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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Justice, liberté, sécurité et immigration - Traités et Affaires institutionnelles
L'Europe au cœur des débats lors d’une réunion commune de la Chambre des Députés, du Parlement européen et de la Commission européenne
12-03-2012


Députés européens et de la Chambre, lors de la réunion commune avec la commissaire Viviane Reding, le 12 mars 2012 à LuxembourgLa Commission des Affaires étrangères et la Commission juridique de la Chambre des Députés ont tenu le 12 mars 2012 une réunion de travail commune à la Maison de l'Europe avec des membres luxembourgeois du Parlement européen et Viviane Reding, la vice-présidente de la Commission européenne en charge de la Justice, des Droits fondamentaux et de la Citoyenneté. Cette réunion commune était censée, comme un exercice similaire en 2011, "illustrer la volonté d'un dialogue renforcé entre les entités nationales et européennes tels que prévu par le traité de Lisbonne". Parmi les thèmes abordés figuraient la relation entre réformes judiciaires et croissance en Europe, la nécessité de règles européennes dans le droit commercial, un futur Parquet européen, les divorces de couples internationaux ou la succession, les normes minimales de procédure pénale dans l’UE, ACTA, les droits des individus et des entreprises face aux règles de protection des données, les relations complexes entre droit européen et droit national, la question de la subsidiarité ou encore les quotas des femmes dans les instances dirigeantes de l’économie privée.      

Pour Viviane Reding, cette rencontre avec des représentants d’un parlement national n’a plus rien d’exceptionnel depuis que le traité de Lisbonne exige une implication plus forte de ces parlements dans le processus de décision européen. Nouvelle est par contre le département de la justice, dont elle a la charge depuis que l’UE, et donc la Commission, ont reçu avec ce traité de nouvelles compétences dans ce domaine.

Justice et croissance

Viviane Reding est convaincue que les dossiers de la justice et la croissance sont liées, non pas forcément par le levier de nouvelles législations, mais aussi par des coopérations comme celle qui existe entre ses services et ceux du commissaire aux affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, pour aider les Etats membres à réformer leurs systèmes judiciaires, afin que la sécurité juridique, indispensable et propice aux investissements, règne partout dans l’UE. A titre d’exemple, elle a cité la mise en place d’un cadastre moderne en Grèce, chose qui manquait et rendait toute grande démarche foncière aléatoire. "Tout cela n’est pas spectaculaire et fera l’objet d’une conférence, mais ça doit fonctionner", a lancé Viviane Reding.

La protection des données personnelles

Autre cheval de bataille de la commissaire : la protection des données personnelles, un dossier sur lequel le droit européen doit être réformé, parce qu’il ne correspond plus aux réalités. La Commission européenne a proposé le 25 janvier 2012 une réforme globale des règles adoptées par l’UE en 1995 en matière de protection des données afin de renforcer les droits en matière de respect de la vie privée dans l’environnement en ligne et de donner un coup d’accélérateur à l’économie numérique européenne. 27 règles différentes et souvent contradictoires, une pour chaque Etat membre, ce ne sont que des barrières coûteuses dans le cadre du marché intérieur. "Il faut une règle pour un continent", pense la commissaire.

Il faut aussi un régulateur, mais pas un régulateur central, car pour cela les régulateurs nationaux connaissent trop bien leur propre territoire. Avec une règle commune, les régulateurs nationaux recevraient aussi plus de moyens pour surveiller et agir, notamment en pouvant infliger des sanctions financières pouvant aller jusqu’à 2 % du chiffre d’affaires global d’une entreprise internationale. Les économies envisagées avec un tel système pourraient être de l’ordre de 3,5 milliards d’euros. L’individu ne serait pas oublié dans cette réforme, avec le principe que les données personnelles à son sujet lui appartiennent, qu’il a le droit à l’oubli et qu’il doit être informé en cas de modification des données à son sujet.

