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Énergie
Midi de l’Europe – Les réactions de l'UE à la catastrophe de Fukushima
27-04-2011


Peter Faross, directeur général adjoint f.f. de la Direction générale Energie de la Commission européenne, était l’expert invité des Midis de l’Europe le 27 avril 2011.

Au programme de cette conférence débat, un sujet d’actualité s’il en est, puisqu’il était question des conséquences de l’accident survenu à la centrale de Fukushima, au Japon, suite au tremblement de terre et au tsunami qui ont frappé ce pays le 11 mars dernier. Peter Faross

Quelles conséquences ont-elles été tirées au niveau européen ? C’est à cette question notamment que s’est efforcé de répondre le représentant de la Commission devant un auditoire pour le moins partagé sur la question de la sortie du nucléaire.

Pour commencer, Peter Faross a souligné que la question énergétique était inscrite à l’agenda européen bien avant cet accident. Ainsi, les chefs d’Etat et de gouvernement s’étaient-ils réunis à l’occasion d’un Conseil européen consacré à cette question dès le 4 février 2011, l’enjeu étant de trouver une voie à suivre pour arriver d’ici 2020 à un approvisionnement en une énergie durable et pauvre en carbone. Parmi les technologies considérées comme pauvres en carbone que les conclusions du Conseil appellent à soutenir, figure le nucléaire. Mais les questions de sécurité liée à la production de cette énergie étaient aussi à l’ordre du jour de cette réunion.

Retour sur les événements du 11 mars 2011

Peter Faross est ensuite revenu sur les événements qui se sont enchaînés le 11 mars au Japon, où l’énergie nucléaire représentait en 2009 27 % du mix énergétique. Un tremblement de terre de force 9 sur l’échelle de Richter a coupé du réseau électrique 11 réacteurs situés dans la région touchée. Une heure plus tard, un tsunami d’une hauteur de 14 mètres s’abattait sur les générateurs de secours de la centrale de Fukushima Dai-Ichi qui assuraient le refroidissement des réacteurs de la centrale. Une hauteur maximale de 6,5 mètres, bien au-dessus de la plus haute vague enregistrée jusque là, avait été envisagée par les concepteurs de la centrale. Et les générateurs se trouvaient côté littoral, ce qui constitue pour Peter Faross une erreur dont il s’agit de tirer les conséquences.

Sur les six réacteurs, trois étaient en service, les autres étant en maintenance. Ces réacteurs, d’une technologie assez ancienne, ont leur équivalent sur deux sites en Europe, l’un étant situé en Espagne et l’autre en Suisse. Huit heures après le tsunami, la centrale n’avait plus d’électricité pour faire fonctionner le système de refroidissement, ce qui a conduit à des explosions dans les réacteurs qui étaient en service. Et même dans le réacteur n°4, qui n’était pourtant pas en service, ce qui révèle, comme l’a souligné Peter Faross, que les risques potentiels ne sont pas à exclure au niveau des piscines de stockage des combustibles.

Parmi les conséquences énergétiques au Japon, on peut compter la fermeture d’une capacité nucléaire de l’ordre de 9,7 GW, la fermeture de 9,5 GW de capacité fossile, la perte de 30 % des capacités de raffinerie du pays, la perte de 3 % des réserves nationales en pétrole et des dommages massifs, d’ailleurs loin d’êtres réparés, sur une grande partie du réseau électrique japonais.

La classification de l’accident n’est pas un processus terminé, mais les autorités japonaises ont d’ores et déjà inscrit l’accident de Fukushima au niveau 7, qui est le plus haut et qui n’avait été atteint que par l’accident de Tchernobyl. Pour autant, précise le spécialiste de la Commission, les dimensions des deux accidents diffèrent grandement, les radiations émises à Fukushima représentant à peu près 10 % de celles relevées suite à la catastrophe de Tchernobyl.

Premières réactions de l’UE

Dans l’UE, les réactions n’ont pas tardé. Dès le 11 mars au soir, le centre Ecurie, système d’alerte basé en partie à Gasperich, s’est mis au travail, assurant la liaison entre tous les Etats membres et l’AIEA, collectant et transmettant les informations et les données collectées par les balises de mesure de la radioactivité situées dans toute l’UE. Aucun effet direct de l’accident n’a été relevé en Europe, seules les quelques balises atmosphériques ayant pu identifier une variation dans les mesures de radioactivité.

