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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Justice, liberté, sécurité et immigration
Dans un débat au Parlement européen sur la situation en Hongrie, Viktor Orbán maintient qu’il veut pouvoir débattre de la réintroduction de la peine de mort dans son pays et est fustigé par une majorité des eurodéputés
19-05-2015


Viktor Orban, Premier ministre de la Hongrie, lors du débat en séance plénière du Parlement européen sur la Hongrie le 19 mai 2015 (source: Parlement européen)La situation en Hongrie, à la suite des remarques du Premier ministre Viktor Orbán sur l'éventuelle réintégration de la peine de mort dans ce pays, ainsi qu’en raison de la consultation publique du gouvernement hongrois sur l'immigration, étaient au menu de la session plénière du Parlement européen, le 19 mai 2015. Ces sujets ont en effet fait l’objet d’un débat animé des députés européens, en présence du Premier ministre Orbán lui-même, du vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans et de la secrétaire d'Etat lettone aux Affaires européennes, Zanda Kalniņa-Lukaševica, représentant la Présidence du Conseil de l’UE.

Le contexte

Pour mémoire, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán (issu du parti conservateur Fidesz et membre du groupe PPE au niveau européen) a suscité une levée de boucliers dans l’Union européenne, le 28 avril 2015, en estimant devant la presse, en réaction au meurtre d’une employée de magasin, que la question de la peine de mort, abolie en 1990 en Hongrie tout juste sortie du communisme, devait "être remise à l'ordre du jour".

Il avait confirmé ses propos une semaine plus tard, indiquant sur la radio hongroise MTVA vouloir "influencer l’opinion publique européenne pour que la question d’une réintroduction de la peine de mort redevienne une compétence nationale". Tout en convenant que "l’interdiction de la peine de mort [était] inscrite dans les documents juridiques fondamentaux", il avait estimé "que tous les États membres devraient pouvoir décider par eux-mêmes". "Il n’y a aucune raison que tous les pays aient la même opinion sur cette question", avait-il encore dit.

Quelques jours plus tôt, le 24 avril 2015, Viktor Orbán avait par ailleurs annoncé, à la radio nationale, le lancement d’une "consultation" populaire en vue d'un durcissement de la législation sur les réfugiés, un domaine qui est pourtant du ressort de l’UE. Une annonce qui a été confirmée par un communiqué du gouvernement hongrois, précisant que la consultation débuterait dès le mois de mai pour se terminer le 1er juillet 2015.

De son côté, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avait réagi dès le 30 avril en menaçant le Premier ministre hongrois d’une "bataille" si l’intention de ce dernier était de réintroduire la peine de mort. "Je suis un opposant déterminé à la peine de mort, pour tellement de raisons", a-t-il ainsi affirmé lors d’un point presse en marge de la visite à Bruxelles de la présidente croate à Bruxelles. "La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne interdit la peine de mort, et M. Orbán devrait immédiatement dire clairement que ce n’est pas son intention, et si c’est son intention, il y aura une bataille", a ainsi martelé Jean-Claude Juncker.

Au Parlement européen également, la réaction ne s’était pas fait attendre. La conférence des présidents du Parlement, qui regroupe le président de l’institution, Martin Schulz, et les présidents des groupes politiques représentés dans l’hémicycle européen, avait annoncé avoir chargé la commission des libertés civiles du Parlement de se saisir en urgence du sujet. C’est donc dans ce contexte qu’étais organisé le débat du 19 mai au Parlement européen.

La Commission "n’hésitera pas à agir" en cas de mesures concrètes de la Hongrie

En introduction du débat, le vice-président de la Commission en charge des Droits fondamentaux, Frans Timmermans, a rappelé que la réintroduction de la peine de mort serait contraire aux valeurs fondamentales de l'UE car strictement interdite par l’article 2 de la Charte des droits fondamentaux. Elle mènerait en conséquence à l'application de l'article 7 du Traité sur l'Union européenne (TUE). Celui-ci prévoit que le Conseil européen peut "constater l'existence d'une violation grave et persistante par un État membre" des valeurs de l’UE et qu’il peut décider dans ce contexte "de suspendre certains des droits découlant de l'application des traités à l'État membre en question", notamment en le privant de ses droits de vote au sein du Conseil.

