Le 9 avril 2013, lors d’une heure d’actualité à l’instigation du DP, les députés luxembourgeois ont débattu, suite aux inquiétudes suscitées par les modifications constitutionnelles entreprises par le pouvoir hongrois au début du mois de mars, des moyens de sanctions à disposition de l’Union européenne contre des Etats membres qui ne respecteraient pas ses valeurs fondamentales. La Chambre des députés a ensuite adopté à main levée une résolution qui fait part au parlement hongrois de son inquiétude et une motion qui enjoint le gouvernement luxembourgeois à intervenir sur la scène européenne pour défendre la création de nouveaux moyens de sanctions. Cette heure d’actualité intervenait huit jours avant que le Parlement européen se saisisse à son tour de ce sujet.
Le parti libéral DP, instigateur du débat, voulait mettre en avant l’inefficacité du système de sanctions, prévues à l’article 7 du traité sur l’Union européenne (TFUE), dès lors qu’un Etat membre ne respecte pas les valeurs fondamentales de l’UE énoncées en son article 2, parmi lesquelles la démocratie et l’Etat de droit sont visés dans le cas hongrois. En pareil cas, il est prévu qu’un Etat membre puisse être privé de ses droits de vote au sein du Conseil. Le Conseil européen doit néanmoins statuer à l'unanimité sur proposition d'un tiers des États membres ou de la Commission européenne et après approbation du Parlement européen, quand il y a eu violation grave et "après avoir invité cet État membre à présenter toute observation en la matière". Le Conseil peut agir également de manière préventive en cas risque de violation grave mais doit alors statuer à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres.
Le député libéral Xavier Bettel a rappelé que l’inquiétude envers l’évolution politique de la Hongrie avait commencé au début de l’année 2010 avec l’introduction d’une loi qui permettait d’effectuer une pression sur les médias. Les modifications constitutionnelles de mars 2013 constituent la quatrième modification qui suscite les dénonciations. Cette fois, le parti FIDESZ, qui dispose des deux tiers des sièges du Parlement, retire à la Cour constitutionnelle une grande partie de ses pouvoirs, en l'empêchant de statuer sur le fond en cas de modification de la Constitution et de se référer à sa propre jurisprudence d'avant l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution le 1er janvier 2012 et réintroduit plusieurs dispositions annulées par la Cour constitutionnelle, telles la possibilité d'expulser les SDF des lieux publics pour des raisons d’ordre public, de sécurité ou de santé et l’interdiction de faire de la propagande électorale sur les chaînes de télévision privées. De même, il donne à l’administration judiciaire nationale le droit de charger le tribunal de son choix pour juger une affaire et des amendements
Xavier Bettel a estimé que l’article 7 du TFUE était trop complexe à mettre en œuvre, qu’il s’agissait d'"une procédure lourde" qu’il faudrait modifier. Rappelant que le 13 mars 2013, le président de la Commission européenne José Manuel Barroso et le secrétaire général du Conseil de l'Europe, Thorbjorn Jagland, avaient exprimé ensemble leurs préoccupations et qu’à leur suite, l’Allemagne, la Hollande et le Danemark ont adopté des textes exprimant leurs inquiétudes à la Hongrie, le député libéral a estimé que la Chambre des députés devait également protester. Il s’agit d’œuvrer à ce que les citoyens hongrois soient traités selon le droit européen, de faire respecter les valeurs fondamentales ainsi que les critères de Copenhague qui définissent les conditions pour l'accession à l'Union européenne de pays candidats. Xavier Bettel estime également que le gouvernement luxembourgeois doit "s’opposer à toute dérive avec une grande fermeté".
L’initiative du parti libéral a rencontré l’assentiment des différents partis et sensibilités politiques représentées à la Chambre, ainsi que celle du ministre des Affaires étrangères qui s’est exprimé, selon l’usage, à la fin de cette heure d’actualité.
Le député chrétien-social Félix Eischen, dont la formation est membre du Parti populaire européen dont fait partie le Fidesz hongrois, a exprimé la défiance du CSV vis-à-vis des derniers développements politiques en Hongrie. "L’Etat de droit nous oblige à dire : Ne faites pas cela ! Vous allez quitter la voie européenne."
Le député socialiste Ben Fayot, a fait remarquer qu’il est "partout en Europe reconnu que l’article 7 est difficilement applicable". La majorité requise de 4/5 des Etats membres pour constater un risque et de l’unanimité pour réagir à une violation effective en fait "un article impraticable qui ne peut pas être utilisé".
En l’absence de moyen juridique efficace, il y a néanmoins le "moyen politique" à disposition de la Commission et du conseil de l’Europe, consistant à négocier avec le gouvernement. Et s’il n’est pas suffisant, "les relations bilatérales et multilatérales" sont aussi un levier. Il est possible de formuler son désaccord, au Conseil des ministres, au Parlement européen et au sein de la Commission européenne.
