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Entreprises et industrie - Commerce extérieur
En réponse à l'octroi futur du statut d'économie de marché à la Chine, la Commission propose une nouvelle méthode de calcul du dumping prenant en compte "les distorsions importantes"
09-11-2016


eu-chinaLe 9 novembre 2016, la Commission européenne a présenté une proposition relative à une nouvelle méthode de calcul du dumping pour les importations en provenance de pays où il existe des "distorsions importantes" ("significant distortions" dans le texte) du marché ou dans lesquels l'État exerce une profonde influence sur l'économie.

Cette proposition vise à protéger l'UE des surcapacités industrielles de pays tiers, tout en respectant pleinement les obligations internationales qui incombent à l'UE dans le cadre juridique de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Elle constitue une proposition de réponse de l'UE à l'obtention par la Chine du statut d'économie de marché, en vertu de son protocole d'adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) signé en 2001, prévue le 13 décembre 2016.

La proposition, qui modifierait la législation antidumping et antisubventions de l'UE, a été élaborée en tenant compte de la vaste consultation publique lancée en février 2016, qui a permis de collecter plus de 5 300 réponses. Elle vient compléter la modernisation de tous les instruments de défense commerciale que la Commission a proposée en 2013. Cette dernière réforme, qui vise à rationaliser les procédures et à permettre à l'UE d'instituer des droits plus élevés dans certaines circonstances, est à l'ordre du jour du Conseil Affaires étrangères - Commerce du 11 novembre 2016. Ces deux propositions sont reprises dans la communication intitulée "Vers une politique commerciale solide de l'UE, au service de l'emploi et de la croissance" que la Commission a présentée le 19 octobre 2016, en amont du Conseil européen d'octobre.

La solution retenue par la Commission pour faire au changement de statut de la Chine  se rapproche de la troisième des trois options qu'elle avait envisagées lors du lancement de sa consultation publique, à savoir le retrait de la Chine de la liste des économies non marchandes et l'introduction en parallèle de mesures d'atténuation via un renforcement de l'arsenal antidumping de l'UE. Dans son mémo, la Commission indique que “ces changements ne conduiront  pas à l'attribution du statut d'économie de marché à un pays" et que "la proposition traite de l'amélioration des instruments anti-dumping et anti-subventions pour prendre en compte les changements dans l'environnement commercial mondial, ainsi que les changements du cadre légal de l'OMC, tout en maintenant un niveau équivalent de protection".

Une analyse d'impact effectuée par la Commission démontre que le niveau des droits antidumping établis au moyen de la nouvelle méthode serait, "dans une large mesure, équivalent au niveau actuel".

Le fonctionnement de la nouvelle méthode

Dans la situation actuelle, dans des conditions de marché normales, on calcule le dumping en comparant le prix à l'exportation d'un produit vers l'UE avec les prix intérieurs ou les coûts de ce produit dans le pays exportateur. La nouvelle méthode qui vient compléter cette dernière s'appliquera de la même manière à tous les membres de l'OMC et tiendra compte "des distorsions importantes" observées dans certains pays du fait de l'influence de l'État sur l'économie.

La nouvelle méthode doit permettre, lors de l'analyse des distorsions, de prendre en considération plusieurs critères : les politiques publiques et l'influence de l'État, la prédominance des entreprises publiques, la discrimination en faveur des entreprises nationales et l'indépendance du secteur financier. La Commission rédigera des rapports spécifiques pour les pays ou secteurs dans lesquels elle recensera des distorsions, qui seront rendus publics. Comme c'est le cas actuellement, c'est aux entreprises de l'UE qu'il appartiendra de déposer une plainte, "mais elles pourront se fonder sur ces rapports établis par la Commission pour faire valoir leurs arguments", souligne cette dernière.

Cette nouvelle méthode antidumping s'appliquerait aux procédures engagées après l'entrée en vigueur des règles modifiées. La proposition prévoit également une période transitoire durant laquelle toutes les mesures antidumping en place et les enquêtes en cours resteraient soumises à la législation existante. A noter que la méthode dite "du pays analogue", par laquelle on recourt aux prix constatés dans un pays similaire qui est une économie de marché pour fixer les droits anti dumping,  sera réservée aux pays n'ayant pas une économie de marché et n'étant pas membres de l'OMC.