Viviane Reding et Laurent Mosar, président de la Chambre des députés, le 12 mars 2012 à LuxembourgSuite à une question du président de la Chambre des députés, Laurent Mosar, Viviane Reding a expliqué qu’avec ces nouvelles règles, l’on éviterait aussi des affaires comme celle de l’étudiant autrichien Max Schrems, qui, pour savoir ce qu’il en était advenu de ses données privées sur Facebook, a dû s’adresser au régulateur irlandais, compétent pour Facebook. Avec les nouvelles règles, l’étudiant autrichien pourra d’emblée s’adresser au régulateur autrichien, qui agissant selon les mêmes règles que son homologue irlandais, s’adressera à ce dernier pour que le cas soit résolu sur la base de la même règle de droit. Les grandes firmes n’auront plus la possibilité de se réfugier dans certaines niches légales et pourront se voir adresser des sanctions sévères.

Répondant au député Marc Angel (LSAP), elle a aussi confirmé que le droit à l’oubli sur Internet était une chose techniquement possible. "Mais jamais", a-t-elle raconté, "les lobbies n’ont été aussi actifs pour me freiner sur une proposition. Mais je suis sorti avec notre proposition le 25 janvier, et elle a conduit le président Obama à reprendre un certain nombre de nos idées dans un livre blanc."

Gilles Roth (CSV) a demandé comment la question de la protection des données à caractère personnel s’appliquait aux autorités publiques. Aux yeux de la commissaire, la question se pose autrement quand elle est envisagée dans le cadre de la coopération policière ou judiciaire, des domaines qui touchent à la politique de sécurité, à la souveraineté nationale, donc à des domaines où le respect strict de la règle de subsidiarité est de mise. Ici, la Commission préfère intervenir avec des propositions de directive plutôt que de règlement, dans la mesure où une transposition de directive dans le droit national donne à l’Etat membre des marges d’interprétation.  

Droit de la vente

En octobre 2011, Viviane Reding a aussi lancé l’idée, avec l’appui des Etats membres et du Parlement européen, d’un nouveau droit commun européen de la vente a caractère facultatif, qui devrait suivre "une logique similaire" que la réforme de la protection des données. Aujourd’hui, un exportateur doit connaître et tenir compte des différentes lois en vigueur dans chaque Etat membre, et les consommateurs ne peuvent pas commander – par exemple dans le cadre du e-commerce -  toutes les marchandises dans tous les Etats membres de l’UE qu’ils désirent à cause des barrières à l’exportation. Sa proposition devrait contribuer à éliminer ces barrières tout en assurant aux consommateurs un choix plus vaste et un niveau de protection élevé. La perspective d’une telle législation serait aussi "une marque de qualité UE".

ACTA

Viviane Reding a félicité la Chambre des députés, qui a rejeté le 7 mars 2012 une motion des Verts qui invitait le gouvernement à "se retirer officiellement du traité ACTA" et à "faire les démarches nécessaires pour arriver à un abandon d’ACTA au niveau de l’UE", parce qu’elle a été "un des rares parlements nationaux à être allés à contre-courant de leurs opinions publiques". Elle a expliqué qu’ACTA a été négocié par la Commission pour l’UE et par les Etats membres également. Il y a eu plusieurs débats dans les institutions européennes, et rien ne s’est passé à huis clos. Son avis personnel est que l’affaire est venue à faire la Une des médias et des mouvements de protestation des jeunes après que les Etats-Unis ont poussé les projets de lois SOPA (Stop Online Piracy Act) et PIPA (PROTECT-IP Act) qui sanctionnent fortement les téléchargements illégaux, "ce qui a fait sortir de ses gonds la communauté Internet". Pour la Commission européenne, rien dans ACTA n’est contraire au droit européen et à la liberté Internet. Mais comme au stade actuel, le Parlement ne voterait sûrement pas l’accord, ACTA "serait coulé définitivement" si l’on passait au vote. D’autre part, comme ACTA est un traité international, il est aussi difficilement prévisible de savoir comment les Etats membres vont voter individuellement, "mais ça risque d’aller dans tous les sens". C’est pourquoi la Commission, pour être sûre qu’ACTA ne soit pas en contradiction avec le droit européen et les droits fondamentaux, va poser une question préjudicielle à la CJUE. S’il devait s’avérer que cela est le cas, ACTA devra être renégocié.