Toutefois, la Hongrie n'a pas de "plans concrets" pour réintroduire la peine de mort, a convenu Frans Timmermans. "La Commission a appris que le gouvernement hongrois n'avait pas de plans concrets en vue de prendre quelque mesure que ce soit pour introduire la peine de mort, et en effet, le Premier ministre Orbán a assuré au Président Schulz que le gouvernement hongrois respectera et honorera tous les traités et la législation européennes", a-t-il déclaré. Mais le vice-président de prévenir que si des mesures concrètes devaient être prises en ce sens, ce qui serait "incompatible avec l’appartenance à l’UE", la Commission européenne "n'hésiterait pas à agir".

Concernant la consultation publique sur l'immigration, Frans Timmermans a rappelé que, si de manière générale, la Commission soutenait les processus de consultation publique, une telle consultation " basée sur des questions biaisées, orientées, voire trompeuses [ainsi que] sur des préjugés sur les immigrants peut difficilement être considéré comme une base juste et objective pour élaborer des politiques rationnelles". "Cadrer l’immigration dans le contexte du terrorisme, représenter les migrants comme une menace pour l'emploi et les moyens de subsistance des personnes, est malveillant et tout simplement faux", a-t-il encore estimé, jugeant que cela ne ferait "que nourrir des idées fausses et des préjugés".

Les groupes politiques du Parlement européen critiquent majoritairement les déclarations de Viktor Orbán

Pour ce qui est des députés, c’est le groupe PPE qui a ouvert les débats par la voix de son président, l’eurodéputé allemand Manfred Weber a estimé que toute discussion sur la réintroduction de la peine de mort était "dangereuse" et "dommageable" et il a remercié Viktor Orbán d’avoir clarifié que cela ne serait pas le cas. Cité sur le site de la chaîne d’information Euronews, il s’est voulu plus précis : "Viktor Orbán a clarifié le fait qu’il n’y avait pas de débat et pas d’initiative législative sur la peine de mort, et donc, il n’y a plus de problème". Quant à la consultation sur l'immigration, l’eurodéputé PPE a précisé que, s'il est bon de demander son avis au public, "les mots utilisés créent une atmosphère que nous n’aimons pas dans notre groupe".

Le chef de file du groupe S&D, l’eurodéputé italien Gianni Pittella a de son côté considéré que la gravité des déclarations du Premier ministre Orbán ne devait pas être sous-estimée et que ses "provocations continues [avaient] dépassé toutes les limites de la décence". Evoquant des "armes de distraction massive", l’eurodéputé S&D a encore jugé que la vraie question en jeu ici n’était pas celle d’une attaque contre la démocratie : "En Hongrie la vraie question c'est la façon dont on vide la démocratie de son sens, une démocratie qui ne serait qu'une coquille vide", a-t-il dénoncé.

Du côté du groupe ECR, l’eurodéputé britannique Timothy Kirkhope a exprimé des doutes quant à savoir si le débat était nécessaire. "Un État membre a le droit de discuter de questions importantes. Nous sommes les partenaires les uns des autres, et non pas les gardiens des uns et des autres", a-t-il dit. "Ce débat peut être travesti en une discussion sur les droits fondamentaux, mais c'est en fait une opportunité pour une joute politique qui ne fait de bien à personne", a-t-il ajouté, notant que l'électorat en Hongrie a approuvé son chef de file.

La Néerlandaise Sophie In't Veld, vice-présidente de l’ALDE a pour sa part jugé qu’il n’y avait "pas de place" pour la peine de mort en Europe ou "nulle part ailleurs dans le monde". Elle a par ailleurs demandé à la Commission de vérifier la légalité du questionnaire hongrois sur l'immigration.