La Commission a aussi proposé de renforcer la législation antisubventions de l'Union, afin qu'à l'avenir toute nouvelle subvention mise au jour au cours d'une enquête puisse également être examinée et prise en considération dans le calcul des droits définitifs.

Les réactions

Le groupe PPE semble satisfait de la proposition de la Commission. Il appelle au compromis et à une adoption rapide de la proposition. "Si vous voulez trop, vous finissez avec les mains vides. C'est le bilan d'innombrables amendements à la précédente proposition, faits par différentes fractions au Parlement européen, qui a créé le blocage au Conseil", prévient l'eurodéputé Daniel Caspary, qui garde bon espoir que cette situation ne se reproduise pas.

Toutefois, le groupe S & D est bien moins satisfait. "L'introduction de la notion de 'distorsions importantes' (non définie dans le droit de l'OMC), le pouvoir discrétionnaire laissé à la Commission dans la préparation des rapports décrivant la situation dans un pays ou un secteur et le renversement de la charge de la preuve (qui reviendra au plaignant) sont les questions les plus problématiques", a expliqué l'eurodéputée Alessia Mosca. "L'UE doit éviter d'octroyer le statut d'économie de marché à tout prix, car cela signifierait accepter la concurrence déloyale pour nos travailleurs", a ajouté Dave Martin.

Le 27 octobre 2016, 35 eurodéputés, dont l'eurodéputé luxembourgeois PPE, Georges Bach, réunis au sein du "MES China Action Group", les syndicats CES et Industri'All, l'organisation patronale Aegis Europe, le Comité des régions et le Comité économique et social européen, avaient demandé  à la Commission d'inclure trois éléments dans sa future proposition législative, à savoir : un lien clair entre le déclenchement de la nouvelle méthodologie anti-dumping non standard et les critères d'économie de marché, une charge de la preuve incombant à la Chine et aux exportateurs chinois ainsi qu'une absence de discrimination entre les secteurs économiques.

Dans leur réaction, deux des initiateurs MES Action Group, les eurodéputés S&D, Edouard Martin et Emmanuel Maurel, ont critiqué la proposition de la Commission qui ne reprend "aucune des préconisations" formulées jusque-là et "annihile tous nos efforts – et même les siens – pour renforcer les instruments de défense commerciale de l'UE et met en danger des millions d'emplois en Europe". Ils déplorent notamment que la charge de la preuve pèserait sur les industriels européens, à qui il serait "mission impossible", "sans accès transparent à l'information, de démontrer que les opérateurs chinois se rendent coupables de dumping".

Dans un communiqué, Aegis Europe, représentant une trentaine d'organisations industrielles européennes, estime que la proposition de la Commission "rend les industries européennes encore plus vulnérables". "La nouvelle approche crée le concept de "distorsions significatives" et abandonne complètement l'important lien avec les cinq critères de l'UE pour définir une économie de marché, ce qui affaiblit substantiellement la base pour des mesures de l'UE contre le dumping", a jugé le porte-parole d'AEGIS Europe, Milan Nitzschke, ajoutant que, "sans les cinq critères, l'affirmation selon laquelle la Commission agit pour defender les emplois européens contre le dumping chinois est sans fondement".

Aegis Europe mise sur le Parlement européen et les Etats membres pour améliorer la proposition, jugeant crucial que la nouvelle méthodologie prenne en compte les dispositions restantes dans le protocole d'accession de la Chine à l'OMC, y inclus les distinctions légales dérivant des critères d'économie de marché, avec la charge de la preuve aux producteurs chinois.

Membre d'Aegis Europe, Eurofer, par la voix de son directeur général, Axel Eggert, émet "des réserves sur la faisabilité de l'approche retenue" par la Commission. "En comparaison avec l'approche des Etats-Unis, la législation proposée abandonne les références aux non-économies de marché qui ont justifié le recours à une méthodologie non standard", dit-il, en formulant l'espoir que la proposition soit au final alignée sur les conclusions principales de la résolution du Parlement européen.

Dans une première réaction survenue dans la soirée du 10 novembre 2016, la Chine, par l'intermédiaire du porte-parole de son ministère du Commerce a estimé que "la réglementation anti-dumping proposée par l'UE n'est pas conforme aux règles de l'OMC", déplorant la présence de la notion de "distorsion de marché" qui s'apparenterait à l'actuelle méthode de calcul anti-dumping suivie par les Européens et qu'elle dénonce.