La Commission a ensuite mis en place, le 25 mars, un contrôle des importations de denrées alimentaires et d’aliments pour animaux, réajustant à la baisse quelques temps plus tard, le 11 avril, les valeurs limites fixées pour ces importations venues du Japon qui ne représentent qu’une part infime des denrées alimentaires consommées dans l’UE.

L’idée de stress-tests pour les 143 réacteurs de l’UE a émergé dès le lendemain du 11 mars

Sur le plan politique, Peter Faross indique aussi à quel point les réactions ont été rapides. Dès le lendemain, le commissaire en charge des questions énergétiques le contactait en effet pour que soit convoquée à Bruxelles le 15 mars 2011 une conférence à haut-niveau réunissant ministres, autorités de surveillance et industrie.

La Commission a alors présenté aux quelques 300 participants venus de toute l’Europe l’idée de "stress-tests" auxquels seraient soumis tous les réacteurs. Comme il n’existe pas de base légale au niveau communautaire pour ce faire, c’est sur une base volontaire que ces tests seront réalisés. Peter Faross relève les réactions positives Un midi de l'Europe consacré à l'énergie nucléaire le 27 avril 2011observées, et il s’est montré étonnamment surpris par la réaction des industriels qui ont reconnu que les standards actuels ne suffisaient pas, qui se sont montrés prêts à accepter des standards plus élevés et prêts aussi à participer à ces tests.

Le 21 mars, les ministres de l’Energie se rencontraient à l’occasion d’un Conseil extraordinaire dont les conclusions ont pu être confirmées par les chefs d’Etat et de gouvernement au cours du Conseil européen des 24 et 25 mars 2011. Il était notamment question de ces tests de sécurité "politiquement contraignants", comme les décrit Peter Faross, la commission étant chargée d’établir les critères pour ces tests et d’analyser le cadre réglementaire européen relatif à la sûreté nucléaire pour mesurer s’il est toujours satisfaisant. Il s’agira aussi d’avancer au plus vite pour que la révision prévue de la directive de 2009, dont l’entrée en vigueur est prévue pour 2011, avance rapidement.

Le 12 mai 2011, une réunion plénière est prévue avec les autorités nationales de surveillance pour valider les critères qui seront retenus pour les tests de sécurité. Une première ébauche est déjà sur la table.

Comme l’a expliqué Peter Faross, les exploitants des 143 réacteurs en service dans quatorze pays de l’UE recevront un questionnaire détaillé et mèneront eux-mêmes l’analyse de la sécurité de leurs équipements en fonction des critères données. Il s’agirait notamment d’évaluer les risques et dispositifs existant en cas de situations extrêmes, comme des cas de tsunami ou d’inondations. Car comme le rappelle Peter Faross, 39 % des centrales nucléaires européennes se trouvent en bordure de mer. Et le risque de tsunami existe en Europe, comme en témoigne la dévastation de Messine au début du 20ème siècle. "Mais nous avons parfois la mémoire courte", relève Peter Faross. Ces tests viseraient à analyser par exemple ce qui se passerait en cas de coupure d’électricité, ou encore de blocage du système de refroidissement, quelles qu’en soient les causes.

Les résultats de ces auto-évaluations menées par les opérateurs seront ensuite transmis à leurs autorités nationales de surveillances respectives, lesquelles devront rédiger un rapport national. Les rapports nationaux des quatorze Etats membres qui produisent de l’énergie nucléaire dans l’UE seront soumis à un "peer-review" de la part des experts des différents pays et seront envoyés à la Commission. Un Conseil européen consacré à la question est ensuite prévu pour le 9 décembre 2011 et devrait tirer les conséquences de ces tests de sécurité.

Claude Turmes, présent dans l’assistance, propose une autre interprétation des faits…

Pour l’eurodéputé luxembourgeois Claude Turmes (Verts/ALE), qui était dans l’assistance, Peter Faross a présenté une version des faits que l’écologiste a tenu à compléter de quelques commentaires. Ainsi, au sujet de la rencontre du 15 mars, Claude Turmes s’est étonné que l’industrie ait été invitée par la Commission alors qu’organisations indépendantes et ONG étaient absentes de cette conférence réunie en urgence.