"Ce n'est pas un débat gauche-droite, il s'agit d'un discours de haine contre les migrants, les Roms, et sur la peine de mort", a de son côté déclaré l’eurodéputée française Marie-Christine Vergiat pour le groupe de la GUE/NGL. "Jusqu'où permettrons-nous à la Hongrie d'aller avant que nous n'agissions?" a-t-elle interrogé ajoutant que l'article 7 du TUE n'était qu'"un leurre qui ne fonctionne pas réellement".

L’eurodéputée allemande Rebecca Harms, co-présidente des Verts/ALE a souligné de son côté que la formulation utilisée par le gouvernement hongrois dans le questionnaire sur l'immigration n’était "tout simplement pas sérieuse" mais qu’elle contribuait néanmoins "à faire monter la haine contre un groupe de personnes".

Parlant pour le groupe EFDD, l’eurodéputée italienne Laura Ferrara a qualifié la consultation publique en Hongrie de "choquante, car elle nourrit les préjugés contre les migrants". Elle a également plaidé en faveur de la surveillance du respect des droits fondamentaux dans les pays de l'UE non seulement avant, mais aussi après leur adhésion à l'UE.

L’eurodéputé Zoltán Balczó, membre du parti d’opposition hongrois d’extrême droite Jobbik qui plaide pour la réintroduction de la peine capitale en Hongrie, et affilié aux Non-Inscrits au Parlement européen, s'est demandé si le débat public sur l'immigration était "un sujet tabou". "Vous ici au Parlement souhaitez définir même ce dont nous pouvons parler. Je vous rassure: le gouvernement Orbán est pleinement sur la voie définie par le traité de Lisbonne, et il se conforme à vos attentes, en dépit de sa rhétorique", a-t-il notamment dit.

Viktor Orbán "veut pouvoir parler de peine de mort"

De son côté, Viktor Orbán, qui s’exprimait après les leaders des groupes politiques qui l’ont tous bousculé, à l'exception du PPE et de l'ECR, a maintenu sa position, en justifiant de la liberté d’expression et de débat.

 "La Hongrie est l'État membre qui a été examiné le plus souvent en matière d'État de droit: ordre public et immigration sont des thèmes très importants d'un intérêt commun pour nous tous. Les Hongrois vont droit au but lorsqu'ils parlent de sujets difficiles. Lorsque nous parlons de peine de mort, d'immigration, nous sommes francs et nous pensons que le politiquement correct n'a pas sa place. Nous voulons être francs quand nous voulons dire que l'Europe reste le continent des Européens et la Hongrie le pays des Hongrois", a-t-il ainsi déclaré.

Et de poursuivre : "Nous ne devons pas nous voiler la face. Il ne s'agit pas ici de la peine de mort, mais de la liberté d'expression. Nous devrions pouvoir parler de la peine de mort. Il s'agit de règles créées par l'homme et pas par Dieu, l'homme peut les modifier. […] Nous sommes pour la liberté de pensée, et nous allons nous battre pour ça".

Sur l'immigration, le Premier ministre s’en est pris à la récente proposition de la Commission pour résoudre la crise migratoire en Méditerranée. "Nous devons faire la distinction entre la libre circulation et l'immigration, entre les migrants pour des raisons économiques et les demandeurs d'asile. Malheureusement en Hongrie, nous ne pouvons pas donner d'emploi à tous ces immigrés. La Hongrie a toutes les raisons d'agir. La proposition de la Commission est absurde, à la limite de la folie. Nous pensons que cela est très dangereux", a-t-il expliqué.

"L'immigration est un défi de masse. Par rapport à 2010, l'immigration a été multipliée par trois, par vingt, si nous prenons en compte l'immigration clandestine. Les États membres doivent pouvoir protéger leurs frontières. Les quotas ne feront qu'amener davantage de personnes en Europe. C'est une mesure incitative pour les trafiquants et les passeurs, je pense qu'il faut qu'on laisse aux États membres la décision de choisir. Nous sommes un peuple chrétien. La Hongrie doit protéger ses frontières. Nous ne voulons pas devenir un pays de destination pour les immigrés clandestins", a encore dit Viktor Orbán en soulignant qu'en matière de demande d'asile, la Hongrie est numéro deux par rapport au PIB par habitant.