Les trois députés européens du CSV, Astrid Lulling, Georges Bach et leur président Frank Engel ont dressé le 22 mars 2013 un bilan de leurs activités et des grands dossiers européens depuis la rentrée en automne 2012. Le cadre financier pluriannuel 2014-2020, la crise financière à Chypre et son impact indirect sur le secteur financier de Luxembourg, la coopération renforcée sur la taxe sur les transactions financières (TTF), les directives marchés publics et concessions et la question de la privatisation de l’approvisionnement en eau, le 4e paquet ferroviaire et son impact sur la CFL, l’impact social de la politique d’austérité sur le lien entre citoyens et UE, ont été quelques-uns des sujets abordés sur le ton d’une franchise radicale et d’une inquiétude profonde par les eurodéputés chrétiens-sociaux luxembourgeois.
Frank Engel a réitéré son message sur le CFP tel qu’il a été décidé par le Conseil européen et refusé par la position du Parlement européen avant les négociations. Il est inacceptable sous la forme actuelle, avec ses réductions budgétaires qui mettent l’UE dans une situation de déficit, ce que les traités européens interdisent. Il ne suffira pas non plus à financer de grandes décisions nouvelles, comme la garantie pour les jeunes. Pour Frank Engel, les membres du Conseil européen sont des "rêveurs" qui "n’ont pas compris le bien commun de l’Europe". Sous cette forme, le Parlement européen ne pourra jamais accepter le CFP 2014-2020.
Georges Bach a quant à lui exprimé son désarroi vis-à-vis des décisions du Conseil européen sur le CFP. En 2014, il sera selon lui "difficile d’expliquer aux citoyens au cours de la campagne électorale quelle UE nous voulons". Il s’agira plutôt de "recoller les morceaux de ce qui a été cassé ces derniers quatre ans". La politique d’austérité qui est menée depuis 2010 "n’est pas acceptée par les citoyens". Ce qui le pousse à vouloir dire à Herman Van Rompuy que la dimension sociale est très importante dans la construction de l’Union économique et monétaire qu’il envisage et qu’il faut préserver les transferts sociaux qui empêchent des millions d’Européens de tomber dans la pauvreté. Pour lui, le chômage des jeunes est une question dramatique qui produit une "génération sans rêves" qui vogue de stages en petits boulots, de sorte que les 6 milliards d’euros prévus pour les jeunes sur 7 ans sont pour lui "une blague" et que cela est "insupportable". Tout cela, comme aussi la difficulté d’expliquer cette chose complexe qu’est la politique européenne aux citoyens, fait que de plus en plus de marges de manœuvre sont offertes aux populistes.
Frank Engel a qualifié les décisions de l’Eurogroupe sur Chypre du 15 mars 2013 de "hold-up sur les comptes" ("Konteklau" dans le texte). L’idée d’un prélèvement sur les dépôts bancaires a détruit selon lui la confiance des Européens dans leurs systèmes bancaires, et le risque est pour lui réel que le mardi 26 mars, l’on assiste à une ruée sur les banques. Pourtant, estime-t-il, il ne s’agit "que d’un accord sur, en fin de compte, 17 milliards d’euro, donc l’équivalent d’un budget luxembourgeois gonflé". Pour l’eurodéputé, la troïka BCE-FMI-Commission "a fait sn temps", car elle a déclenché "une misère totale pour presqu’une centaine de millions de citoyens européens". Il a été particulièrement dur vis-à-vis du FMI qui "co-décide, alors qu’il n’est pas prêt à mettre plus d’un milliard d’euros dans la corbeille". Il estime également que les Grecs vont finir par se poser la question pourquoi ils n’ont pas dit "non" à la troïka et à l’Eurogroupe.
Astrid Lulling a de son côté rectifié le tir par rapport à la crainte qui se répand dans l’opinion publique que la garantie des dépôts bancaires dans l’UE à concurrence de 100 000 euros ait été levée par les prélèvements prévus dans le premier accord avec Chypre. Cet accord prévoyait une sorte de taxe, ce qui n’entame en rien la garantie des dépôts, et c’est le gouvernement chypriote qui avait refusé d’exclure les petits épargnants, craignant que taxer seulement les gros comptes ferait fuir les capitaux de l’île.
Astrid Lulling s’inquiète néanmoins beaucoup plus de la partie de l’accord qui a enjoint aux Chypriotes de réduire leur secteur financier, au vu de l’argument que les dépôts étaient huit fois supérieurs au PIB annuel. Or, cet argument peut être retourné contre le Luxembourg, où les dépôts équivalent à dix-sept fois le PIB, et si les fonds d’investissement sont inclus, à 68 fois le PIB. Or, la différence, c’est que le modèle d’affaires chypriote n’est pas durable, alors que celui du Luxembourg l’est.