Viviane Reding a admis que l’équilibre entre la liberté de communication et le droit à la propriété intellectuelle n’est pas encore résolu avec ACTA. D’où la nécessité de réformer le droit d’auteur. Mais quoiqu’il advienne, aucune réforme ne peut conduire au blocage d’Internet. "Cela, on le laisse à l’Iran et à ses semblables", a conclu la commissaire.      

Pour le député européen Charles Goerens, ACTA contient des dispositions très vagues. D’autre part, "jamais, depuis mai 1968, les jeunes se sont dressés autant contre la politique des générations plus anciennes". D’accord pour dire que certaines dispositions sont effectivement vagues, mais que négocier un protocole interprétatif, ce serait comme renégocier l’ensemble de l’accord, Viviane Reding a déclaré que le problème de base de ce qui se passe est tout autre. Sa thèse : "Les nouvelles générations fonctionnent autrement que nous. Il ne suffit pas de leur dire que nous avons fait notre travail. Elles ont un problème avec notre manière de fonctionner dans le cadre des institutions. Ce n’est pas eux qui doivent s’adapter à nous, mais nous à eux". D’où une initiative qui sera lancée le 9 mai 2012 par la Commission et qui s’adressera aux jeunes et à la communauté Internet par une consultation portant sur la question : "Quelle est l’Europe que vous voulez et à laquelle vous voulez participer ?"

Autres dossiers

Les autres dossiers évoqués par la commissaire étaient la saisie conservatoire des comptes bancaires, des règles européennes sur l’insolvabilité des entreprises, qui permettraient aux entreprises d’obtenir une deuxième chance plutôt que d’être démantelées, les droits patrimoniaux des 16 millions de couples internationaux en Europe, un dossier qui sera traité dans la semaine par le Parlement européen, où il s’agit de définir quel droit est compétent pour régler les questions de succession (pays de la dernière résidence habituelle ou pays défini par le ou les défunts), et la réglementation des divorces de couples internationaux dans le cadre de la coopération renforcée entre 14 Etats membres, dont le Luxembourg, ou les quotas des femmes dans les organes dirigeants de l'économie.

Viviane Reding a profité d’une question sur la proposition de la Commission sur des normes minimales à respecter dans les Etats membres en cas de détention d’un citoyen de l’UE ( droit à la traduction, droit à l’information sur ses droits, droit à un avocat pour sa défense pour expliquer que ces normes sont dorénavant promues par la Commission parce qu’avant le traité de Lisbonne, elles ne faisaient pas partie des compétences de l’UE. Ces normes ont d’ores et déjà fait partie des exigences à l’égard d’un pays-candidat comme la Croatie, "qui n’avait pas de justice et qui a été forcée d’en mettre en place une avant que je ne signe le chapitre 23 des négociations d’élargissement", a-t-elle ajouté, précisant que la Bulgarie et la Roumanie son sur ce chapitre toujours sous observation.  

Le projet lancé par la Commission en mai 2011 visant à créer progressivement un parquet européen, chargé d’abord d’opérer contre les atteintes aux intérêts économiques et financiers de l’UE a entraîné quelques explications de la commissaire. Il s’agit simplement d’un projet, parce que le droit pénal est un droit régalien qui relève de la souveraineté nationale. Il s’agit donc d’arriver à une définition commune de ce qu’est un crime, car cela diffère de pays à pays. D’autre part, un tel parquet ne peut vivre que de la coopération entre les procureurs nationaux qui doit encore entrer dans les mœurs. Eurojust y travaille. Il n’est pas encore clair si la création d’un parquet européen passera par un renforcement d’Eurojust, qui a son siège à La Haye, ou par un parquet européen avec des compétences restreintes qui relèverait de la CJUE, qui a son siège à Luxembourg.

Quant à tous les projets de la Commission qui ont trait au droit de la famille, Viviane Reding a précisé que la Commission évitait d’évoquer des statuts familiaux précis, qui sont réglés par le droit national. La Commission veut par contre veiller à ce que les droits de toute forme de famille (mariage hétérosexuel, mariage homosexuel, PACS et unions similaires) soit respecté dans des situations transfrontalières difficiles. "Mais ce qui est dit simplement est très difficile dans la pratique", a-t-elle conclu.