Ben Fayot fait par ailleurs remarquer que le Fidesz est membre comme le CSV du Parti populaire européen. "Il est aussi de la responsabilité des partis populaires européens de leur dire que ce n’est pas acceptable", a-t-il, dit rappelant que "nous ne sommes pas seulement dans un marché intérieur mais dans un espace politique".
Enfin, Ben Fayot estime que tout pays membre de l’UE devrait respecter en permanence les règles qu’il doit observer pour obtenir son adhésion à l’UE.
Le député écologiste Felix Braz propose dans le même sens "un contrôle permanent post-adhésion" pour être en mesure d’effectuer une pression politique précoce. En Hongrie, "il y a déjà assez d’éléments sur la table pour une sanction maximale», sans que le pays n’ait encore atteint le stade le plus élevé de la négation des valeurs de l’UE. "Un pays qui muterait en dictature militaire pourrait rester membre de l’Union européenne mais ne disposerait uniquement plus de sa voix au Conseil", déplore Felix Braz.
Constatant que pour l’heure, "il y a beaucoup de critiques mais aussi beaucoup d’impuissance", il recommande donc la création d’une sorte de "conseil de la démocratie" qui aurait au passage pour vertu de mettre un terme aux conflits de compétences sur les droits de l’homme entre le Conseil de l’Europe et l’UE. Felix Braz fait d’ailleurs remarquer qu’une telle institution aurait déjà pu intervenir en Grèce où se manifestent des "tendances fascistes tout aussi intolérables". Le député a d’ailleurs rappelé que le gouvernement hongrois ne se distinguait pas seulement par ses initiatives législatives controversées mais aussi par ses attaques contre les minorités roms, juives et homosexuelles, et contre la liberté de la presse.
Disant partager les soucis de la Chambre, le député ADR Fernand Kartheiser a toutefois préféré lui tendre un miroir. "Quand on critique la Hongrie, il ne faut pas oublier de faire différents parallèles avec ce qui se passe ici dans le pays", a-t-il déclaré. Fernand Kartheiser a ainsi énuméré une série de décisions et de projets qui, à son goût, irait au Luxembourg dans le même sens que les initiatives hongroises. Le député ADR a cité la proposition du ministre Biltgen d’abolir la cour constitutionnelle pour la remplacer par la cour suprême qui suivrait une procédure plus compliquée. Il a évoqué le problème de l’inamovibilité des juges.
Sur la liberté de la presse, "nous ne sommes pas non plus dans une situation où nous sommes propres à 100 %", a-t-il dit. Fernand Kartheiser pense à ce sujet au projet d’institution d’une Autorité luxembourgeoise indépendante de l’audiovisuel qui aurait le pouvoir de retirer une concession. Il évoque également la loi du 19 juin 2012 sur l’égalité entre hommes et femmes, qui ferait du Luxembourg "le seul pays à s’attaquer au contenu de la presse" et qui avait été critiquée par le Conseil de presse.
Le député Déi Lénk, Serge Urbany, aura critiqué cette comparaison jugée douteuse entre le Luxembourg et la Hongrie. La situation en Hongrie est "extrêmement grave", dit-il, évoquant la bienveillance du FIDESZ vis-à-vis de positions favorables à l’ancien régime nazi.
Clôturant les débats, le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a d’abord mis en garde les députés sur la nécessité de"ne pas se concentrer uniquement sur les derniers pays qui sont rentrés dans l’UE". Il a évoqué "un des pays fondateurs où il existe une concentration terrible des médias", considérant qu’il y aurait lieu de s’occuper du problème au niveau européen. Il a pris soin de contester la comparaison entre le Luxembourg et la Hongrie.
Concernant les possibilités européennes de réagir, Jean Asselborn a mentionné les recours en manquements et les procédures en infraction déjà actuellement en cours concernant les modifications constitutionnelles passées. Il a souligné que la Commission et le Conseil de l’Europe scrutent actuellement toutes les dispositions de la constitution hongroise.
Il a aussi abordé d’autres décisions hongroises comme la volonté d’obliger les étudiants bénéficiaires d’une bourse d’études à ne pas quitter la Hongrie pendant quelques années se heurterait aux obligations en terme liberté de circulation des personnes.
A l’issue du débat, les députés ont adopté à main levée une résolution à l’attention du Parlement hongrois et une motion à l’intention du gouvernement luxembourgeois.
La résolution fait part au Parlement hongrois des "graves inquiétudes quant au respect des règles régissant un Etat de droit". Il est demandé aux élus " de se conformer aux recommandations, objections et demandes de la Commission européenne et du Conseil de l'Europe" et ainsi "de modifier les lois concernées en conséquence, dans le respect des valeurs fondamentales et des normes de l'Union européenne".
La motion note que le recours à l'article 7 du traité est "une procédure lourde". Elle demande au gouvernement d’intervenir "en faveur du respect des critères de Copenhague au sein des Etats déjà membres", l’invite "à s'opposer avec fermeté à toute dérive tendant à restreindre les libertés fondamentales dans les pays membres de l'Union européenne ou souhaitant y adhérer" et à "demander à la Commission européenne d'élaborer des mécanismes de prévention et de sanction garantissant le respect des critères de Copenhague".