Frank Engel a argué dans le même sens, en insistant sur le fait qu’il n’appartient pas à l’Eurogroupe de prescrire à un Etat membre de réduire ou d’augmenter la part de tel ou tel secteur économique dans son PIB. Dans cette logique, Luxembourg peut être le prochain Etat membre visé. La seule chose qui aurait été acceptable eût été que l’Eurogroupe propose à Chypre de prendre des mesures pour rendre son secteur financier plus durable.
Après tout cela, Frank Engel n’a pas été étonné que les Chypriotes aient d’une certaine manière "envoyé l’UE au diable". Répondant à une question sur ce qui peut donc encore servir de liant dans cette Europe, Frank Engel a expliqué que l’atmosphère qui règne depuis la crise grecque, le ton adopté vis-à-vis des pays du Sud et maintenant vis-à-vis de Chypre, le font penser à l’atmosphère en 1987-1990 en Yougoslavie, alors soumise à des tiraillements nationalistes croissants. C’était "un pays qui avait 70 ans et que l’on croyait éternel" et deux ans après, ce furent les guerres que l’on connaît. Et de dire qu’il a cru percevoir quelque chose de semblable dans le nationalisme Nord versus Sud, la veille durant une discussion à laquelle il a participé, patent chez l’ancien banquier allemand et partisan de la sortie de l’Allemagne de la zone euro, Alfred Steinherr, et comme le nationalisme mène à la guerre, il craint lui-même qu’un jour, une guerre soit de nouveau possible en Europe.
C’est Astrid Lulling qui a lancé une charge contre la proposition du commissaire européen Algirdas Semeta qui servirait de base légale à la coopération renforcée sur une TTF. Il s’agit d’une "catastrophe", parce qu’elle pénalise les clients et comporte une dimension extraterritoriale qui aura de facto des répercussions sur la place financière de Luxembourg. Le Luxembourg aurait selon elle mieux fait de participer à la coopération renforcée, alors que son refus de participer le maintient en dehors des délibérations. L’eurodéputée a estimé que l’industrie des fonds est "ce qui nous reste" et rappelé qu’elle est la plus forte source d’emplois et de recettes fiscales. Or, avec la TTF et ses répercussions sur la place financière, le risque d’une délocalisation en masse pointe d’autant plus son nez qu’au Parlement européen, une forte majorité est pour.
C’est Frank Engel, responsable du dossier pour son groupe politique au Parlement européen, le PPE, qui a tenu à démentir que les directives "marchés publics" et "concessions" illustreraient la volonté de l’UE de privatiser l’approvisionnement en eau, et ce malgré les polémiques lancées par l’eurodéputé vert Claude Turmes et le député vert François Bausch. Pour Frank Engel, ces deux directives ne visent qu’à réglementer les choses au niveau de l’UE au cas où par exemple l’approvisionnement en eau serait cédé par les autorités publiques à des opérateurs privés. Mais l’UE ne veut pas encourager la privatisation, elle veut seulement que cela se fasse selon des règles clairement établies. Au Luxembourg, l’eau est dans les mains du secteur public. Aucun parti, aucune force vive ne veut changer cet état des choses. Pour lui-même et son parti, "l’eau est un bien qu’on ne privatise pas". Le problème se pose quand l’opérateur est une entreprise communale du type "Stadtwerke" allemandes ou autrichiennes, qui sont aussi activés dans d’autres secteurs, et qui poursuivent avec des coactionnaires issus du secteur privé des activités à but lucratif. Les entreprises communales de ce type devront à la fois changer de structure de bilan et de structure interne.
C’est à Georges Bach qu’il revenait d’aborder la question du 4e paquet ferroviaire dont il a salué de nouveau le volet technique tout en condamnant le volet entreprise qui prévoit la séparation stricte entre le gestionnaire des infrastructures du réseau et le ou les transporteurs tout comme l’obligation pour les compagnies de renoncer aux pratiques d’attributions directes de marchés et de lancer pour chaque marché des appels d’offre européens. Ce paquet risque de "créer des misères pour le Luxembourg", pense-t-il et va rendre les transports publics beaucoup plus coûteux et donc chers pour le public. La Commission ignore complètement le principe de subsidiarité, regrette-t-il. Il a salué l’avis motivé adopté à l’unanimité la veille par la Chambre des députés lors de l’examen de la proposition de la Commission à l’épreuve de la subsidiarité et qui est très critique. Mais il doute que le quorum de 11 parlements nationaux s’exprimant de la même manière puisse être atteint pour obliger la Commission à revoir sa copie, d’autant plus que le Bundestag, pourtant très intéressé, a raté le coche. Au Parlement européen, l’on veut séparer les volets technique et entreprise du paquet, ce que la Commission refuse obstinément, mais le Conseil travaille entretemps également dans ce sens.