Ensuite, sur le Conseil Energie du 21 mars 2011, le parlementaire a rappelé que les débats avaient été très vifs et que deux pays qui comptent un grand nombre de réacteurs, la France et le Royaume-Uni, ont fait leur maximum pour que les tests ne portent que sur les risques liés à des phénomènes naturels. Et Claude Turmes de mettre en garde car selon lui, ces deux pays ne manqueront pas de faire le nécessaire pour que seuls ces types de risques soient soumis aux tests de sécurité.

Si beaucoup de questions restent encore ouvertes concernant ces tests, Peter Faross a rappelé cependant que le commissaire Oettinger avait exprimé le vœu, devant le Parlement européen, de simuler toutes sortes de simulation extrêmes, et il souhaiterait donc inclure dans les scénarios qui seront analysés les conséquences que pourraient avoir attaques terroristes, cyber-attaques ou catastrophes aériennes. D’autres questions restent ouvertes comme l’a relevé Peter Faross au cours du débat : les réacteurs utilisés à des fins de recherche, y compris dans des pays où la production d’énergie nucléaire est interdite, comme l’Autriche, seront-ils pris en compte ? Qu’en sera-t-il des sites de stockage des combustibles ?

Quant au cadre réglementaire que la Commission entend examiner, Claude Turmes le trouve très faible. La proposition de directive faite par la Commission, et qui a abouti à la directive de 2009, était déjà faible à ses yeux, et elle a été encore affaiblie par les Etats membres. Résultat : il n’y a pas de base légale pour réaliser des tests de sécurité par exemple.

Sortir du nucléaire est-il nécessaire et possible en Europe ?

Le débat a tourné notamment autour de la question d’une possible sortie du nucléaire.

Une telle question pourrait-elle faire l’objet d’une initiative citoyenne ? A cette question venue du public, Peter Faross a répondu, à titre personnel, qu’elle pourrait être "éligible". Mais, a-t-il précisé, le nucléaire relève du traité Euratom, qui a "un certain âge". De là à savoir si "la volonté des citoyens", qui est désormais inscrite dans les traités, pourrait primer sur la volonté des Etats membres, Peter Faross s’est montré prudent. Car selon le traité de Lisbonne, la Commission doit réagir à toute initiative citoyenne par une proposition, mais la décision revient en fin de compte aux Etats membres et au Parlement européen.

Est-il nécessaire de sortir du nucléaire ? Pour un des membres de l’assistance, "la panique et la démagogie" qui font suite à cette catastrophe sont "injustifiées", comme en témoignent selon lui "soixante ans de production d’énergie nucléaire sans incident majeur", en dehors de circonstances "liées à des événements extraordinaires, qui n’ont pas de raison de se répéter". Sur les risques, les avis sont partagés, semble-t-il. Pour Peter Faross, aucune technologie énergétique n’est "sans risque", ce qui n’a pas manqué de faire bondir Claude Turmes, irrité à l’idée que l’on puisse comparer l’énergie nucléaire au photovoltaïque…

Ceux qui proposent de sortir du nucléaire sont-ils prêts à vivre avec les conséquences que cela impliquerait ? Peter Faross admet que pour certains Etats, la question est particulièrement difficile, à l’exemple de la France dont 80 % de l’électricité consommée provient du nucléaire. Pour un tel pays, il serait donc difficile d’envisager une sortie du nucléaire à court terme, selon Peter Faross. Ce qui n’est pas sans conséquence au niveau européen, d’autant plus que "sortir du nucléaire" est une décision qui relève exclusivement de la responsabilité des gouvernements nationaux.

Dans les travaux menés pour élaborer le Roadmap 2050 sur lequel planche la Commission européenne, plusieurs scénarios sont envisagés pour définir un avenir énergétique européen pour 2050. Certains misent sur 100 % d’énergies renouvelables, d’autres sur des mix énergétiques. Tout dépend en fin de compte du prix que le citoyen serait prêt à payer pour un futur 100 % renouvelable. Car, comme l’indique Peter Faross, ce serait possible techniquement, mais cela aurait des conséquences importantes en termes de systèmes de transmission de l’électricité ou encore de systèmes de stockage qu’il conviendrait de renouveler. Claude Turmes a une interprétation un peu différente des scénarios existants, tous montrant selon lui que, sur le long terme, un avenir sans nucléaire et 100 % renouvelable est possible pour des coûts similaires.