dérogations à des pesticides pourtant reconnus PE pourront être accordées pour ‘risque négligeable pour l’Homme’.  Ce qui est pour l’ONG "un recul inacceptable car le règlement de 2009 prévoyait de telles dérogations uniquement pour une exposition négligeable définie comme l’absence de contact avec l’Homme."

"L’exigence formelle de preuve sur l’Homme et les nouvelles dispositions en matière de dérogations sont une scandaleuse régression politique dans ce dossier", estime par conséquent François Veillerette, porte-parole de Générations Futures.

Le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) indique, pour sa part, que les nouveaux critères vont à l'encontre du principe de précaution qui prévoit une action protectrice en cas d'incertitude scientifique. Sylvia Maurer, responsable de l’unité Durabilité et Sécurité, a ainsi souligné que le seul moyen de protéger les consommateurs européens serait une définition des perturbateurs endocriniens identifiant tous les produits chimiques qui risquent de nuire à la santé humaine, à savoir ceux contenant des perturbateurs endocriniens avérés, mais aussi ceux qui sont suspectés. La proposition de la Commission confirme selon elle "les préoccupations du BEC quant à la volonté de la Commission de revoir à la baisse ses ambitions en en matière de critères concernant les perturbateurs endocriniens de manière à ne pas compromettre les négociations avec les Etats-Unis sur le TTIP".

Les premières réactions au Parlement européen laissent présager des débats animés

Françoise Grossetête, eurodéputée du PPE s’est déclarée "heureuse de voir qu'elle a été retenue par la Commission malgré les protestations de l'industrie". Elle souligne pourtant que "l'application d'un système de dérogations basé sur le risque et non pas sur l'évaluation du danger pourrait cependant fragiliser l'application des critères et conduire la législation à manquer sa cible".

Même réaction mitigée du côté du groupe S&D qui se félicite de voir la Commission se décider enfin à agir, tout en jugeant cette proposition inquiétante : "d’une part, le processus d’identification des perturbateurs endocriniens est extrêmement complexe et, d’autre part, les dérogations sont trop nombreuses. Le fait de devoir "prouver un effet avéré" et celui d’accepter les substances aux conséquences ‘négligeables sur l’Homme’ sont contraires au principe de précaution que nous défendons !", a ainsi relevé la délégation socialiste française. Pavel Poc, porte-parole du groupe sur la question, estime lui que la proposition, qui ne porte que les biocides et les pesticides, n’est pas suffisante. Il faudrait aussi veiller à ce que les perturbateurs endocriniens contenus dans les cosmétiques ou les plastiques souples soient pris en compte, estime-il en effet.

Pour le groupe des Verts/ALE, la proposition mise sur la table est "bien en deçà de l’enjeu sanitaire que représentent ces substances qui dérèglent notre système hormonal". Michèle Rivasi estime que la Commission "s’est assise" sur sa propre recommandation de 2013 "pour présenter des critères très éloignés des connaissances scientifiques actuelles". L’eurodéputée critique le fait que la Commission "propose de mettre en place des dérogations au principe de l'évaluation d'une substance sur base du danger". "Ces dérogations permettraient d’évaluer une substance en fonction de "l’exposition" et du "risque", ce qui va totalement à l’encontre de la législation européenne selon laquelle les substances doivent être évaluées en fonction de leur danger intrinsèque et non du risque supposé qu’elles pourraient occasionner", dénonce-t-elle.

Par ailleurs, souligne l’eurodéputée écologiste, les notions de "risque" et d'"exposition" sont des absurdités du point de vue scientifique. En effet, comme avéré dans le cas du Bisphénol A, une même dose n'a pas le même effet sur un bébé que sur un adulte. En conséquence, une dose intermédiaire peut être moins nocive qu’une dose faible selon l'âge des individus.  

Michèle Rivasi relève aussi que selon la proposition de la Commission, seuls les effets sur les humains feraient preuve. Ce qui reviendrait selon elle "à exclure la plupart des perturbateurs endocriniens de la législation et n'a rien à voir avec la définition de l'Organisation Mondiale de la Santé contrairement à ce prétend le Commissaire Andriukaitis". "Nous sommes donc les futurs cobayes de l’industrie chimique qui doit se réjouir d’une proposition à ce point restrictive", dénonce l’eurodéputée qui annonce d’ores et déjà que les écologistes s’opposeront à cette proposition au Parlement européen.